Tunisie : "Kaïs Saïed a un profond mépris pour la démocratie"

"Le président tunisien pratique un autoritarisme identitaire et culturel", d’après le chercheur au CNRS Vincent Geisser. Plus dangereux encore que celui du dictateur Ben Ali.​

En quelques heures, elle est devenue le visage de l’impitoyable répression d’Etat en Tunisie. Sonia Dahmani, avocate et chroniqueuse critique du président tunisien, a été arrêtée le 11 mai au siège de l’Ordre des avocats à Tunis - où elle s’était réfugiée -, accusée d’avoir dénigré la politique anti-migrants de Kaïs Saïed. L’intervention musclée, retransmise par la chaîne France 24, dont la correspondante était en plein direct lorsque les forces de l’ordre ont fait irruption dans le bâtiment, a fait le tour des réseaux sociaux. Elle témoigne une fois de plus du virage dictatorial du président, qui s’est octroyé les pleins pouvoirs depuis juillet 2021. "Kaïs Saïed a un profond mépris pour la démocratie et pratique un autoritarisme identitaire dangereux", estime le chercheur au CNRS Vincent Geisser. Entretien.

L’Express : Depuis son coup de force en juillet 2021, Kaïs Saïed intensifie la répression. Comment interpréter les arrestations du week-end dernier ?

Vincent Geisser
: Il faut regarder le profil des personnalités arrêtées. On est passé d’une répression "classique", visant des opposants déclarés, à des interpellations tous azimuts de gens ciblés pour ce qu’ils représentent : journalistes, avocats, femmes, des profils ouverts sur le monde, qui symbolisent la liberté d’expression. Kaïs Saïed incarne un autoritarisme identitaire, à l’image de son projet : une Tunisie purement tunisienne, arabo-musulmane, un souverainisme poussé à l’extrême, où tout ce qui vient de l’étranger, de l’Occident en particulier, est vu avec suspicion. Par conséquent, les personnalités qui symbolisent une ouverture internationale, une société où la parole est libre, où l’on peut user d’humour et d’ironie, sont réprimables.

Zine el-Abidine Ben Ali (qui a présidé la Tunisie de 1987 jusqu’à son renversement en 2011) n’était pas un tendre, loin de là - ce général d’armée a fait toute sa carrière au ministère de l’Intérieur, au service des renseignements - mais sa répression était essentiellement ciblée contre ses opposants. Là, il s’agit d’un autoritarisme à soubassement culturel. C’est "la Tunisie des perdants", ceux qui n’ont jamais bougé et sont attachés à une identité nationale mythifiée, qui prennent leur revanche à la fois sur la démocratie mais aussi sur les années Bourguiba, le président de 1957 à 1987, fondateur de la Tunisie moderne, qui a fait des réformes en faveur des femmes.

Kaïs Saïed, lui, est très conservateur sur le plan des valeurs, c’est un ultranationaliste arabe, qui parle un arabe littéraire caricatural, dans un pays où les chefs d’Etat ont toujours mélangé l’arabe dialectal tunisien, l’arabe littéraire et le français. Cet homme a un projet culturel et idéologique pour la Tunisie, il déteste la démocratie parlementaire et ne s’en cache pas, considère que ce régime politique n’est pas fait pour les Tunisiens.

Il semble pourtant conserver un certain soutien au sein de la population…

Lorsqu’il a été élu en 2019, ce professeur de droit était connu comme quelqu’un de plutôt simple et ordinaire, un personnage proche du peuple, portant des costumes à prix raisonnable, discutant avec les jeunes dans des cafés. Mais au fur et à mesure, on s’est aperçu qu’il avait une vision très personnelle et autocratique du pouvoir, doublée d’un fort conservatisme. Lorsqu’il gèle le Parlement et s’octroie les pleins pouvoirs en juillet 2021, il reçoit au départ un soutien important, à la fois de gens qui considèrent comme lui qu’il faut défendre l'identité tunisienne, que la démocratie est un concept importé de l’Occident, et de gens qui le voient comme un homme qui rétablira l’ordre en pleine crise économique et pandémie de Covid-19. En réalité, il a placé sous surveillance tous les acteurs politiques, quelle que soit l’obédience politique, religieuse, philosophique ; démantelé tous les espaces de liberté : associations, ONG, cercles intellectuels. Tout cela en martelant un discours anti-élites, notamment contre les élites francophones. Constitutionnaliste de métier, Kaïs Saïed connaît parfaitement les institutions mais a un profond mépris pour la démocratie. Finalement, il réalise son projet.
 
