kamomille
VIB
Léchec de Thessalonique
Pas de croissance européenne
sans davantage dimmigration
de Olivier Pastré*
Pas de croissance européenne sans davantage dimmigration
Le Sommet européen de Thessalonique vient de se terminer et, une fois de plus, la politique en matière dimmigration fait figure dorpheline de la construction européenne. Certes, quelques micro-décisions ont été prises, comme la création (attendue depuis si longtemps) dune base de données sur les visas pour lutter plus efficacement contre limmigration clandestine. Certes, quelques vux pieux ont été formulés, comme ceux relatifs à la « conclusion rapide daccords de réadmission » des immigrés clandestins « avec les pays-tiers dorigine ». Mais, sur le fond, comme à Séville, en Juin 2002, rien de significatif et dambitieux na été décidé. Sur un sujet dont, pourtant, dépend à tous points de vue lavenir de lEurope.
Nous sommes, en effet, tous les jours, abreuvés dinformations visant à associer « immigration » et « montée des risques politiques et sociaux ». Ces risques sont réels et doivent être pris en compte et encadrés. Mais ils se doivent aussi dêtre contrebalancés par une autre vérité qui, elle, est dordre économique : limmigration a toujours constitué, constitue et constituera toujours un des principaux fondements de la croissance économique de longue période et, à ce titre, doit être encouragée. Ce qui est vrai partout et toujours lest particulièrement aujourdhui en Europe. Les femmes européennes ne font, en moyenne au cours de leur vie, que 1,4 enfants alors quil en faudrait 2,1 au moins pour renouveler la population. Par ailleurs, lâge médian de la population des Quinze, qui est aujourdhui de 38,5 ans, sera en 2050 de 48,5 ans (lEurope du Sud tirant vers la sénilité lEurope du Nord). Même avec un taux de 2,1 enfants par femme et un doublement du flux dimmigration, lEurope nassurerait en 2050 quun ratio de 2,5 jeunes pour un vieux contre 4 pour un aujourdhui. Bonjour le financement des retraites européennes à cet horizon
Il faut donc encourager limmigration en Europe. Dabord, cela constitue, avec lencouragement à la natalité (politique abandonnée dans la plupart des pays européens depuis plus de 10 ans), le seul moyen de rajeunir notre population. Aujourdhui déjà, la proportion de personnes âgées (plus de 65 ans) dépasse la proportion des jeunes (moins de 15 ans) en Allemagne, en Grèce, en Italie, au Portugal et en Espagne. Bien difficile, dans ces conditions, de régler des problèmes aussi graves que celui des différentiels de productivité avec dautres zones géographiques, de financement des retraites ou de rééquilibrage des comptes sociaux. A cela sajoute une deuxième raison, des goulots détranglements dans certains métiers et dans certains secteurs que léducation ne peut, à elle seule, desserrer et quune politique dimmigration non volontariste (inévitablement biaisée dans le sens des qualifications les plus faibles) ne peut quaggraver.
Il est clair qu un accroissement des flux migratoires entrant dans lUnion ne va pas sans poser de problèmes sociologiques et politiques. Mais lexemple des Etats-Unis est là pour nous montrer quil est parfaitement possible de gérer ces problèmes (lexemple américain ne constituant, certes, pas plus là quailleurs, une référence absolue). Avec 56 millions dimmigrés et denfants dimmigrés, soit un cinquième de la population américaine, les Etats-Unis ont, a un coût social qui paraît à ce jour acceptable, un taux dimmigration deux fois supérieur au nôtre (6,6% contre 3,5% en Europe). LEurope a donc encore de la marge.
LEurope a, en matière dimmigration, à ce jour, à peu près «tout faux». Démonstration en quatre temps : dabord, trop dimmigration clandestine (environ 500 000 personnes par an, alors même que lélargissement va nous mettre aux portes de la Russie et autres Républiques sétant fait une spécialité ce nest pas un jugement de valeur, cest un fait du trafic dêtres humains); ensuite, insuffisamment dimmigration «officielle» (on plafonne dans ce domaine à 1 million); par ailleurs, et cest sûrement celà le plus grave, une politique dite «de Schengen» qui a organisé la libre circulation au sein des frontières sans préalablement vérifier que celles-ci existaient vraiment; enfin, cela étant la conséquence de ceci, une politique qui fait de la répression «lalpha et loméga» de la normalisation (en Allemagne et en Espagne au moins autant quen France).
Une véritable politique européenne dimmigration doit sappuyer sur deux piliers.
