Le crépuscule de la presse

thitrite

Contributeur
Contributeur
Le crépuscule de la presse, par Mokhtar Larhzioui


Un autre quotidien baisse le rideau. Et alors ? Personnellement, je ne ressens aucune tristesse ni chagrin quand j’entends une pareille info, et je peux même dire qu’elle me satisfait. Je considère en effet que les jeunes et moins jeunes qui travaillaient dans ce périodique iront se chercher et se trouver une occupation, une vraie occupation, un emploi, un métier, un job, quoi… Une profession dont ils pourront se prévaloir, et quand ils le diront à leurs connaissances, elles ne leur répondront pas avec engouement, après avoir jeté des regards alentour : « Journaliste, mais c’est bien ça ! Et à part la presse, tu la gagnes comment, ta vie ? ».

« Je suis vendeur au détail », très chers amis. Franchement, je pense que c’est là la solution à la crise de la presse dans ce pays : fermons toutes nos rédactions. Que les plus jeunes s’en retournent à leurs bancs d’écoles et qu’ils terminent des études prématurément arrêtées pour aller à un métier qui nécessite une solide formation ; que ceux qui sont plus âgés optent pour des professions libérales ou reprennent langue avec les associations de chômeurs qu’ils avaient larguées pour la presse ; et que, enfin, les séniors aillent prendre une retraite amplement méritée.

Car, au final, qu’aura à perdre ce bon peuple du Maroc si un beau matin il se réveille et qu’il ne trouve rien dans les kiosques ?

Rien. Assurément rien. Il se souviendra des noms des journaux et puis il sourira, avant de vaquer à ses occupations. Nous sommes en effet le seul pays où la presse disparaît des kiosques trois ou quatre jours à l’occasion de fêtes, et sans que personne n’y trouve rien à redire, ni ne conteste ni ne s’inquiète. Bien au contraire, les gens se contentent de hausser leurs frêles épaules et de verser dans le sarcasme : « Pas de journaux aujourd’hui ? Et ben ça tombe bien, parce que ça nous reposera un peu de tout ce nihilisme et de ces articles qui ne veulent rien dire et qui ne valent pas plus ».

Et puis, à propos, parlons-en, de ce merveilleux lecteur de notre presse. Il va s’attabler à un café, commande un « noss noss » (moitié café moitié lait), un breuvage qui n’existe d’ailleurs dans aucun autre pays au monde qu’au Maroc, et puis il s’enquiert de la situation de sa note. Le serveur répond évasivement, puis lance un vague « pas grand-chose, Monsieur, ça peut attendre »… une réponse qui sied parfaitement à Son Excellence le client, qui demande aussitôt « ses » journaux, avec cette condition expresse que la grille soit vide, la grille des mots croisés bien entendu, sans lesquels toute la profession se trouverait en péril.

Et la lecture commence : « Tu as terminé Assabah, donne-moi al Massae mais garde Akhbar Alyoum… n’aurais-tu pas vu ici al Ahdath aujourd’hui ? », et ainsi de suite…
La lecture s’achève, en même temps que les journaux, les grilles sont remplies, le « noss noss » est bu jusqu’à la lie… et notre immense lecteur lance au serveur un nonchalant et habituel « y a rien dans ces journaux, toujours aussi vides, ces satanés canards ! », puis lui jette royalement 20 centimes, qui est notre prix et notre valeur à tous, depuis l’auteur du plus grand éditorial, qui pense que la terre entière va tourner autour de sa prose et que l’opinion publique en sera bouleversée, jusqu’au dernier des périodiques locaux.
Et nous avons aussi le ministère de tutelle, ou plutôt les responsables du secteur. A ce propos, je me suis toujours demandé pourquoi dans ce pays les gens en charge d’un domaine en sont toujours très éloignés, voire plus éloignés que quiconque… Un exemple, peut-être ? Ali Fassi Fihri à la tête du football national. Quand avez-vous déjà vu cet homme, vous ou vos parents, jongler avec un ballon, ou même le toucher du pied ou même de la main ? Et des exemples comme celui-là ne manquent vraiment pas chez nous.
Au Maroc, on raconte toujours cette plaisanterie qui veut que l’on confie des secteurs entiers à des individus qui n’en ont qu’une vague connaissance, afin sans doute de découvrir leurs talents cachés dans ces domaines. Et la presse ne déroge pas à cette « règle » ; et même le jour on l’on avait chargé un homme éminemment respectable et respecté comme Mohamed Larbi Messari de s’occuper de la presse, on lui avait gentiment fait comprendre qu’il ne pourrait rien faire, au point qu’il avait compris et qu’il s’en était allé, lui, l’homme du métier.
Notre profession a accueilli ces dernières années tout le monde et n’importe qui, au point qu’il est devenu gênant de dire qu’on est journaliste, c’est-à-dire collègue de certaines personnes. Presse écrite, presse gravée ou gavée, presse électronique et unique, presse sous commande, presse du « je m’oppose, donc je suis », presse à pub pour fils de pub, presse anti-presse, presse sans le savoir, presse du « allons-y, on verra bien » et bien d’autres types de presse encore…
Et n’oublions pas le niveau d’enseignement, et celui de la conscience, de la culture, du pays, et de bien d’autres choses.
C’est pour toutes ces raisons que les gens ne doivent pas se lamenter en apprenant qu’un journal a disparu ; bien au contraire, félicitons nos confrères d’avoir enfin échappé à un si dur métier, et que nos vœux les accompagnent dans leur quête d’une occupation meilleure.
Mais nous sommes persuadés que le crépuscule de la presse ne fait que commencer, et que le pire, bien pire que ce que nous pouvons imaginer, est à venir. Et arrêtons-nous là, il vaut mieux.


PanoraMaroc
 

thitrite

Contributeur
Contributeur
je cite et je partage :

"'La realite est que la non qualite existe malheureusement partout et le journalisme n’est pas une exception. Pour atteindre la bonne qualite il faut se former de maniere continue et de facon approfondie. Chose que peu de journaliste font. Ils ecrivent, c’est tout. Tiens, moi aussi je peux ecrire. Et le defi au journaliste de nos jours justement c’est de justifier la necessite de leur existence dans un monde ou tout le monde ecrit sur le net. En quoi le journaliste est different? Eh bien avec une formation solide, un integrite hors paire, et un savoir profond et pointu dans le domaine ou il ecrit. Parce que si c’est des amateurs, alors la il y en a partout."
 
Haut