Dégel france-maroc ?, rien n’est moins sûr

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Entre un pays qui se veut grand mais qui ne l’est pas encore et un autre qui l’est, mais plus tout à fait comme avant, les discussions s’avèrent parfois difficiles, surtout quand des relations historiques et culturelles lient les deux… La France et le Maroc se sont apparemment réconciliés, ou du moins rapprochés, en reprenant leur coopération judiciaire. Mais il faut prendre garde à l’effet d’annonce et même s’attendre à de prochains coups de semonce. Ce qui s’est passé en 2014 n’est que le produit d’une situation structurelle, latente, qui eu le temps de maturer, et le rapprochement pourrait n’être que conjoncturel car les raisons de la brouille pourraient être plus profondes que l’affaire Hammouchi ou que la fouille de Mezouar.

Réchauffement (trop) rapide des relations

Rompant avec la longue tradition des relations unissant les deux pays, on ne peut vraiment parler de rapprochement, mais d’intérêt. Cela a toujours été le cas certes, mais cela a toujours été enrobé d’un vernis d’entente, voire d’affection, entre les deux pays. Aujourd’hui, les frères Kouachi et Amedy Coulibaly sont passés par là et la France a besoin du Maroc et de son renseignement. Le gouvernement français a été mis sous pression par les attentats et aussi par la droite et d’anciens responsables sécuritaires qui ont regretté le manque de coordination avec le Maroc, « puissant relais d’informations et précieux partenaire dans la lutte contre le terrorisme », selon le spécialiste en la matière qu’est Bernard Squarcini, ancien patron du renseignement intérieur français.

Si une mésentente recule à la seule fin de faire place à des intérêts et en l’absence d’une solide conviction, et cela semble ici être le cas, rien n’interdit de nouveaux actes inamicaux de part et d’autre, surtout que la France, puissance mondiale sur le déclin mais puissance quand même, risque de ne pas trop apprécier de s’être vue tordre le bras, et certaines convictions, pour renouer avec le Maroc.

La question est donc de savoir si les tenants de la ligne dure contre le Maroc auraient aussi facilement cédé s’il n’y avait pas eu les attentats de Paris.

Une césure

On pourrait dire que cette « réconciliation » est diplomatique, mais il n’en est rien. Chacun sait que c’est la conjoncture intérieure française et le choc ressenti après les attaques de janvier qui ont accéléré le processus de rapprochement, qui n’est donc ni normalisation ni réconciliation.

On sait également que les bastions de résistance à une politique de souplesse avec le Maroc sont toujours en place et rien n’indique que le pouvoir socialiste, républicain et profondément laïque, se soit subitement découvert des accointances avec le système marocain, monarchique et à ancrage lourdement religieux.

Fait nouveau… Alors que le Maroc officiel aurait pu s’adapter à un gouvernement socialiste issu d’un parti traditionnellement hostile au Maroc monarchique, il est aujourd’hui gouverné, peu ou prou, par un exécutif mené par des islamistes, arabophones, traditionalistes. L’exécutif est aujourd’hui farouchement attaché à son arabité et composé de beaucoup de ministres arabophones et même quelque peu anti-français, sans liaison aucune avec une France qui incarne pour beaucoup d’entre eux cette « religion de la laïcité » aussi adorée en France qu’abhorrée au Maroc.

Et ainsi donc, cette dernière phase dans les relations entre les deux pays n’est ni une querelle ni une brouille ; un fossé profond s’est creusé entre des Français nostalgiques de temps anciens et des Marocains nouvelle génération, souvent pétris de foi et d’identité, ancrés dans une culture mondiale de plus en plus anglo-saxonne et/ou asiatique. Le malaise est donc profond et au Maroc, le « parti de la France » n’a jamais été aussi vilipendé que ces derniers mois.

Jamais pareille césure n’a autant alimenté les discussions dans les chaumières et les débats dans les salons. On n’a jamais autant évoqué le remplacement du français par l’anglais comme première langue étrangère et on n’a jamais été aussi sourcilleux du comportement de la France à l’égard de son ancienne colonie – pour appeler les choses par leur nom réel.