En premier lieu une lutte renforcée à léchelle européenne contre limmigration clandestine. Cette lutte ne peut et ne doit se faire efficacement quà léchelle communautaire. Cette lutte passe peut-être par des mesures (certes difficiles à définir et à mettre en uvre) de rétorsion contre les pays qui délibérément refusent de « jouer le jeu». Mais, au-delà dune indispensable banque de données des visas accordés, elle passe surtout par la création dune véritable police des frontières européennes. Les quelques millions deuros débloqués à Thessalonique pour la formation des garde-frontières sur la période 2004-2006 constituent, au mieux, un « cache-misère». Or, dans ce domaine, il faut sen convaincre: le roi européen est nu
Mais la politique européenne dimmigration doit aussi et surtout passer par des flux migratoires officiels plus intenses. Le plus important consiste à trouver un juste équilibre dans ces flux. Car le «pillage du Tiers Monde» ne peut impunément se déplacer des matières premières vers les êtres humains. Ce souci déquilibre ne relève en aucun cas de langélisme mais du plus plat des pragmatismes. Intensifier le «brain drain» du Sud vers le Nord privera, à terme, le Nord des débouchés sans lesquels aucune croissance européenne ne pourra être durable. Il faut donc chercher, avec chacun des pays concernés, des accords permettant de faire profiter lEurope de la main duvre dont elle a besoin tout en organisant à court et à long terme un recyclage du capital humain dans son pays dorigine. La redéfinition des conditions dattribution des bourses détude et la refonte complète des dispositifs d «aide au retour» constituent deux vecteurs, parmi dautres, dune telle ambition.
Sachons pour une fois être pragmatique. Toute politique dimmigration a toujours et partout répondu au principe de nécessité . Aujourdhui, même si nous le vivons plus mal, le taux dimmigration na jamais en Europe, été aussi bas . On est bien loin de l«Europe submergée» décrite par Alfred Sauvy il y a plus de 20 ans. Il faut donc réagir. En se refusant aux replis identitaires qui sont nécessairement castrateurs. En se donnant comme objectif à très court terme une augmentation de 500 000 immigrés officiels de plus par an (et de 1 million à horizon de cinq ans). Mais en définissant- car cest cela que doit être lidentité européenne- les voies de cette ambition de manière responsable et donc solidaire.
(*) Professeur à lUniversité de Paris VIII
Pas de croissance européenne
sans davantage dimmigration
de Olivier Pastré*
Pas de croissance européenne sans davantage dimmigration
Le Sommet européen de Thessalonique vient de se terminer et, une fois de plus, la politique en matière dimmigration fait figure dorpheline de la construction européenne. Certes, quelques micro-décisions ont été prises, comme la création (attendue depuis si longtemps) dune base de données sur les visas pour lutter plus efficacement contre limmigration clandestine. Certes, quelques vux pieux ont été formulés, comme ceux relatifs à la « conclusion rapide daccords de réadmission » des immigrés clandestins « avec les pays-tiers dorigine ». Mais, sur le fond, comme à Séville, en Juin 2002, rien de significatif et dambitieux na été décidé. Sur un sujet dont, pourtant, dépend à tous points de vue lavenir de lEurope.
Nous sommes, en effet, tous les jours, abreuvés dinformations visant à associer « immigration » et « montée des risques politiques et sociaux ». Ces risques sont réels et doivent être pris en compte et encadrés. Mais ils se doivent aussi dêtre contrebalancés par une autre vérité qui, elle, est dordre économique : limmigration a toujours constitué, constitue et constituera toujours un des principaux fondements de la croissance économique de longue période et, à ce titre, doit être encouragée. Ce qui est vrai partout et toujours lest particulièrement aujourdhui en Europe. Les femmes européennes ne font, en moyenne au cours de leur vie, que 1,4 enfants alors quil en faudrait 2,1 au moins pour renouveler la population. Par ailleurs, lâge médian de la population des Quinze, qui est aujourdhui de 38,5 ans, sera en 2050 de 48,5 ans (lEurope du Sud tirant vers la sénilité lEurope du Nord). Même avec un taux de 2,1 enfants par femme et un doublement du flux dimmigration, lEurope nassurerait en 2050 quun ratio de 2,5 jeunes pour un vieux contre 4 pour un aujourdhui. Bonjour le financement des retraites européennes à cet horizon
Il faut donc encourager limmigration en Europe. Dabord, cela constitue, avec lencouragement à la natalité (politique abandonnée dans la plupart des pays européens depuis plus de 10 ans), le seul moyen de rajeunir notre population. Aujourdhui déjà, la proportion de personnes âgées (plus de 65 ans) dépasse la proportion des jeunes (moins de 15 ans) en Allemagne, en Grèce, en Italie, au Portugal et en Espagne. Bien difficile, dans ces conditions, de régler des problèmes aussi graves que celui des différentiels de productivité avec dautres zones géographiques, de financement des retraites ou de rééquilibrage des comptes sociaux. A cela sajoute une deuxième raison, des goulots détranglements dans certains métiers et dans certains secteurs que léducation ne peut, à elle seule, desserrer et quune politique dimmigration non volontariste (inévitablement biaisée dans le sens des qualifications les plus faibles) ne peut quaggraver.
