La chronique du tocard

Une bouteille à la Seine

J’étais arrivé au fin fond de nulle part, dans un petit bled en Espagne et c’était l’endroit idéal pour réfléchir et prendre du recul sur la vie qui passe. Je repensais à elle. A celle que j’avais toujours aimée. Et que j’avais laissée partir il y a quelques années. Comme ça, sans prévenir. Comme un *******. Et aussi parce qu’on regrette toujours après.



La vérité de la preuve par dix c'est que je l'aimais toujours. Je l'aimais tellement que je lui avais dit le contraire, parce que je savais qu'au fond c'était elle la bonne et que la flippe amoureuse c'était quelque chose de profondément masculin. Toute ma vie, j'avais été un Tocard en amour et il était temps que ça change.

Croyez en mon cœur, fallait pas aller chercher à des kilomètres à la ronde une autre qu'elle. Cette nana, j'avais fini par la trouver. C’était la fille idéale et parce qu’il fallait bien mourir un jour, c’était celle avec qui tu voulais t'éteindre à ses côtés. J'avais enfin rencontré quelqu'un qui me plaisait intellectuellement et physiquement.

C'était une nana qui allait de l'avant et qui voyait la vie avec des fleurs partout. On s'était croisé par hasard même si elle avait un peu forcé les choses. Elle avait un diplôme en rencontre virtuelle, un master en amitié et pour une fois sa gentillesse sur Facebook c'était une photocopie parfaite de ce qu'elle représentait dans la vie des quatre saisons.

Cette nana qui avait des origines du Maroc, ce qui l'a rendait encore plus belle par rapport à l'ensemble des maghrébines, avait une fille en plein dans l'adolescence. Une pianiste en herbe qui savait aussi jouer de la danse mais avec une coupe de cheveux à la Autant en emporte le vent.

La modestie et l'humilité lui allaient à ravir et la jeune Mozarte me ressemblait à cause de son affaire douloureuse avec les mots qui pour elle aussi s'envolaient comme des oiseaux. J'avais vu ça comme un signe du Mektoub alors que Dieu a toujours été à part dans ma vie.

Mon amoureuse me connaissait de l'écriture, de cette chronique qu'elle aimait tant et depuis que je la connaissais, le niveau avait augmenté ostensiblement. Elle aimait la lire avant parution pour y ajouter une touche féminine, une épice grammaticale. C'était un cordon Gnoule aussi et sa spécialité c'était les pancakes au miel 100% bio qu'elle maîtrisait de la tête au pied.

Elle avait passé son temps à me dire qu'on était fait l'un pour l'autre, et c'est vrai qu'on pouvait rester tous les deux des soirées ensemble sans se rendre compte qu'il y avait un autre monde qui tournait autour de nous. Elle était parfaite pour pas qu'on s'ennuie tous les deux, parce qu'elle aimait lire ou écrire et parfois même le sport, enfin surtout le patin à roulettes malgré le fait qu'elle aimait fumer sa cigarette, qui fait rire qu’elle de temps à autre.

On avait passé des moments uniques lors de week-ends, à la campagne, au milieu des chèvres que je ne regardais plus par respect pour elle. Je préfère blaguer avec ça car j’ai en fait trop mal à l’amour…

Pris de panique, j'avais arrêté la relation amoureuse avec elle très vite. Je lui avais surtout menti en lui disant que je l'aimais d'amitié mais à l'intérieur, bien entendu, c'était l'amour qui dégoulinait de partout. Elle regrettait que je ne lui offre pas la possibilité de cultiver l'amour qu'elle avait pour moi.

Plusieurs fois, j'avais voulu l'appeler pour lui dire que j'avais peur. Et que j'avais besoin de son aide pour lâcher prise. J'avais peur de la décevoir et qu'elle me déçoive à son tour. J'avais le passé douloureux en ligne de mire, des histoires d'amour qui s'étaient mal terminées, et tous ces mauvais souvenirs m'empêchaient de me projeter vers l'avenir. Et puis, la vérité c'était que j'avais tellement grandi avec la difficulté affective, habitué à la violence des relations humaines, que je croyais que le bonheur c'était que pour les autres.

A l’époque, elle avait eu raison de prendre de la distance avec moi, je lui donnais que dalle en retour, si ce n'est de la peur, de l'angoisse, et des maux de tête à n'en plus finir.

Aujourd'hui, ce message, cette bouteille à la Seine, lui arrivait sans aucun doute un peu tard. Allah-vait dû retrouver un autre Gnoule, un type un peu moins flippé que moi. Elle m’avait quitté, fâchée de ma poire. Elle était partie amoureuse de moi. Elle devait m’aimer toujours encore un peu à cause de l’amour qui ne s’éteint vraiment jamais. Elle avait pris sur elle tout ce temps. Je l'avais fait tellement souffrir comme on est souvent cruel avec les gens qu'on aime le plus.

Aujourd’hui, j’avais rien à perdre et tout à emporter. Je voulais juste qu'elle sache qu'elle avait eu raison depuis le début et que le couillon c'était moi au final. Je sais pas si je méritais qu’elle me redonne une chance. En vérité, je lui disais pas toutes ces choses pour ça. Le principal était ailleurs.

Bien sûr qu'elle m'avait manqué tout ce temps-là, et l'air était devenu rare en la voyant s'éloigner. Mais l'important était plus loin. Grâce à cette folle qui m’avait tellement plu, avec tous les défauts qu'elle avait en stock et les quelques kilos avec, j'avais juste compris qu'il fallait à l’avenir vivre les histoires. Toutes les histoires. Surtout celles qui nous faisaient peur...



Nadir Dendoune

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Sans son Gnoule

La vie avait pris un mauvais chemin pour elle du jour au lendemain, sans même donner l’alarme et la solitude qu’elle ressentait à l’intérieur de toute son âme la poussait à laisser la télévision allumée chaque soir en guise de compagnon. La petite lucarne l’aidait également à trouver le sommeil qui se cachait souvent pour mourir à cause des journées où l'angoisse était vive.

Il m’arrivait fréquemment de l’éteindre pour elle. Ma mère, huit décennies entourée de gens, de bruits et de cris, vivait désormais seule dans son appartement du 6e étage à la cité Maurice Thorez de L'Ile-Saint-Denis (93), dans un silence assourdissant. Ce soir-là, je la trouvais, comme à son habitude, allongée sur une moitié du lit, les jambes pliées vers elle, le drap et l’oreiller par terre, ses doigts toujours collés sur la télécommande. La télévision, elle, marchait toujours.

L'endroit où mon père avait l'habitude de dormir était resté vide. Même son coussin n'avait pas été déplacé. Maman n'en finissait plus de sentir seule. La fenêtre de la chambre était légèrement ouverte ce soir-là, laissant entrer une petite brise rafraichissante. Sur le mur de la chambre, je regardais pour la première fois les photos. Il y en avait de placardées un peu partout dans la pièce. Plusieurs générations étaient réunies sur ces clichés.

Il y avait souvent mon père, solide montagnard de Kabylie, posant toujours de la même manière, fièrement, droit comme un I, à l'image d'une vie, la sienne qui l'avait vécue le plus dignement possible. Toujours à ses côtés, ma mère. La même posture que lui. Ces deux-là étaient ensemble depuis 65 ans. C’est à dire depuis toujours…

Maman répétait souvent que mon père avait été pour elle son meilleur ami et aussi son meilleur ennemi....Elle disait souvent qu'elle avait eu du mal à vivre avec lui toutes ces décennies, mais qu'elle n'aurait jamais supporté la vie sans lui. Voilà pourquoi aujourd'hui, elle se sentait tellement perdue sans son Gnoule.