La solution sera diplomatique ou ne sera pas

Cette fois donc, la fracture semble importante, sur tous les plans, culturel, religieux, politique, économique ; elle a eu le temps de s’installer, puis de s’élargir, et de s’approfondir, sauf que personne ne s’est vraiment donné la peine d’en prendre la pleine mesure.

La mutation démographique au Maroc depuis une quinzaine d’années a donné naissance à une génération moins liée à la France que ne l’étaient ses aînées, même si elle s’exprime en français ; la langue reste davantage une contrainte – internet, réseaux sociaux… – qu’un choix ou, encore moins, une préférence. Et la connexion des Marocains aux nouvelles technologies a montré les limites françaises et la place réelle de la France dans le monde virtuel.

D’un point de vue religieux, la dérive des cœurs avait commencé, déjà, sous Jacques Chirac (pourtant « le plus marocain » des chefs d’Etat français), avec la loi sur le voile. C’était alors la période d’expansion de cet élément vestimentaire dit islamique dans les esprits des populations musulmanes, et la France avait alors été fortement critiquée pour une décision interne. Par la suite, l’islamophobie naissante, puis triomphante, et les prises de position très laïques de la gauche avaient fini par installer l’idée d’une faille religieuse entre la France et les Marocains.

En politique, les discours sécuritaires de plus en plus tendus de la droite au pouvoir puis, surtout l’arrivée de la gauche laïque au commandes à Paris, à quelques mois de l’entrée du PJD dans un gouvernement plus légitime, plus nationaliste et très conservateur ont achevé de ruiner la bonne entente entre les deux capitales, une entente qui n’était plus visible que sur le plan politique, en surface.

Economiquement, les Marocains ont pris conscience de l’inégalité des échanges entre la France et le Maroc, des échanges penchant nettement en faveur de la première, au désavantage du second ; la vente d’un TGV inutile au Maroc ont confirmé cette nouvelle orientation de l’opinion publique marocaine, et l’arrivée d’une nouvelle génération de jeunes Marocains diplômés ailleurs qu’en France a donné le coup de grâce au « Label (ou la belle) France ». De plus, les subventions financières et les investissements en milliards de dollars viennent de moins en moins d’un nord en crise et d’une France en difficulté, et de plus en plus de l’est, de pays du Golfe aux mannes financières apparemment inépuisables, des pays eux-mêmes à la recherche de débouchés de substitution à l’Europe et aux Etats-Unis, moins accueillants depuis une dizaine d’années.

Il n’existe qu’une seule voie pour rapprocher ce qui s’est espacé et réconcilier ceux qui se sont éloigné, et cette voie reste celle de la diplomatie. La diplomatie permet de lier des liens plus étroits car par son action elle permet le rapprochement de tous les secteurs. Elle favorise aussi une meilleure compréhension car son champ d’intervention est bien plus moral que matériel.

Or, une diplomatie efficiente nécessite des diplomates efficaces, tenaces, compétents et professionnels. Depuis quelques années, le monde connaît de profondes mutations dues à un ensemble de facteurs, dont l’avancée des nouvelles technologies et l’émergence d’une nouvelle génération de pensée ne sont pas les moindres. Un diplomate n’est plus l’ambassadeur classique qui permet de « garder le contact », mais un personnage qui s’introduit, s’implique, s’investit pour assurer une place à son pays dans le pays d’accueil.

Bien malheureusement, et alors que la diplomatie royale connaît une cure de jouvence et une très grande vitalité qui va avec, et que la diplomatie économique et financière est en plein essor, la diplomatie traditionnelle est restée renfermée sur elle-même, incapable d’initiatives et encore plus inapte à élaborer une doctrine globale. Si le Maroc pèche dans quelque chose, c’est bien dans le choix de ses diplomates les plus en vue, au gouvernement, à la direction du ministère et dans les « grandes » ambassades.

Et c’est là le nœud du problème du Maroc avec le monde en général (excepté l’Afrique francophone), et la France en particulier.

http://www.panorapost.com/degel-france-maroc-rien-nest-moins-sur-par-aziz-boucetta/
 
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