Algérie : un baril explosif

Panique à Alger ? En moins de 6 mois, le baril de l'or noir est tombé de 115 dollars à 45 dollars. Une chute brutale. Le prix du baril s'est un peu repris et tourne désormais autour des 60 dollars mais ce montant reste trop juste, actuellement, pour les finances de l'état algérien.

Le budget 2015 a été construit sur un prix du Sahara Blend, le pétrole de référence du Sahara algérien, aux environ de 100 dollars qui semble désormais caduc. Le fonds de régulation des recettes destiné à encaisser les variations du prix du baril a diminué, passant de 70 milliards de dollars à 55 aujourd'hui. L'enjeu est de taille. Les hydrocarbures assurent 97% des rentrées en devise du pays et la fiscalité pétrolière représente plus de 60% du budget de l'Etat.

Le premier ministre algérien, Abdelmalek Sellal, dans une émission diffusée fin janvier sur la première chaine nationale ne cachait pas son inquiétude. « Aujourd'hui nous sommes dans la crise » affirmait-il.

Les responsables du régime algérien ont la hantise de revivre la crise de 1986, quand le prix du baril était revenu à celui en vigueur avant le premier choc pétrolier de 1973. La dette du pays avait explosé. Alger vivait sous la tutelle du FMI. La crise économique, la montée du chômage et un mal de vivre avaient provoqué un explosion de colère parmi les jeunes en octobre 1988.

Le prix du baril ne risque pas de retrouver à moyen terme le cap des 100 dollars, selon Hocine Malti, ancien haut responsable de la Sonatrach, la compagnie nationale d'exploitation du pétrole et du gaz algérien. « L'Arabie Saoudite s'est engagée dans un bras de fer avec les compagnies pétrolières américaines. Les Saoudiens veulent tuer le pétrole de schiste américain, concurrent dangereux, et ils sont prêts à faire baisser durablement les prix du baril. La rentabilité du pétrole de schiste américain se situe autour des 60-80 dollars. Les prix du baril resteront probablement bas au moins jusqu'au printemps 2016 », estime Hocine Malti.

Le niveau du prix des hydrocarbures constitue une question de survie pour le régime algérien, note Abdou Semmar, journaliste au sein du site d'information indépendant, Algérie Focus. « Le pétrole et le gaz financent l'armée, à hauteur de 13 milliards de dollars par an. Le pétrole et le gaz achètent la paix sociale et les hydrocarbures donnent aussi une forme de visibilité et de légitimité sur la scène internationale au pouvoir en place », décrit le journaliste algérien. « Le régime sent que cette rente pétrolière est en train de s'étioler. Le pétrole algérien est surtout de plus en plus consommé par les Algériens eux-même. L'Algérie, à long terme, pourrait ne plus être exportatrice nette de pétrole. Une forme de compte à rebours est enclenché », précise le journaliste.

L'Etat peut compter sur une réserve de change estimée aujourd'hui à 185 milliards de dollars accumulée lors des dix dernières années. Le régime avec cette somme peut « tenir trois ans avec le prix d'un baril qui fluctuerait autour des 50 dollars », selon Hocine Malti. « L'idéal serait de diversifier l'économie du pays mais le régime est construit sur la rente pétrolière et ne veut pas sortir de cette logique. Bouteflika en arrivant au pouvoir avait dénoncé le poids économique de ces généraux qui possèdent des intérêts dans l'importation des produits de première nécessité pour les Algériens. Rien n'a changé. Le développement de l'agriculture ou de l'industrie locale est contraire aux intérêts économiques de ces généraux », ajoute Hocine Malti.



Le gouvernement espère compenser cette baisse durable du pétrole en s'appuyant sur une nouvelle rente, celle du gaz de schiste. Le département de l'Energie américain a estimé les réserves algériennes à cinq fois les réserves prouvées de gaz naturel du pays. Les autorités algériennes ne cessaient d'affirmer que l'exploitation de ce gaz de schiste ne démarrerait qu'en 2040. « La Sonatrach prévoit désormais une exploitation de ce type de gaz dès 2019 ou 2020 », indique Hocine Malti.

Les oppositions sont cependant nombreuses. « Les populations ont pris conscience que l'utilisation de la fracturation hydraulique pour extraire de la roche allait contaminer l'eau et l'environnement. L'opposition au gaz de schiste est une question de survie pour les habitants du Sud algérien », décrit Hocine Malti. Les autorités ont du reculer localement face à la mobilisation de la société civile à In Salah, contre le gaz de schiste, dans le Sud algérien.



A défaut de nouvelles ressources immédiates, l'heure est à la rigueur. Le chef du gouvernement, Abdelmalek Sellal, a transmis une lettre de cadrage budgétaire aux ministres, walis (préfets) et directeurs des sociétés nationales. Ils doivent trouver des sources d'économies. « Le recrutement des fonctionnaires va être gelé. Des grands projets d'infrastructures comme la construction d'un nouveau grand port à l'ouest Alger sont désormais repoussés. Aujourd'hui l'essence est subventionnée et coute moins cher que l'eau. Cette aide pourrait être remise en cause », estime Abdou Semmar, journaliste algérien.

La construction de l'autoroute des Hauts Plateaux, budgétisée à hauteur de 9 milliards de dollars, est menacée. La mise en service de lignes de tramway dans quinze villes de l'intérieur du pays pour 6 milliards de dollars, pourrait être également ajournée, selon l'hebdomadaire Jeune Afrique. « Certains programmes sociaux ne seront cependant pas touchés.

Le ministre de la santé a tenu à assurer que le secteur hospitalier public ne serait pas frappé par des coupes budgétaires. Les subventions des produits alimentaires de première nécessité comme la farine, le sucre et l'huile, ne seront pas rabotés. Le gouvernent ne devrait pas remettre en cause les programmes de construction de logements déjà lancés », précise aussi Abdou Semmar.

La raison est simple, selon Hocine Malti. « La paix sociale est nécessaire pour la survie du régime. La remise en cause de ces programmes provoquerait une explosion de violence», selon l'ancien haut responsable de la Sonatrach.

Les transferts sociaux représentent plus de 70 milliards de dollars chaque année dans ce pays de 38 millions d'habitants où le taux de chômage des jeunes dépasse encore les 20%. Pour se prémunir du « Printemps arabe », le président Bouteflika avait sorti le chéquier. Le budget 2013 avait encore acté l'embauche de 55 000 nouveaux fonctionnaires. En trois ans le budget de fonctionnement de l'Etat était passé de 22 à 65 milliards de dollars.



L'équation budgétaire semble aussi difficile que complexe pour le régime. Le gouvernement veut serrer les boulons sans provoquer une nouvelle crise économique, sociale et politique. Le régime est d'ailleurs de plus en plus envahi par un sentiment de fragilité nouvelle, selon Hocine Malti. La moindre contestation politique est perçue comme une menace existentielle.

« Une commission de transition politique démocratique, qui regroupe quelques mouvements politiques assez peu représentatifs, a vu le jour. Elle réclame la mise en place d'un gouvernement provisoire et l'annonce de nouvelles élections générales, en raison de l'état de santé d'Abdelaziz Bouteflika. Le chef d'Etat major a toute suite indiqué que l'armée interviendrait ».

http://m.tv5monde.com/pl/svt/si/tv5...dk/tv5monderss.02-25-2015.0147p0000/pa/298921
 
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