Un peu cachées derrière la commode, les photos du Maroc. Celles prises en 2007. On était partis tous les trois en vacances une semaine à Marrakech. J’avais réussi à les convaincre de l’utilité des voyages. Surtout ceux partagés avec ceux qu’on aime… On avait dormi dans un hôtel de luxe, mais mes parents n'avaient pas réussi à être plus riches que les autres alors ma mère faisait son lit chaque matin. Au resto, ils commandaient les plats les moins chers, ne prenaient jamais de desserts. Malgré leurs âges avancés, ils préféraient revenir à l’hôtel à pied plutôt que de prendre un taxi. On ne change pas du jour au lendemain une équipe qui a été pauvre toute sa vie…

Heureusement, au final, mes parents, surtout ma mère, avaient tout de même adoré le Maroc. Ça la changeait de son bled... Pour une fois, elle avait passé de vraies vacances...

Dans la chambre de mes parents, il y avait presque un siècle de vie. Des souvenirs heureux, les mariages de mes sœurs, de mon frère, les naissances de mes nièces et neveux. De beaux moments qui paraissaient si loin et si proche en même temps....Tout avait basculé pour nous tellement vite. On n’avait rien vu venir… On avait juste vu que le papa devenait différent, qu’il ne disait plus bonjour de la même manière. Qu’il souriait à des moments où il fallait être triste. Je le retrouvais souvent au café d’en bas, assis seul sur une chaise, son endroit à lui, un expresso posé sur la table. Il avait l’air perdu. Un jour, j’étais parti le rejoindre et il m’avait demandé qui j’étais. Je lui avais répondu Nadir ton fils et il avait juste souri. C’est alors qu’il avait commencé à se perdre. À nous perdre…

Je remis le drap sur le corps de ma mère, pris la télécommande de ses mains. J'avais mal à la voir si triste. Je me sentais tellement impuissant. Ce soir-là, j'étais entré chez elle sans la prévenir. Elle n'avait rien entendu. Gamin, elle attendait que je sois revenu au domicile familial pour enfin fermer l'oeil. Égoïste, il m'arrivait de rentrer très tard dans la nuit. Elle se levait alors du canapé, refermait la porte derrière moi, et me demandait si j'avais faim. Elle gardait toujours un petit quelque chose pour son petit dernier…

Puis, elle partait enfin rejoindre son Gnoule qui se levait quelques heures plus tard pour aller bosser.

Aujourd'hui, ma mère dormait d’un sommeil profond. Le matin, elle restait dans son lit le plus tard possible. Certes, elle rattrapait un peu toutes ces nuits manquées, mais elle était surtout effrayée d'affronter sa nouvelle vie. Sans son Gnoule...

Nadir Dendoune


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morgi

Prenez soin de cette al amana qu'est votre cœur .
Une bouteille à la Seine

J’étais arrivé au fin fond de nulle part, dans un petit bled en Espagne et c’était l’endroit idéal pour réfléchir et prendre du recul sur la vie qui passe. Je repensais à elle. A celle que j’avais toujours aimée. Et que j’avais laissée partir il y a quelques années. Comme ça, sans prévenir. Comme un *******. Et aussi parce qu’on regrette toujours après.



La vérité de la preuve par dix c'est que je l'aimais toujours. Je l'aimais tellement que je lui avais dit le contraire, parce que je savais qu'au fond c'était elle la bonne et que la flippe amoureuse c'était quelque chose de profondément masculin. Toute ma vie, j'avais été un Tocard en amour et il était temps que ça change.

Croyez en mon cœur, fallait pas aller chercher à des kilomètres à la ronde une autre qu'elle. Cette nana, j'avais fini par la trouver. C’était la fille idéale et parce qu’il fallait bien mourir un jour, c’était celle avec qui tu voulais t'éteindre à ses côtés. J'avais enfin rencontré quelqu'un qui me plaisait intellectuellement et physiquement.

C'était une nana qui allait de l'avant et qui voyait la vie avec des fleurs partout. On s'était croisé par hasard même si elle avait un peu forcé les choses. Elle avait un diplôme en rencontre virtuelle, un master en amitié et pour une fois sa gentillesse sur Facebook c'était une photocopie parfaite de ce qu'elle représentait dans la vie des quatre saisons.

Cette nana qui avait des origines du Maroc, ce qui l'a rendait encore plus belle par rapport à l'ensemble des maghrébines, avait une fille en plein dans l'adolescence. Une pianiste en herbe qui savait aussi jouer de la danse mais avec une coupe de cheveux à la Autant en emporte le vent.

La modestie et l'humilité lui allaient à ravir et la jeune Mozarte me ressemblait à cause de son affaire douloureuse avec les mots qui pour elle aussi s'envolaient comme des oiseaux. J'avais vu ça comme un signe du Mektoub alors que Dieu a toujours été à part dans ma vie.

Mon amoureuse me connaissait de l'écriture, de cette chronique qu'elle aimait tant et depuis que je la connaissais, le niveau avait augmenté ostensiblement. Elle aimait la lire avant parution pour y ajouter une touche féminine, une épice grammaticale. C'était un cordon Gnoule aussi et sa spécialité c'était les pancakes au miel 100% bio qu'elle maîtrisait de la tête au pied.

Elle avait passé son temps à me dire qu'on était fait l'un pour l'autre, et c'est vrai qu'on pouvait rester tous les deux des soirées ensemble sans se rendre compte qu'il y avait un autre monde qui tournait autour de nous. Elle était parfaite pour pas qu'on s'ennuie tous les deux, parce qu'elle aimait lire ou écrire et parfois même le sport, enfin surtout le patin à roulettes malgré le fait qu'elle aimait fumer sa cigarette, qui fait rire qu’elle de temps à autre.

On avait passé des moments uniques lors de week-ends, à la campagne, au milieu des chèvres que je ne regardais plus par respect pour elle. Je préfère blaguer avec ça car j’ai en fait trop mal à l’amour…

Pris de panique, j'avais arrêté la relation amoureuse avec elle très vite. Je lui avais surtout menti en lui disant que je l'aimais d'amitié mais à l'intérieur, bien entendu, c'était l'amour qui dégoulinait de partout. Elle regrettait que je ne lui offre pas la possibilité de cultiver l'amour qu'elle avait pour moi.

Plusieurs fois, j'avais voulu l'appeler pour lui dire que j'avais peur. Et que j'avais besoin de son aide pour lâcher prise. J'avais peur de la décevoir et qu'elle me déçoive à son tour. J'avais le passé douloureux en ligne de mire, des histoires d'amour qui s'étaient mal terminées, et tous ces mauvais souvenirs m'empêchaient de me projeter vers l'avenir. Et puis, la vérité c'était que j'avais tellement grandi avec la difficulté affective, habitué à la violence des relations humaines, que je croyais que le bonheur c'était que pour les autres.

A l’époque, elle avait eu raison de prendre de la distance avec moi, je lui donnais que dalle en retour, si ce n'est de la peur, de l'angoisse, et des maux de tête à n'en plus finir.

