Pour une “Muslim Pride ‘
Rue89 : Après les attentats de la semaine passée, beaucoup de voix s’élèvent pour demander aux musulmans d’agir. De prendre leurs responsabilités. Comment peuvent-ils le faire, sans donner l’impression de se justifier ?
Raphaël Liogier : Les musulmans doivent descendre dans la rue, même s’ils sont dissemblables. Je n’appelle pas du tout à la révolte – loin de là – mais comme c’est le cas depuis quelques années, à une Muslim Pride’.
Ils sont discriminés dans beaucoup de regards et dans une certaine mesure, par l’appareil d’Etat. Ils sont considérés comme étant une force d’islamisation intentionnelle, qui devrait à chaque événement où elle est mise en cause, réagir comme un seul bloc.
Qu’ont fait les homosexuels il y a quelques années ? Ils se sont réunis, malgré leurs différences, pour demander qu’on arrête de les considérer comme une communauté homogène et surtout, pour montrer qu’ils assument ce qu’ils sont.
Cette ‘Muslim Pride’ se situerait dans la grande tradition française d’expression des opinions dans l’espace public, qui, quoiqu’on en dise, ne peut être neutre. Comme pour les gays, ce sera critiqué. Mais contrairement à ce que pensent certains, c’est encore pire quand les musulmans se cachent, puisque cela alimente encore plus les fantasmes.
Là, le message serait ‘vous ne devez pas avoir peur de nous et on vous explique pourquoi’, en se jouant des clichés et des préjugés. A défaut d’éradiquer le racisme ordinaire, la mise en scène contribuerait à dégonfler la paranoïa générale. Du côté des musulmans, on se réapproprierait une fierté, celle d’assumer une foi considérée comme particulière.
Si l’on revient à des choses plus pragmatiques, la formation des imams est-elle réellement une priorité ?
Non. Les jeunes qui tendent vers le djihadisme ne passent généralement pas par la case islam. Ils ne rencontrent pas d’imams, encore moins quand ils les considèrent comme ‘mous’. Il faut casser la mise en scène qui poussent ces jeunes à croire que le djihad représente la dernière chance pour eux de devenir des héros.
Quand on est stigmatisé pour ce à quoi on ressemble, on finit par ne plus arriver à se construire une image positive. On en vient à nourrir un mépris de soi. A Marseille, des jeunes se traitent de ‘sales arabes’ alors qu’ils s’appellent Mohamed, à l’image des noirs qui se qualifient de ‘nigger’ aux Etats-Unis. Ce mépris de soi finit par se transformer par une haine de l’autre.
Je ne crois pas non plus à l’idée selon laquelle l’éducation religieuse des parents serait à l’origine de la dérive djihadiste des enfants. Cela ne veut pas dire que celle-ci est parfaite, mais que le djihadisme obéit à des logiques plus complexes.
Souvent, on se rend compte que ces jeunes n’ont pas reçu d’éducation religieuse musulmane et qu’ils ont grandi dans un milieu très défavorisé, qui globalement, complique toutes les formes d’éducation et engendre de la faiblesse et de la frustration.
Tous les Hommes ont un désir d’être. Les djihadistes expliquent à ces jeunes qu’ils ne pourront pas changer ce qu’ils sont et leur donnent l’occasion de devenir des héros, justement parce qu’ils sont d’origine musulmane.
Quel rôle peut jouer l’école dans tout ça ? Est-ce qu’il faut réfléchir à une autre manière d’aborder le fait religieux ?
A l’école, raconter une énième fois la religion comme une ‘leçon de morale’ – en essayant de désigner qui sont les bons et les mauvais musulmans – n’est pas rassembleur et ne mènera à rien de concret avec les jeunes de confession musulmane. Cela peut marcher sur des adultes, déjà formés intellectuellement, mais pas sur des enfants.
Ces derniers ont besoin de quelque chose de ‘viril’ – au sens ‘héros’ – auquel s’identifier pour leur donner l’occasion de pouvoir se narrer héroïquement. De ressentir du frisson. L’enfant a besoin de se construire une narration positive de lui-même, loin des stigmates qu’on lui renvoie.
Concrètement, parler de ‘musulmans modérés’, ce n’est pas attirant. Les ados sont en recherche d’aventure, ce qui est normal à cet âge-là où l’on n’est pas dans la demi-mesure et où l’on ressent besoin de se sentir pas comme les autres.
Plutôt que de leur répéter que les musulmans devraient être solidaires, il faudrait leur dire que parmi les héros de la République, il y a des musulmans, comme Ahmed Merabet, qui est mort pour sauver des gens ou Lassana Bathily, qui a fait preuve d’un courage remarquable. Il faut insister là dessus et mettre ça en avant.
Il faut leur donner l’occasion de se représenter positivement, à l’inverse de ce qu’ils s’imaginent être et de ce qu’il leur est renvoyé, pour qu’ils puissent raconter une histoire dont ils soient fiers.