Après le raid de police ce 11 mai au siège de l’Ordre des avocats pour arrêter Sonia Dahmani, une autre descente a eu lieu ce 13 mai par des hommes cagoulés non identifiés, une pratique de plus en plus courante ?

Kaïs Saïed s’appuie de plus en plus sur le peuple pour s’en prendre à ses ennemis. A l’époque de Ben Ali, la répression était l’affaire de l’appareil sécuritaire, mêlant des policiers en tenue, d’autres en civil et des indicateurs. Là, on entre dans une logique milicienne, où des Tunisiens ordinaires attaquent ces "ennemis" désignés par le président complotiste. On l’a vu avec la traque contre les migrants subsahariens. Désormais, tous les Tunisiens identifiés comme "anti-patriotes" sont des cibles potentielles.

Qui peut arrêter cette dérive vers une dictature totale ?

Après le coup de force de juillet 2021, beaucoup d’observateurs pensaient que si Kaïs Saïed virait dictateur, le peuple se soulèverait. Il n’en fut rien. Il y a une très forte résignation dans la population, y compris chez les jeunes, une grande amertume vis-à-vis des "années démocratie" dans l’après-révolution [de décembre 2010 à fin février 2011]. Certains parlent même des "années noires". Rendez-vous compte, c’est le terme utilisé pour parler de la période terroriste en Algérie dans les années 1990 !

Aujourd’hui, une chape de plomb est retombée sur le pays. L’activisme politique et citoyen est gelé, la peur est partout. Toutefois l’état de l’économie, au plus bas, reste le talon d’Achille de Kaïs Saïed. La question de la justice sociale, grand échec de la démocratie tunisienne, pourrait le fragiliser à l’avenir. Les enfants ou petits frères de ceux qui ont fait la révolution en 2010-2011, plutôt pro-Kaïs Saïed pourraient se retourner contre lui pour les mêmes raisons que celles qui ont fait tomber Ben Ali.

Autre hypothèse, un putsch militaire. L’armée tunisienne, soutenue par des acteurs influents (notamment l’Algérie), pourrait se manifester si Kaïs Saïed devenait à ses yeux un facteur de désordre. Dans ce scénario, il ne s’agirait pas d’un coup d’Etat pour rétablir la démocratie.

 

MORJANA75

ancien membre
De ce que j'ai pu constater il assez populaire , en tout cas auprès des migrants tunisiens qui sont arrivés en france, après le printemps tunisien.

- ...... !?

- si si vous avez bien compris.
 

Izaia

Mariée Bouboule Maman
VIB
Je sais pas beaucoup de gens à l'Intérieur du pays le soutiennent encore..bon est- ce que les gens qui le soutiennent sont des références, clairement non pour ceux que je connais
je trouve qu'il est gentiment en train de montrer son vrai visage...populiste, tyrannique
Les jeunes continuent à vouloir fuir à tout prix, le pouvoir d'achat est en berne, sa politique extérieure est désastreuse...
 
L'occident aurait pu aider économiquement la Tunisie dans sa transition démocratique ! Vu sa taille cela n'aurait pas coûté bien cher et une transition démocratique arabe réussit aurait pu être un exemple ...Je suis bête c'était peut-être çà le probléme !
Du coup ils ont laissé sombrer économiquement la Tunisie ( les islamiste ont pris leur part dans la nullité et incompétence c'est vrai ) crise économique qui a permis à Kaïs Saïed de prendre le pouvoir et de faire la peau à la démocratie émergente en Tunisie...
 
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