Aujourd'hui, ce message, cette bouteille à la Seine, lui arrivait sans aucun doute un peu tard. Allah-vait dû retrouver un autre Gnoule, un type un peu moins flippé que moi. Elle m’avait quitté, fâchée de ma poire. Elle était partie amoureuse de moi. Elle devait m’aimer toujours encore un peu à cause de l’amour qui ne s’éteint vraiment jamais. Elle avait pris sur elle tout ce temps. Je l'avais fait tellement souffrir comme on est souvent cruel avec les gens qu'on aime le plus.

Aujourd’hui, j’avais rien à perdre et tout à emporter. Je voulais juste qu'elle sache qu'elle avait eu raison depuis le début et que le couillon c'était moi au final. Je sais pas si je méritais qu’elle me redonne une chance. En vérité, je lui disais pas toutes ces choses pour ça. Le principal était ailleurs.

Bien sûr qu'elle m'avait manqué tout ce temps-là, et l'air était devenu rare en la voyant s'éloigner. Mais l'important était plus loin. Grâce à cette folle qui m’avait tellement plu, avec tous les défauts qu'elle avait en stock et les quelques kilos avec, j'avais juste compris qu'il fallait à l’avenir vivre les histoires. Toutes les histoires. Surtout celles qui nous faisaient peur...



Nadir Dendoune

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il et fort nadir ! ma préférée des chroniques et celle sur son pére
 
Excellente découverte.


Sa dernière chronique, fraiche de ce matin:

La femme est un homme comme les autres

Mon ami, comme un frère, venait de m’appeler et à travers le combiné, je sentais toute sa vie partir en fumée. Il était en larmes, à terre, ébranlé par ce qu’il venait d’apprendre sur elle, sur la femme qu’il aimait tant. Sur celle avec qui il se voyait finir ses heures. Dans ses bras, quand elle le regardait, elle paraissait si sincère… Et pourtant …

Le cœur en lambeaux, il n’avait même plus la force d’être en colère. En vérité, et il le savait, il ne pouvait s’en prendre qu’à lui-même. Il était en partie responsable de son malheur. Il s’en voulait d’avoir commis l’irréparable, d’avoir fait preuve d’immaturité, d’avoir cédé à la tentation. D’avoir en quelque sorte violé l’intimité de sa chérie et d’être allé regarder là où il ne fallait pas …

Avec sa copine, ils étaient ensemble depuis trois ans. Ça n’avait pas été le coup de foudre immédiat, leur amour s’était construit avec le temps. C’est ce qu’il le rendait plus fort, croyait-il … Il était fou d’elle, vraiment. La femme de sa vie, c’était elle. La future maman de ses enfants, aussi … Et tout le reste : sa meilleure amie, sa confidente, sa moitié … Celle dont il avait le plus confiance.

La semaine dernière, il était allé chez le bijoutier pour voir le prix des bagues. Il s’imaginait à genoux devant elle et lui demander sa main. Il avait l’impression aujourd’hui d’être un idiot. Comment avait-il pu être aussi aveugle ?

Hier, lundi, sa chérie avait quitté son appartement au petit matin pour aller travailler. La veille, comme elle le faisait souvent, elle avait utilisé son ordinateur. Fatiguée, elle avait juste oublié de fermer son compte Facebook. Jusqu’ici, tout allait bien. Ce n’était pas la première fois que cela arrivait.

Ce matin-là, comme s’il avait toujours douté d’elle inconsciemment, mon ami avait dérapé. Il n’avait pu s’empêcher de regarder ses messages. Et de lire. Tout. Il aurait pu, il aurait dû s’arrêter au premier d’entre eux. A celui où sa chérie proposait une partie de plaisir sexuel à un de ses collègues de travail.

Au lieu de cela, alors qu’il avait mal à en crever de lire toutes ces choses, et qu’il trouvait à peine la force de respirer, il avait continué. Il voulait tout savoir. Il était remonté dans les messages datant du début de leur rencontre. Il avait découvert plusieurs rendez-vous coquins pendant qu’il était absent, il avait vu les photos en tenue légère qu’elle échangeait avec ses amants.

Mais ce qui avait fini par l’abattre, c’était quand il s’était aperçu qu’elle utilisait les mêmes mots doux avec les autres... qu’avec lui. Parfois, il y avait même des Je t’aime qui s’envolaient du clavier de sa chérie … Il était abattu c’est vrai, surtout par l’ampleur de la trahison, mais au fond de lui, il n’était qu’à moitié surpris.

Peu sûr de lui, il n’avait jamais compris comment une fille comme elle pouvait être amoureuse d’un gars comme lui. Elle était belle, tellement belle, grande, fine, des cheveux bouclés, des yeux noisette. Elle rentrait dans un endroit et c’était le monde qui s’arrêtait de vivre en la regardant. Sa nana était drôle et intelligente et sociable, et souriante, et tout ce qu’il faut pour qu’on l'aime.

Lui se trouvait banal. Mais elle lui répétait qu'avec lui, elle était bien. Elle se sentait en sécurité affective. Après tout, c'est ce qu'elle avait toujours recherché chez un homme. Quelqu'un qui puisse juste l'aimer.

Mon ami me racontait son calvaire, tentant en vain de garder son calme et d’éteindre ses larmes. Mais rien n’y faisait. Il pleurait, sanglots après sanglots, s’arrêtait une minute pour mieux chialer davantage. Je l’écoutais en silence. Il avait toujours du mal à croire ce qu’il était en train de vivre.

Lui était différent. Quand il aimait, il ne voyait qu'elle. Toute sa vie, il avait entendu ses copines se plaindre des infidélités de leurs mecs. Les *******, c’étaient toujours les hommes, oubliant juste que la femme était d’abord un homme comme les autres...

Mon ami tentait de comprendre ce qui avait poussé sa chérie à agir de la sorte. Comment avait-elle pu l’aimer tout ce temps et l’avoir trahi autant ? Mais il n’y avait rien à comprendre. Les gens étaient juste faits différemment.

Peu importe qu’ils soient des hommes ou des femmes au final. Il ne devait même pas lui en vouloir. A quoi bon ? Je le laissais lui et son malheur en lui promettant de venir le voir prochainement. Je lui disais juste de s’éloigner d’elle. Elle finirait par le détruire. Parce qu'elle ne changerait jamais. Je savais de quoi je parlais.

J’en avais connu une aussi… Son enfance à ma chérie avait été un désert affectif. Alors, elle cherchait l’amour partout où il aurait pu se trouver. Elle m'aimait beaucoup, elle me le disait, me l’écrivait en toutes les langues. En vérité, elle m’aimait juste un peu plus que les autres. Parce qu'il y en avait des autres. Des tas d'autres... J'étais son préféré, c'est tout.

Au début, j’avais eu du mal à cause de l’orgueil légitime, mais j'avais fini par accepter ses infidélités. Parce qu’au final, seul comptait pour moi les moments passés à ses côtés ...

Nadir Dendoune

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La maison de mon daron

Le village où étaient nés mes parents était situé tout en hauteur, en direction des nuages, presque au bout du monde. Je conduisais à la cool, les fenêtres ouvertes, humant l’air pur de la montagne, ma mère assise à ma droite, et on montait avec délicatesse, pas pressés pour un dinar, emmenés par du Slimane Azem de nostalgie, cette belle musique de Kabylie, qui m’avait tant bercée durant mon enfance.



