Algérie : la ruée vers l’or a enrichi les vendeurs de pelles

De la même manière que la ruée vers l’or a enrichi les vendeurs de pelles, les gaz de schiste font la fortune des sociétés qui vendent les technologies de forage

Dans une longue interview exclusive accordée à El Watan, Nicolas Imbert donne un éclairage sur les enjeux liés à l’exploitation des énergies non conventionnelles, la préservation des ressources, l’éco-conception et la consommation responsable.

- L’exploitation des hydrocarbures schisteux peut-elle se faire sans porter atteinte aux ressources hydriques et à l’environnement ?

Clairement non : il y a, tout d’abord, un danger sur la santé humaine, ensuite, sur la contamination des eaux, le stress hydrique et, enfin, différents dommages environnementaux, sur les activités agricoles et touristiques. Sans compter les risques de microséismes. Il faut également se rendre compte que les gaz de schiste ne servent pas la transition énergétique et ne préparent ni à une énergie bon marché, ni à une énergie décarbonnée.

De la même manière que la ruée vers l’or a enrichi les vendeurs de pelles, les gaz de schiste font la fortune des sociétés qui vendent les technologies de forage, mais provoquent souvent la ruine des exploitants qui croyaient en l’Eldorado tout en générant de nombreux problèmes de pollution, d’investissements démesurés pour les infrastructures ou de sécurité du transport pour les Etats qui les ont accueillis. Les Etats-Unis en sont l’exemple, où les gaz de schiste ont prospéré là où l’eau était vendue moins cher que son juste prix.

- Abdelmadjid Attar et quelques autres ministres algériens crient à la polémique et pensent qu’il y a exagération sur les risques écologiques et environnementaux. Qu’en pensez-vous ?

Les risques liés à l’exploration et à l’exploitation des gaz de schiste sont avérés. En France, ils ont été interdits en vertu du principe de prévention (et non pas du principe de précaution), ce qui démontre un risque «certain», avéré et non pas un risque hypothétique. Le risque est donc là, avéré, et incontestable.

Par contre, ce sont les éventuels bénéfices liés à son extraction qui sont, eux, contestables : le rendement énergétique de l’extraction est très mauvais, souvent les puits ne tiennent pas les rendements promis (comme cela a été constaté en Pologne, provoquant le départ prématuré des sociétés concessionnaires), alors même que les dommages environnementaux sont, eux, malheureusement irréversiblement générés et qu’il n’y a plus d’exploitants pour payer la facture.

- Quel sera l’impact de la fracturation du gaz de schiste dans le Sahara algérien sur les nappes phréatiques et des sols à moyen et long termes ?

Le Sahara contient des aquifères profonds parmi les plus vastes au monde, avec des risques de pollution irrémédiables qui pourront se manifester très loin des lieux de fracturation, et qu’en plus, le désert a déjà été ébranlé par les essais de bombes atomiques françaises, et qu’on ne modélise que très imparfaitement son comportement en cas de nouveaux chocs de fracturation. Sans compter que l’apport d’eau nécessaire à la fracturation, comme son stockage, auront un impact massif sur le trafic routier et porteront atteinte durablement à l’environnement, en plus d’être eux-mêmes très consommateurs de carburant.

- Y a-t-il des techniques alternatives dites «propres» à la fracturation hydraulique ? On parle, par exemple, de la fracturation au fluoropropane...

Aujourd’hui, cette technique n’existe pas à l’échelle industrielle, elle est particulièrement dangereuse en phase d’utilisation : le fluor accélère la destruction de la couche d’ozone, propane et fluor ont une contribution à l’effet de serre environ 20 fois supérieure au dioxyde de carbone. Toutes ces techniques ont le point commun de fracturer la roche mère en provoquant une surpression (une «explosion» de la roche en profondeur) afin de créer des microfissures qui permettront de récupérer les gaz de schiste. Ces techniques sont donc toutes très énergivores et ont la particularité de libérer inévitablement les substances radioactives et les métaux lourds contenus dans la roche mère.

- Dans la situation économique actuelle de l’Algérie, a-t-on vraiment besoin de l’exploitation de ce gaz ?

Pas du tout… l’Algérie a absolument tous les atouts pour mettre en place des énergies renouvelables de proximité, que nous appelons 4D : déconcentrées, décarbonnées, diversifiées et démocratiques, ce peut être un mix de solaire thermique, de solaire photovoltaïque, d’éolien, d’hydroliennes au fil de l’eau, de biomasse… toutes des technologies qui existent actuellement, qui ont beaucoup plus de bénéfices que de risques et qui sont compétitives économiquement.

