Alger la blanche, entre casbah et Dallas

Paradoxe des années Bouteflika, la capitale, où se côtoient pétrodollars et pauvreté, n'attend rien du scrutin présidentiel joué d'avance qui se déroule jeudi.

La ville est un gigantesque chantier. Des investisseurs des pays du Golfe construisent un nouveau port, les Français terminent le métro, des armées de Chinois bâtissent à la va-vite des logements sociaux. Alger change grâce aux pétrodollars. La capitale est riche mais ses habitants sont dans leur grande majorité plongés dans la pauvreté. C'est le paradoxe des années Bouteflika, cet autocrate qui, après dix ans de gouvernance, devrait être réélu jeudi à la tête de son pays. La rente des hydrocarbures a servi à rembourser la dette publique, mais pas à venir en aide aux démunis via des créations d'emploi. L'État dispose de 140 milliards de dollars de réserve de change, mais l'économie informelle domine.

Dans la baie à la lumière si particulière mouillent des dizaines de cargos. Les navires attendent leur tour pour décharger leurs cargaisons dans un port devenu trop petit. Le trafic maritime a explosé depuis le retour progressif à la paix civile. «Ces bateaux sont surtout le signe d'une économie déstructurée tournée vers l'importation et non vers la production intérieure», explique Slim Othmani, un entrepreneur à la tête d'une fabrique de jus de fruits. Paralysées par les embouteillages, les artères qui montent de la gare maritime vers la casbah sont envahies par des vendeurs à la sauvette. On trouve même, rue de la Lyre, des «barbus» en tenue afghane vendant des petites culottes et des strings fabriqués à Hongkong.

Déglinguée, la mythique casbah est un concentré des bizarreries nationales. Plusieurs centaines de milliers de personnes s'y entassent dans des conditions de précarité et d'insalubrité extrêmes. Faute de recensement, nul n'est en mesure de donner un chiffre d'habitants précis. On sait en revanche que les immeubles s'effondrent comme des dominos : un bâtiment tombe et entraîne dans sa chute les maisons voisines. La moitié de l'ex-quartier arabe du temps des colons français est ainsi déjà parti en poussière. Il ne reste que quelque 900 bâtiments debout, soutenus pour la plupart par des madriers.

«Une dynamique d'autodestruction»

La vieille ville est un tas de ruines où les décombres trouent le paysage urbain. Ce phénomène est unique au Maghreb. De Tunis à Marrakech, de Fès à Rabat, les médinas ont conservé leur lustre. Pas ici. «C'est le résultat d'une dynamique d'autodestruction», résume Abdelkader Ammour, le président de la Fondation casbah, une association créée en 1991 pour essayer de sauver ce qui peut encore l'être de ce quartier classé par l'Unesco au patrimoine de l'humanité. «Les habitants ont rendu leurs demeures inhabitables dans l'espoir d'être relogés. Ils ont cessé de les entretenir. Mais l'État n'a pas pu tenir ses promesses démagogiques et la casbah s'est transformée en camp de transit», dit M. Ammour.

Il faut remonter à la guerre d'indépendance pour comprendre le processus. La casbah où se déroule la «bataille d'Alger» est alors le principal foyer algérois du soulèvement contre la métropole. En 1962, au départ des pieds-noirs, ses habitants s'installent dans les appartements abandonnés par les rapatriés. Et une nouvelle population débarque des campagnes pour occuper les maisons vacantes de la médina. «La guerre avait chamboulé le milieu rural. Des paysans venaient avec leurs habitudes dans des lieux sans sanitaires. Il y a eu très vite une surpopulation. Ajouter à cela l'incurie de l'État et vous avez un cocktail détonant. La casbah, c'est un peu vos banlieues difficiles», analyse Boudjemaa Kareche, l'ancien directeur de la Cinémathèque d'Alger. Il ajoute : «Je n'aimais pas la casbah lorsque j'étais jeune. J'y avais pris un coup de couteau. Il y avait des voyous ! Ça n'allait pas ! Mais elle était emblématique avec ses grandes figures et aussi les films comme Pépé le Moko de Duvivier avec Jean Gabin, qui a été tourné, il faut le préciser, en studio à… Boulogne-Billancourt.»

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