Pour atteindre Ighil Larbaa, 1100 mètres d’altitude, il fallait passer plusieurs cols, avaler des centaines de virages, traverser des dizaines de villages. La route était magnifique, la plus belle de toutes, les paysages intacts, la modernité n’avait pas sa place ici et c’était très bien ainsi.

Cet énième voyage du retour était le plus pénible de tous pour ma daronne et je pleurais à l’intérieur pour elle et son chagrin, mais j’affichais ostensiblement le plus beau paradis sur mon visage, pour pas ajouter de la tristesse à son désarroi.

J’était abattu de la voir si déprimée, accablé de ne pouvoir rien faire pour guérir les blessures de son cœur. En femme courageuse, préoccupée en premier lieu par le bien être de ses proches, elle avait tout gardé en elle et aujourd’hui, ma mère ressentait le besoin de tout dire. Elle pleurait à chaudes larmes, des gouttes d’eau de peine qu’elles essuyaient, quand elles devenaient trop abondantes, avec ce mouchoir rouge et blanc à carreau qui appartenait à son Mohamed, mon père.

C’était la première fois en 65 ans de vie à deux que maman venait en Algérie sans son homme. Malgré l’émotion qui la submergeait, elle regardait la route attentivement et quand elle reconnaissait la maison d’un cousin ou d’un ami, elle s’arrêtait de chialer et me racontait une anecdote à son sujet. Elle n’avait jamais autant pleuré de sa vie mais elle n’avait surtout jamais autant parlé.

Je l’écoutais sans jamais lui couper la voix qui était d’une douceur inimaginable. Elle prenait tout son temps pour me dire des choses du passé qui n’étaient jamais sorties de sa bouche auparavant. Elle avait choisi ce moment pour se livrer et elle faisait cet acte avec une sincérité débordante.

Maman et ses huit décennies d’âge étaient en mode transmission effrénée et à certains moments, j’avais envie de la serrer très fort dans mes bras pour lui dire combien je l’aimais et que j’étais fier d’elle parce qu’elle avait continué de rester digne malgré la saloperie de la vie.

Après plus d’une heure de route, on arrivait enfin à domicile. C’était une belle maison avec de grandes pièces à l’intérieur, une terrasse pour prendre son café, avec des volets tout bleus et des plantes tout autour.

Mon père, après avoir été manœuvre, puis ouvrier chez Renault, avait travaillé comme jardinier dans un centre hospitalier et quand son corps et son esprit fonctionnaient à merveille, il restait plusieurs mois par an à Ighil Larbaa à soigner ce qu’il s’était entêté à bâtir toute sa vie. Il arrosait, taillait les feuillages, labourait la terre, faisait planter toutes sortes de légumes….

Aujourd’hui, sa maison, une belle bâtisse, connue de tous et qui surplombait le village par sa beauté, et qui aurait mérité qu’on vienne la voir plus souvent, ne recevait quasiment plus personne. Une maison fantôme...

Comme tant d’autres Algériens partis en France pour fuir la misère, il avait économisé toute sa vie pour offrir à ses enfants un beau chez soi digne de ce nom, oubliant que ses mômes étaient des Français comme les autres. Il l’avait compris un peu tard, trop tard.

Il y a quelques années, il me l’avait confié. Mon père était triste, déçu par lui même. Il avait fini par comprendre que l’exil était souvent un départ définitif, qu’on n’en sortait jamais indemne.

Un jour, alors qu’on était parti prendre un café dehors, il m’avait demandé de l’excuser d’avoir construit cette immense maison en Algérie et de ne s’être pas rendu compte que la vie des siens se trouvait d’abord à Paris. Au début, pas habitué à l’entendre parler ainsi, j’avais pas su quoi lui répondre …

Puis, je lui avais dit qu’il ne pouvait pas dire ça, et qu’au contraire, on respectait tous son choix, qu’on était désolé surtout de ne pas aller plus souvent en Algérie. Il pouvait être fier de ce qu'il avait bâti. J’avais ajouté que personne dans la famille ne lui en voulait parce qu’il avait montré toute sa vie un courage homérique, pour élever avec brio 9 enfants de la République.

J'avais essayé de le rassurer. En vain. Mon père regrettait. Au lieu de nous avoir fait vivre entassés dans un HLM en banlieue, n'aurait-il pas pu au moins acheter une petite maison en région parisienne ?, me disait-il. Mais en avait-il seulement les moyens ?....

Je repensais à tout ça quand ma mère se mit à ouvrir les volets pour laisser respirer la grande demeure. Elle enleva les draps qui recouvraient les canapés, brancha le frigidaire, alluma le gaz. Qu'elle était belle la maison de mon père ! Je sortis un moment pour admirer la vue.

Derrière la bâtisse, il y avait également un bout de terrain où reposait un puits. L'eau coulait tellement en abondance qu'il avait fini par faire construire une fontaine juste à l'extérieur de la maison et chacun des villageois pouvait à sa guise venir s'approvisionner. Il avait continué dans sa générosité, quand il avait offert un bout de parcelle pour y bâtir un cimetière, pour que l'ensemble de nos cousins puissent y reposer.

J'étais fier de Mohand Dendoune. Il avait réussi sa vie. J'ouvris toutes les portes de la maison, regarda attentivement chaque pièce. Je n'avais pas mis les pieds ici depuis 2012 et je remarquai pour la première fois que mon père avait décoré intégralement la maison à la française...


Nadir Dendoune
 
Patrick Dendoune


Le facteur n’avait pas hésité une seconde à foutre le courrier qui était destiné à un certain Patrick Dendoune dans la boîte aux lettres de mes parents. Avec le temps, il avait fini par me connaître admirablement et plus rien ne l’étonnait. Ce qui n'était pas le cas de ma frangine qui avait regardé plusieurs fois la lettre attentivement avant de la balancer directos à la poubelle.



Elle avait encore toute sa tête et peu importait si le courrier était orné de belles décorations et sentait la rose. Sur sa mémoire à elle qui était encore très vive, aucun Patrick Dendoune ne vivait au domicile familial. Pour elle, l’affaire était donc close.

En apprenant ce que ma sœur venait de faire, j’avais crié à cause de la panique comme émotion et j’étais descendu illico-presto à la benne à ordures retrouver la fameuse lettre. Ma Thérèse, celle qui mettait un peu de couleur dans la grisaille de mon existence, m’avait enfin écrit.

C’était une bonne nouvelle qui méritait largement que je fouille minutieusement dans un tas de *****. J’avais rencontré en 1990 cette fille au physique avantageux "Oh les einss", et qui allait changer ma vie de fond en comble, dans un train long courrier, reliant Paris à Prague. 24h de voyage: on avait donc tout le temps de faire connaissance dans un wagon qui nous appartenait à nous seuls.

Thérèse-un-qui-l’a-tient, était la fois de la Tchécoslovaquie et de l’Australie, un beau mélange audacieux pour le plus grand bonheur des yeux. Effectivement, elle avait de beaux cheveux lisses et des yeux couleurs Seine.

Comme toutes les filles normalement constituées de part et d’autre, elle rêvait tout haut et en couleurs de l’amour qui allait faire battre définitivement son cœur. Ca tombait bien pour elle : Thérèse avait tout de suite entendu au son de ma voix que j’étais de la France contemporaine et forcément, elle était au courant que le romantisme faisait partie des meubles de chez nous.