En plus, les installations peuvent être possédées par un ménage, une collectivité locale, une petite entreprise. Pensez qu’en Allemagne, 40% des ménages sont propriétaires d’une installation énergétique à côté de chez eux. En France comme en Algérie, le gaz de schiste ne bénéficierait ni aux citoyens ni au gouvernement, mais contribuerait uniquement à enrichir quelques intérêts privés et à laisser une ardoise importantes aux collectivités, ce que les économistes appellent pudiquement les externalités négatives.

- C’est donc une affaire politique plutôt qu’économique ?

La décision de développer du gaz de schiste à l’échelle d’un pays est très idéologique, et pas du tout dictée par la rationalité économique. On s’aperçoit que les mythes fondateurs sont les mêmes entre celui qui a assuré la promotion du nucléaire civil en France et celui qui accompagne actuellement les débats sur les gaz de schiste, autour du mythe d’une énergie abondante et peu chère, d’une affirmation jamais vérifiée d’indépendance énergétique accrue qui n’intègre ni le recours à des technologies extérieures, ni la comparaison avec un investissement similaire dans l’efficacité énergétique.

Il y a une mobilisation forte autour de la technicité des projets et une communication sur le «comment», qui occulte et préempte le nécessaire débat démocratique sur le compromis bénéfice/risque et le «pourquoi», et d’un choix imposé comme «nécessaire à la compétitivité de la France» mais non positionné de manière relative dans le débat, par rapport à la myriade de choix et technologies alternatives puis a une mobilisation massive d’investissements publics centralisés alors que les alternatives sont bien moins mobilisatrices de capitaux publics, recourent plus à l’investissement privé, et que la diversification comme la décentralisation permettent un risque bien mieux maîtrisé.

- Si l’exploitation du gaz de schiste présentait beaucoup d’avantages pour la France, une indépendance énergétique, la création des milliers de postes et l’amélioration de sa balance commerciale et la diminution de son chiffre d’importation de gaz qui atteint les 14 milliards d’euros, chaque année, pourquoi donc l’interdire ?

Malheureusement, toutes les assertions que vous avancez sont fausses. Nous avons effectué un rapport en 2012 et 2013, que nous avons présenté au groupe de travail gaz de schiste de l’Assemblée nationale française, en juillet 2013, qui casse sept idées reçues : l’exploitation du gaz de schiste permet de faire baisser les prix du gaz sur les marchés spot et de faire pression sur les contrats long terme, qu’elle permettrait à la France de réduire significativement ses importations de gaz, la création d’emplois locaux, sa disponibilité en quantité importante en Europe et au Maghreb de manière certaine, qu’il va permettre à la France d’avoir une nouvelle source d’énergie qui se substitue aux autres hydrocarbures fossiles et l’inscrit donc dans la transition énergétique, que le gaz de schiste est un combustible fossile plus vert que les autres hydrocarbures, qu’il est possible de garantir une étanchéité parfaite à un puits.

Toutes ces idées sont fausses et nous le démontrons. L’absence de modèle économique fiable si l’exploitant paie toutes les externalités engendrées par son activité est également démontrée. C’est pour cela que les partisans du gaz de schiste prédisent un eldorado à venir pour réclamer à la fois les subventions et les exonérations de charges qui permettront aux premiers de gagner beaucoup d’argent, puis de laisser des concessions exsangues et des sols pollués, comme cela s’est passé au Dakota du Nord ou au Wyoming.

- Cette interdiction est-elle purement écologique ?

C’est une interdiction en vertu du principe de prévention : l’exploration et l’exploitation sont à la fois dangereuses pour la santé humaine et pour l’environnement, comme cela a été démontré, en octobre 2013, par le Conseil d’Etat français à l’issue d’un débat contradictoire.

- La loi du 13 juillet 2011 visant à interdire l’exploration et l’exploitation des mines d’hydrocarbures liquides ou gazeux par fracturation hydraulique et à abroger les permis exclusifs de recherches comportant des projets ayant recours à cette technique, permet-elle l’exécution de permis exclusifs de recherche d’explorateurs français hors du territoire français ?

Malheureusement, la loi ne dit rien quant à l’application du principe de prévention en dehors du territoire français.

- A qui profite la décision de lancer la production du gaz de schiste en Algérie ?

L’Algérie part dans un positionnement qui lui fait rater la transition énergétique et l’engage dans une voie dangereuse pour la santé des habitants, l’approvisionnement en eau, l’environnement et l’économie, et sur laquelle elle achète la technologie à l’extérieur sans la posséder. La France exporte une technologie qu’elle ne tolère pas sur son sol, en vertu du principe de précaution, et vend à autrui une technologie dont elle connaît les risques avérés.
........................
Lire la suite dans :
http://www.elwatan.com/regions/oues...une-voie-dangereuse-04-08-2014-266763_257.php
 
Haut