Il est clair qu un accroissement des flux migratoires entrant dans lUnion ne va pas sans poser de problèmes sociologiques et politiques. Mais lexemple des Etats-Unis est là pour nous montrer quil est parfaitement possible de gérer ces problèmes (lexemple américain ne constituant, certes, pas plus là quailleurs, une référence absolue). Avec 56 millions dimmigrés et denfants dimmigrés, soit un cinquième de la population américaine, les Etats-Unis ont, a un coût social qui paraît à ce jour acceptable, un taux dimmigration deux fois supérieur au nôtre (6,6% contre 3,5% en Europe). LEurope a donc encore de la marge.
LEurope a, en matière dimmigration, à ce jour, à peu près «tout faux». Démonstration en quatre temps : dabord, trop dimmigration clandestine (environ 500 000 personnes par an, alors même que lélargissement va nous mettre aux portes de la Russie et autres Républiques sétant fait une spécialité ce nest pas un jugement de valeur, cest un fait du trafic dêtres humains); ensuite, insuffisamment dimmigration «officielle» (on plafonne dans ce domaine à 1 million); par ailleurs, et cest sûrement celà le plus grave, une politique dite «de Schengen» qui a organisé la libre circulation au sein des frontières sans préalablement vérifier que celles-ci existaient vraiment; enfin, cela étant la conséquence de ceci, une politique qui fait de la répression «lalpha et loméga» de la normalisation (en Allemagne et en Espagne au moins autant quen France).
Une véritable politique européenne dimmigration doit sappuyer sur deux piliers.
En premier lieu une lutte renforcée à léchelle européenne contre limmigration clandestine. Cette lutte ne peut et ne doit se faire efficacement quà léchelle communautaire. Cette lutte passe peut-être par des mesures (certes difficiles à définir et à mettre en uvre) de rétorsion contre les pays qui délibérément refusent de « jouer le jeu». Mais, au-delà dune indispensable banque de données des visas accordés, elle passe surtout par la création dune véritable police des frontières européennes. Les quelques millions deuros débloqués à Thessalonique pour la formation des garde-frontières sur la période 2004-2006 constituent, au mieux, un « cache-misère». Or, dans ce domaine, il faut sen convaincre: le roi européen est nu
Mais la politique européenne dimmigration doit aussi et surtout passer par des flux migratoires officiels plus intenses. Le plus important consiste à trouver un juste équilibre dans ces flux. Car le «pillage du Tiers Monde» ne peut impunément se déplacer des matières premières vers les êtres humains. Ce souci déquilibre ne relève en aucun cas de langélisme mais du plus plat des pragmatismes. Intensifier le «brain drain» du Sud vers le Nord privera, à terme, le Nord des débouchés sans lesquels aucune croissance européenne ne pourra être durable. Il faut donc chercher, avec chacun des pays concernés, des accords permettant de faire profiter lEurope de la main duvre dont elle a besoin tout en organisant à court et à long terme un recyclage du capital humain dans son pays dorigine. La redéfinition des conditions dattribution des bourses détude et la refonte complète des dispositifs d «aide au retour» constituent deux vecteurs, parmi dautres, dune telle ambition.
Sachons pour une fois être pragmatique. Toute politique dimmigration a toujours et partout répondu au principe de nécessité . Aujourdhui, même si nous le vivons plus mal, le taux dimmigration na jamais en Europe, été aussi bas . On est bien loin de l«Europe submergée» décrite par Alfred Sauvy il y a plus de 20 ans. Il faut donc réagir. En se refusant aux replis identitaires qui sont nécessairement castrateurs. En se donnant comme objectif à très court terme une augmentation de 500 000 immigrés officiels de plus par an (et de 1 million à horizon de cinq ans). Mais en définissant- car cest cela que doit être lidentité européenne- les voies de cette ambition de manière responsable et donc solidaire.
(*) Professeur à lUniversité de Paris VIII