C’était pas la première fois qu’elle rencontrait un Français, m'avait-elle dit, elle avait même un ami, avec qui elle correspondait, un dénommé François qui vivait pas loin de la tour Eiffel et ce petit détail m’avait poussé à mentir sur mon prénom.

C’était pas très glorieux, je l’avoue, de prononcer un tel mensonge mais pardonnez-moi, je n’avais que 18 ans et même si j'avais toute la vie devant soi, j'avais le droit, comme tous les autres à vivre tout de suite, sans plus attendre, une belle histoire romantique. Il faut dire, pour justifier mon choix débile, que j'étais traumatisé de ce que je vivais à domicile.

En France, les Blanches snobaient les Gnoules en tout genre. Pour elles, nous étions que des sales bicots de la banlieue qui puaient. Les choses allaient changer en 1998 lorsque Zidane allait offrir la Coupe du Monde à la France et désormais nous allions devenir à la mode.

Pour ma part, à force d’entendre dénigrer la culture arabo-musulmane, j'avais donc été contraint de cacher une partie de moi-même que je n’arrivais pas à l'époque à assumer. Aujourd'hui, Wallah, j'en suis fier.

Thérèse avait trouvé que Patrick était un joli prénom et elle avait les yeux qui faisaient des bulles à chaque fois que j'ouvrais la bouche. Le train s'arrêtait souvent et fort heureusement pour notre amour naissant, personne ne venait nous déranger.

Juste après avoir dépassé la frontière allemande, j'avais décidé de passer à l'acte et j'avais pris sa main. Elle a accepté l'amour en prenant la mienne à son tour. Il manquait plus que la musique douce pour couronner le tout quand Thérèse déposa enfin un baiser sur mes lèvres.

On est resté enlacé ainsi comme des amoureux pendant des heures et j'ai voulu la suivre dans sa famille à qui elle rendait visite, quand le train est arrivé à Prague. Je voulais changer de vie. Thérèse s'est levée, elle avait les yeux trempés, c'était beau, et j'étais même pas au courant que je pouvais être aussi romantique.

On a juste eu le temps d'échanger nos adresses. Elle vivait à Sydney. La première lettre donc, j'avais failli jamais la recevoir. J'avais fini par dire à ma frangine que je me faisais appeler Patrick pour faciliter les relations avec les occidentales à la sauce blanche. Elle avait trouvé ça stupide et je lui avais fait promettre de ne rien dire à mes parents, qui ne comprendraient pas eux le changement d'origine.

Notre correspondance avec Thérèse-un-qui-l'a-tient avait duré trois longues années. Dans mes lettres, je ne lui parlais jamais de la cité. Il n’y avait que du rose, de l’espoir, de l’amour avec un grand A. Ça m’aidait à oublier les tours, le hall et le désespoir.

Je recevais trois lettres par mois. Des messages à couper le souffle. A faire rebattre le cœur d'un mort. Thérèse m’aimait comme Roxane aimait le jeune chevalier dans Cyrano de Bergerac. Je savais tout d’elle. Elle m’envoyait des photos de sa famille, ou du jour où elle avait obtenu son diplôme à l’Université. Elle semblait heureuse.

Une fois, elle m’avait dit que ses relations amoureuses tombaient toujours à l’eau parce qu’elle pensait tout le temps à moi. C'est un peu grâce à elle que je suis parti une première fois en Australie. Un voyage qui allait changer le reste de ma vie ...

Quand je lui ai dit que j’allais venir vers chez elle pour un raid en VTT, on a commencé à compter les jours. Arrivé aux antipodes, j’ai mis du temps à l’appeler. Le chevalier dans Cyrano se planque derrière les arbres, parce qu’il a peur de se retrouver seul à seul face à sa dulcinée. C’est facile d’être quelqu’un d’autre quand on écrit. Je me suis décidé finalement à l’appeler chez elle.

Septembre 1993, on est arrivé à Sydney avec Yannick, un ami de l'enfance. On a trouvé une piaule à 500 mètres de chez elle. Un pur hasard en fait. Je me suis préparé comme si je recevais l’Oscar du meilleur acteur. J’avais le cœur qui roulait aussi vite qu’un TGV. Le parfum "Byzance" dans la main gauche, en guise de cadeau, j’ai sonné à sa porte.

Elle vivait seule. Et Patrick Dendoune est entré. C’était comme dans un rêve. Il y avait une odeur suave et des lumières de toutes les couleurs qui illuminaient la salle de séjour. On a parlé pour rien dire. On attendait que l’un d’entre nous fasse le premier pas. Pas évident après tout ce temps. J’ai fini par la serrer dans un coin et la nuit a été fabuleuse. On avait dû regarder les mêmes films ou lu les mêmes bouquins.

Malheureusement, quelques jours se sont écoulés et on s’est rendu compte qu’on n’était pas sur la même longueur d’ondes. Et que c’est tellement plus facile d’aimer à travers des lettres. Patrick Dendoune est mort avec la fin de mon histoire avec Thérèse-un-qui-l’a-tient. Ce qui n’a pas empêché Nadir Dendoune, depuis, d’aimer avec la même passion. A la sauce Gnoule …


Nadir Dendoune
 
Le bordel de ma vie



Il y a quelques mois, l’hiver battait son plein, les arbres étaient tout nus et Hind était venue chaudement habillée à la maison, prendre le thé à cause de l’amitié qui nous unissait, et elle avait été choquée d’emblée par la situation physique de mon appartement. Elle me connaissait bien en vérité de la tête au pied mais surtout à l’intérieur de mon être. Elle n’était donc pas vraiment surprise de ce qu’elle venait de découvrir. Mon chez moi était un Bordel monstre.



La semaine dernière, un autre fusible avait sauté, une troisième prise électrique avait rendu l’âme, mais le plus grave c’était toutes ces choses avec lesquelles je me débattais depuis maintenant trop longtemps et qui avaient fini par encombrer l'intégralité de mon domicile. A tel point qu'il m’arrivait même parfois de ne plus pouvoir ouvrir ma porte d’entrée...

Alors, sans même prendre le temps de siroter une gorgée de son thé, Hind m’avait regardé direct dans les yeux avec un air de la gravité solennelle. Et elle m’avait dit : « Ecoute Nadir, ça ne peut plus durer tout ce bordel mécanique chez toi, tu dois te ressaisir. C’est ton bien être, pour ne pas dire ta santé, qui est en jeu ». Elle avait raison….

Depuis ma venue il y a cinq ans dans ce F2 avec vue impeccable sur la Seine, je n’avais fait aucun effort. J’avais juste passé mon temps à empiler des choses, à stocker, rechignant à jeter quoi que ce soit. La véracité des faits et Hind l’avait bien compris : en refusant de mettre de l’ordre dans mon appartement, je refusais de mettre de l’ordre dans ma vie.

Mon bordel, et fallait pas être diplômé en psychologie pour le comprendre, c’était mon incapacité à appréhender l’avenir sereinement. Et aussi un refus délibéré à regarder mon passé en face... parce qu'il avait été souvent fait de souffrances.

Il y avait tellement de choses que je voulais oublier et que je refusais d’affronter. Hind essayait de me rassurer, me promettant qu’elle serait là pour m’accompagner jusqu’au bout de cette aventure, sans doute la plus importante de toutes.

On décida alors de s’attaquer à l’Everest du désordre : ma chambre, la pièce où le bordel était le plus imposant. Il y avait des livres éparpillés partout, un vélo auquel il manquait une roue, mes affaires de sport, des cartons tout autour, des vêtements à même le sol et cette armoire.

Une grosse armoire titanesque, à moitié délabrée, qui tenait à peine en place, mais entièrement saturée, et pas seulement de fringues. Je commençais à faire le tri : ce que j’allais garder devait aller dans de beaux cartons, le reste finirait dans d’immenses sacs plastiques de 100 litres.

Mais je n’y arrivais pas. J’étais incapable de me séparer de mes choses : j’avais la nostalgie des grands jours. Je voulais quasiment tout garder. J’attachais encore trop d’importance à des objets qui selon Hind, n’en avaient pas tant que ça…. Mon amie tenta de me convaincre... Au début, en vain.

Le premier soir, elle rentra chez elle, me donnant rendez-vous le lendemain. La nuit ouvre le passage à la réflexion, pensait-elle. Et je restai ainsi seul dans mon bordel. Je ne pris même pas la peine de me laver ce soir-là. Je m’endormai en gardant mes vêtements, entouré de tous ces objets, de tous mes objets qui avaient façonné mon existence …

Chaque chose, chaque vêtement avait une histoire, me rappelait un morceau de ma vie … Des choses belles mais aussi des choses malheureuses. Je regardais tout attentivement. A un moment, j'ai eu envie de tout balancer. Tout foutre en l'air. Mais je n'osais pas. J'avais peur de ne pas être capable de vivre sans mon passé. Ces objets disaient beaucoup de moi, ils parlaient de mon histoire, de ce que j’avais été, de ce que j’étais aujourd'hui.

A un moment, en plein dans la nuit, je me suis levé pour aller fouiller. Je voulais affronter. Tout. Il y avait cette boîte que j'avais aperçue plusieurs fois mais que je n'avais jamais osé ouvrir. Je savais très bien ce qu'il y avait à l'intérieur.

Il y avait par exemple ce courrier de ma frangine, attaché à un poème de mon frère, ces deux-là me souhaitaient avec des mots remplis d’amour un bon retour au bercail après ma mésaventure irakienne. Ils avaient eu très peur pour moi, pensant un instant qu'ils ne me reverraient plus. Plus de deux ans après Bagdad, la blessure était encore très vive.

Il y avait également beaucoup de messages d’anonymes. Je les découvrais seulement aujourd’hui. Ce soir-là, j'étais prêt. Je lisais tout. Parfois, plusieurs fois. Ça me faisait du bien et en même temps j'avais mal à en crever de repenser à ce qui avait été le moment le plus dur de ma vie.

A côte de cette boîte à malheur, d'autres lettres étaient là. Des courriers de mes ex. Ça me faisait tout drôle de les relire.Il y en avait une de particulièrement bien écrite. Une lettre d'amour. A l’époque, je ne m’étais pas aperçu qu’elle m’avait aimé aussi fort. Ce bordel monstre c'était toute ma vie.

Hind revint le lendemain. On prit ensemble un café et elle me parla. Elle me disait qu'on ne pouvait pas bien sûr oublier son passé et que l'important était ailleurs. Il fallait juste le dépasser, apprendre à s'en servir de manière à ce qu'il ait des répercussions positives sur le présent : ne plus commettre les mêmes erreurs, évoluer, mûrir ... Le passé était une richesse même si parfois on avait l'impression que c'était l'inverse. Il y avait beaucoup plus à gagner à l'accepter, justement pour pouvoir s'en séparer et faire complètement autre chose.

Me laissant guider par Hind, avec sa volonté de rendre plus beau mon chez moi, elle m'aida à me débarrasser de ce qui m'avait pollué toutes ces années. Grâce à elle, je décidai enfin de lâcher prise ...



Nadir Dendoune



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Tout partait d’une belle et généreuse émotion comme souvent, mais Sofia, 38 ans il y a trois jours, n’avait pas le cœur à faire la fête. C’était sa meilleure amie qui avait organisé l’anniversaire surprise. Elle avait donné rendez-vous à tout le monde dans ce troquet parisien, pas très loin de la place de la République, un bar branché qu’elle avait privatisé pour l’occasion. Sofia n’avait rien deviné, éloignée dans ce temps où ses pensées se perdaient aux antipodes.



Sur le coup, Sofia avait souri, remercié les gens avec maladresse, usé de postures qui n’arrivaient pas à trahir son malaise. Malgré tout, elle était enchantée de voir ses proches réunis dans un même endroit, pour elle, une belle preuve d’amour. Enfin, c’est ce qu’elle s’évertuait à se dire. En vérité, si elle avait pu, elle les aurait tous envoyé bouler, ouste, mais ils étaient tellement heureux d’être là. On aurait pris son geste pour de l’impolitesse, de l’ingratitude, voire de la folie, alors qu’elle voulait juste rester seule. Qu’on lui foute la paix avec ce ****** d’anniversaire, une routine annuelle qui la déprimait plus qu’autre chose.



J’avais tout de suite vu que Sofia n’allait pas fort. Elle avait le regard éteint, les épaules basses, les joues creuses, car elle avait maigri. Je devinais un coeur lourd à travers son corps allégé.

Sur le papier qui fait croire aux autres que tout va bien, il n’y avait pourtant aucun nuage d'encre apparent. Pour beaucoup, Sofia n’avait aucune raison de broyer du sombre. Un passé rayonnant, elle avait la vie devant soi. Belle, intelligente, drôle, sympa et même bien foutue, grâce au sport qui était bien plus qu’une activité pour elle. Il ne pouvait donc rien lui arriver à cette nana. Grâce à de solides études, Sofia disposait également d’un bon boulot. Un job passionnant, bien payé, où elle voyageait à travers le monde et où elle se sentait parfaitement utile. Une vie bien remplie qui faisait beaucoup d’envieux, mais qui n’enfantait pas d’inimitié grâce à son excès de gentillesse. Le paradis pour elle et pour ceux qui l’entouraient. Issue d’un milieu délicat, elle était la fierté de toute sa famille. Mais aujourd’hui, elle avait 38 ans. Un peu plus du tiers de sa vie, quasiment la moitié de son existence s’était écoulée devant ses yeux pétillants, plutôt dans la joie et la bonne humeur donc. Sofia avait rencontré l’amitié durable, sincère, à maintes reprises : son cercle d’amis avait aujourd’hui l’épaisseur et la sécurité d’une armure. Mais le soir, en rentrant chez elle, la seconde après avoir posé ses clefs, elle se sentait seule au monde.



Comme beaucoup de ces nanas trentenaires talentueuses, Sofia était toujours à la recherche de l’âme frère, de l’homme de sa vie, de celui avec lequel elle serait prête à lâcher un peu de sa liberté. Parce qu’elle le savait : pour réussir sa vie à deux, il fallait signer une convention de compromis avec l’autre.

Pour la première fois de sa vie, elle s’en voulait un peu d’avoir tout misé sur sa carrière professionnelle, d’en avoir laissé partir quelques-uns, des mecs pas trop mal, mais qui lui avaient mis la pression alors qu’elle n’avait à peine 28 ans et que la vie lui ouvrait grand les bras. La seconde d’après, elle s’en voulait d’avoir eu de telles pensées. Oui, elle avait eu raison de faire de longues études. Aujourd’hui, elle était à l’aise financièrement, elle ne manquerait plus jamais de rien. Pas comme ses parents, anciens colonisés d’Algérie, analphabètes de surcroit, et qui avaient vécu en se suffisant à eux-mêmes, faisant attention à chaque franc dépensé. Sofia faisait faux-bond à son mektoub.



Depuis trois ans, depuis qu’elle avait éteint sa 35e bougie, elle pensait de plus en plus au succès de sa vie sentimentale. Elle voyait ça comme un énième challenge. Après avoir gravi les marches professionnelles, il était temps pour elle de s’occuper de son petit cœur qui ne demandait qu’à vibrer. Oui, elle était prête pour l’amour.

À 35 ans, elle était encore jeune, pensait-elle. Sofia savait que pour trouver son prince, il fallait sortir un peu plus, passer un peu moins de temps au travail. Alors, elle s’exécutait. Elle, qui avait sacrifié ses soirées et ses week-ends pour son boulot, commençait enfin à penser à elle. Elle allait au cinéma, dans les bars, dans les soirées, répondait présente à des

vernissages d'expositions. Tout ce qu’il fallait faire pour trouver l’autre. Sofia plaisait à beaucoup, pour ne pas dire à tous les hommes. Au début, elle attendait patiemment la flamme, se disait qu’elle n’était pas pressée, qu’il était sûrement là, quelque part à l’attendre, qu’il fallait laisser faire le destin. Rien de plus. Au bout d’une année passée de quelques mois et après quelques flirts, elle commençait à douter, pour ne pas dire désespérer. Alors, elle redoubla d’efforts. On la voyait partout, plus belle que jamais. Elle parlait avec tout le monde, multipliant ainsi ses chances de le rencontrer. Mais son cœur ne vibrait toujours pour personne. Bien sûr, il y avait eu quelques garçons avec qui elle avait tenté l’aventure. Comme Driss, ce tout jeune quarantenaire, qui l’avait envoûtée dès les premières paroles échangées. Elle s’était dit Ouf je l’ai enfin trouvé. Mais elle avait vite déchanté : Driss, divorcé, deux enfants, ne voulait pas d’une autre vie rangée dans les cases. Il disait qu’il avait assez donné. Il voulait juste quelqu’un avec qui sortir, passer du bon temps, se tenir compagnie.



Peu de temps après, il y a eu Mohamed. Un baroudeur qui n’avait pas vu le temps passer. Mais Mohamed n’avait pas besoin d’une compagne, mais d’une femme qui s’occupe de lui, comme sa mère l’avait fait par le passé. Il était incapable de se projeter vers l’avenir, le syndrome de Peter Pan n’était pas prêt de le lâcher…



Après Mohamed, elle tomba dans une grosse déprime et voulut entendre parler de personne. De nouveau, elle passait beaucoup de temps au travail, ne sortait quasiment plus....

Puis, Toufik est arrivé, par hasard, avec qui l'aventure dura plusieurs pleines lunes. C’était à une soirée d’anniversaire d’une de ses amies. Sofia s’apprêtait à rentrer chez elle et ils avaient partagé un taxi ensemble. Il avait 38 ans, n’avait pas d’enfant. Toufik était libre comme la terre et ouvert comme le ciel. À ses côtés, elle riait beaucoup. Toufik était de loin le meilleur homme qu’elle avait connu ces derniers temps.



Les deux avaient des passions en commun, le sport, le cinéma, le théâtre, la poésie, et même le boulot, qui avait pour lui une place importante dans sa vie.

Quelques mois après leur première rencontre, Toufik, fou amoureux de Sofia, la demanda en mariage.

Elle avait 36 ans et quelques, bientôt 37 : ça tournait à l’intérieur à fond la caisse. Et puis, un moment, il fallait bien se lancer, se disait-elle.

Les enfants, le foyer, la famille, les réjouissances d’un bonheur à plus que deux : allons-y, yallah habibi ! Leur mariage fut un beau mariage. Ils emménagèrent à quatre pieds unis dans un bel appartement à Levallois, en bordure de Seine romantique. Tout semblait nickel.



Un dimanche matin, trois petits mois après la mairie, Sofia se leva très tôt. Toufik dormait toujours. Elle le regardait fixement. Elle ressentait énormément de tendresse pour lui, mais elle venait de se rendre compte qu'elle ne l’aimait pas d’amour.

Parce que sa tête avait voulu se caser à tout prix, son coeur n’avait pas pris le temps de se cogner à la bonne personne….

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« Sale Français ! »

Il y a parfois des insultes qu’on aimerait entendre plus souvent de la bouche de certains et c’est pas parce que je suis connu pour ma vulgarité qui est en vérité un second degré pas accessible à tous, que je dis ça. C’est juste que la vie a été conçue de travers sinon on serait tous heureux ensemble.



Cette histoire de la découverte de ma françitude que je vais vous raconter commence aux alentours d’octobre 1995, non pas dans mon pays, la France, mais à l’autre bout de la terre, quelques mois après mon arrivée à Sydney, qui n’est pas la capitale de l’Australie et ça serait bien d'arrêter de la confondre avec Canberra.



A l'époque, Jacques Chirac, nouvellement élu à la tête de la République française, décide de reprendre les essais nucléaires. Quel *** ! C’est le hasard qui fait mal les choses, puisque notre président a prévu d’essayer ses bombes en Nouvelle-Zélande, à une heure d’avion d’où je me trouve.... Sympa.



L’histoire continue dans un pub noir de monde, un soir où l’équipe de France de rugby joue contre les Australiens. Un écran géant assure alors la retransmission de la rencontre et nous sommes deux, avec un autre ami fromage qui sent très fort, à supporter les Bleus. J’ose même, ce soir-là, un petit drapeau bleu blanc rouge que j'ai peint sur ma joue gauche, quelque chose que je n’aurais jamais pu faire au pays. Bref.

A l’époque, les rugbymen français jouent très bien et on a droit à plusieurs essais de leur part. J’applaudis chaque point marqué et quelques Australiens semblent agacés par mes encouragements ostentatoires, mais ils gardent tout de même leur calme malgré leur fort taux d’alcool élevé.

Sauf l’un d'entre eux, de loin le plus costaud, un molosse qui avoisine les deux mètres de hauteur. Eméché comme les autres, il finit par s’approcher de moi pour m’insulter de très près. Son insulte préférée qui devient pour le coup mon insulte préférée est basée sur l’origine de l’autre. Je sais : c’est pas original. Mais ce n’est pas celle à laquelle vous pensez. C’est celle qui se rapproche le plus de la réalité…



Comme c’est la première fois qu’on me traite de « Sale Français » et que pour bien communiquer, il faut toujours s’habituer aux mots des autres, je sais pas trop quoi répondre. Comme un couillon, je regarde même derrière moi pour être sûr que le colosse parle bien de moi. Et effectivement, y avait pas de doutes à avoir : le sale Français c’était moi. Bougnoule en France, Français en Australie…



A vrai dire, l’Australien ne fait aucune différence entre mon ami, un « Blanc » et moi le basané. Pour lui, on est tous les deux, deux gros ******* de Français. Je le regarde. Et je réfléchis. Je me souviens, qu’en France « Sale Arabe » me met dans tous mes états, mais là, je suis presque heureux et je lui réponds même par un sourire.



Surpris de ma réaction, ne comprenant pas que je réponde à son insulte, en lui montrant toutes mes dents. Il s’éloigne et j’ai presque envie de lui dire « merci, thank you » pour être sûr qu’il soit au courant de ma gratitude.



J’ai envie de le remercier parce que le mastodonte qui ne me connaît pas du tout est si proche de la vérité. Oui, il a raison le bougre : je suis un Sale Français. Un arrogant, un Monsieur-je-sais-tout chauvin qui fait la leçon à la Terre entière. J’ai envie de lui dire tout ça, mais il est déjà parti embêter une demoiselle.



Je repense à ma vie en Hexagone. En France, si je suis malpoli, je suis un sale Arabe. Si je suis poli, je suis un Arabe bien comme il faut (c’est-à-dire pas comme les autres). Là, je suis un Français avec tous ses défauts. La classe !



Après cette soirée où les Bleus ont fini par l’emporter, je me suis rendu compte que je n’avais jamais été français jusqu’à ma venue aux antipodes. Triste constat. A Sydney, je le suis devenu. En aucun cas, j'ai été, comme en France, un Algérien maquillé Bleu-Blanc-Rouge.



Certes, je restais un étranger en Australie, oui, mais comme l’est un Suédois à Paris. C’est comme si un type avait dépoussiéré le cadre d’une vieille croûte familiale et qu’il réalisait brutalement que le tableau est un Monet. J’étais ce tableau.



Fallait que j’aille au bout du monde pour comprendre que j’avais été berné jusqu’au cou. Pour pas dire autre chose. Pour comprendre aussi que quand tu nais dans un bled, et que tu y passes toute ta jeunesse, tu ne peux pas être autre chose que du pays.



C’est pour ça qu’on a inventé le droit du sol, parce qu’on a compris qu’on pouvait être français et basané, asiatique ou noir. Que c’est le vécu commun, positif ou négatif, qui fait la nationalité !



Et le plus important, c’est qu’à force d’être regardé comme Français, j’ai changé le regard que j’avais sur moi-même: je suis devenu un Français. Avec mes différences. Comme les autres. Avec mes qualités et mes défauts. Comme les autres. Je n’étais plus « Français, mais d’origine algérienne », mais « Français ET d’origine algérienne ».



Malheureusement, je suis revenu au bercail, drapé aux couleurs bleu-blanc-rouge. Et si j’avais su que la France allait m’enterrer vivant de cette façon, je ne serais jamais rentré.



Nadir Dendoune

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Les silences de ma mère

Cette fois-ci, je n’ai pas eu à mentir à maman. Car cette fois-ci, je ne partais pas escalader l’Everest, bien que je m'envolais dans quelques heures pour Kathmandu. J'allais juste assister au tournage d'un film. Pas n'importe lequel : celui qui racontait mon ascension improbable mais victorieuse sur la plus haute montagne du monde en 2008.


Il y a 8 ans, le 2 avril, je partais en secret gravir L'Everest. Seule ma chérie de l'époque avait été mise au courant de ma destination finale. Elle avait dû batailler ferme sur l’oreiller pour que je crache le morceau. Pour la famille et les amis, officiellement, j’allais juste faire un "trek au Népal". J’imaginais la scène si j’avais dit la vérité. « Salut, je pars gravir l’Everest ». « Mais t’as jamais grimpé une montagne de ta vie Nadir et tu t’attaques à l’Everest ». J'ai préféré le mensonge pour éviter l'inquiétude. Et j'ai eu raison.

Sur place, j'en ai bavé pendant deux mois comme je pensais pas qu'on pouvait avoir autant mal dans une vie. Une fois le sommet atteint, je suis redescendu au camp numéro 2 à 6400m où j'ai pu appeler ma mère. Elle avait reconnu mon souffle bien avant que je prononce une sylabbe.
Elle n'avait pas eu de nouvelles de moi depuis quelques semaines. Elle a dit : "Nadir, mon fils, ça va ?". J'étais faible, crevé à en mourir, à peine la force de parler. Déjà qu'en temps normal, les mots font souvent la gueule. Et j'ai respiré un grand coup pour que les mots soient gentils avec moi. "Oui, tout va bien", j'ai dit en essayant de cacher mon émotion, je l'avais déjà assez inquiétée comme ça.
J'ai voulu lui dire que j'avais gravi la plus haute montagne du monde, que j'étais allé au bout du bout pour elle et pour papa mais j'ai rien dit. La pudeur, je crois. Et puis, ma mère ne sait pas lire et écrire et j'avais peur qu'elle ne comprenne pas tout.
Ce samedi 19 mars, j'étais de nouveau sur le départ. Cette fois-ci, je me suis assis aux côtés de ma mère pour lui dire toute la vérité. Elle avait préparé un café au lait. "Maman, le cinéma fait un film sur mon histoire. Ça passera même à la télé". Elle ne m'a pas répondu. Même son visage est resté impassible. C'était pourtant une superbe nouvelle qui aurait dû la faire sauter de joie. Mais non, elle ne disait rien.
Au moment de la prendre dans mes bras parce qu'il était temps de partir, elle a quitté sa cuisine et est revenue avec un sac plastique rempli de bananes qu’elle avait achetées le matin au marché. « Dans l’avion, on nous donne à manger », j’ai dit. « Mais pas à l’aéroport mon fils ». Elle m’a aussi obligé à prendre avec moi une bouteille d’eau et un paquet de gâteaux au chocolat.
Ma mère croit que journaliste, surtout quand on travaille de chez soi, ne fait pas vivre un Gnoule. Et puis, elle s'inquiète de mon poids. Maman trouve toujours que je suis trop maigrichon parce qu'elle se base trop sur les gens qu'elle rencontre.
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En sortant de son immeuble, j'étais tellement perturbé par son absence de réaction positive que j'ai décidé de remonter la voir. J'avais prévu large et j'avais encore quelques minutes devant moi. Je l'ai retrouvée assise sur une chaise qu'elle avait placée juste à côté de la fenêtre pour profiter un peu de l'air frais qui pénétrait avec douceur dans sa chambre. En ce 19 mars 2016, maman écoutait à la radio une émission qui commémorait le "Cessez-le- feu" de la Guerre d'Algérie. Née en 1936, elle avait bien connu cette époque. Elle s'en souvenait encore très bien. Cette émission lui faisait remonter des souvenirs.
Elle a été surprise de me voir revenir. "Pourquoi tu dis jamais rien quand je te parle de mes bonnes nouvelles ? ". Elle avait l'air surprise par ma question. Elle a dit en kabyle parce qu'elle voulait être précise dans sa réponse, en n'osant pas me regarder droit dans les yeux."Tu sais mon fils, j'ai appris la pudeur comme on apprend une leçon. Ne pas "dire" ce n'est pas ne pas "penser". Bien sûr que je suis fière de toi. Je l'ai toujours été, même quand tu faisais des bêtises. Parce que je sais qu'au fond, tu es quelqu'un de bien. Pour moi, que tu grimpes des montagnes ou que tu passes à la télévision, peu importe. Si tu es bien dans ta vie, je suis heureuse". Elle s'est arrêtée une minute. Puis, m'a regardé cette fois-ci droit dans les yeux. "Je suis surtout fière de ce que tu es : un homme libre: tout ce que ton père n'a pas pu être. "
 
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