samedi 8 novembre 2008 - 07h:20
Georges Corm - Paris-Match
Alors que la majorité libanaise antisyrienne et lopposition sont arrivés à un accord à Doha, George Corm, ancien ministre des Finances libanais, revient sur le rôle du Hezbollah dans le pays.
Paris Match : Les parties prenantes de la conférence de Doha ont décidé de ne pas aborder la question du désarmement du Hezbollah. Pensez-vous que cest une question centrale au Liban, et quil faudrait régler cela au plus vite ?
George Corm : En fait, la coalition hostile au Hezbollah et soutenue par les Etats-Unis, la France et les autres gouvernements européens entendait bien que cette question soit débattue à Qatar. Pour eux, elle a toujours été une question centrale. Personnellement, je fais partie de ceux qui pensent que le Liban a été martyrisé par Israël durant 40 ans et que sans des garanties très solides quIsraël ne sen prendra pas encore au Liban, désarmer le Hezbollah aurait été une erreur majeure.
Rappelons que la première attaque denvergure de larmée israélienne contre le Liban a eu lieu en 1968. Dix ans après, elle a occupé une large partie du sud du Liban de façon permanente. En 1982, son armée a occupé une bonne moitié du Liban, dont la capitale Beyrouth (environ 20 000 victimes au cours de la période de juin à septembre 1982). Cest à la vigueur de la résistance du Hezbollah que le Liban doit davoir obtenu lévacuation de la plus grande partie de son territoire en 2000.
Faut-il pour autant laisser carte blanche au Hezbollah ?
Cela ne veut pas dire quil ne faut pas un système de défense coordonné entre larmée et la résistance populaire quest le Hezbollah, ainsi que la préconisé le Document dentente nationale signé solennellement, en février 2006, entre le Général Michel Aoun, lancien général en chef de larmée libanaise, et Hassan Nasrallah, le chef du Hezbollah. Toutefois, cette approche intelligente et réaliste a été rejetée par la coalition qui soutient les héritiers de Hariri et qui est appuyée par lArabie saoudite, les Etats-Unis et la France.
Il est fort dommage que ce document nait pas servi de plateforme de discussion, car penser quune armée régulière, aussi petite et sous équipée que larmée libanaise, puisse être un instrument de dissuasion de la puissante armée israélienne est une illusion plus que dangereuse. Même les armées régulières de grands pays arabes bien équipées par lURSS nont jamais pu tenir tête à larmée israélienne.
Donc seul le Hezbollah peut assurer la sécurité du pays ?
Seule une résistance mobile, issue et fondue dans la population peut être dissuasive. En réalité, et compte tenu aussi de notre passé houleux, et souvent douloureux avec la Syrie, lorganisation de gardes-frontières mobilisant les habitants des régions frontalières avec Israël comme avec la Syrie, est la solution davenir. Mais cela suppose que le gouvernement libanais ne soit pas sous la haute influence des américains et de leurs alliés dans les gouvernements arabes, comme cest le cas actuellement, mais quil soit vraiment affranchi de toutes tutelles.
Evidemment, une partie des Libanais, tout comme les décideurs occidentaux et certains décideurs arabes, considèrent que lIran et la Syrie continuent dêtre les manipulateurs du Liban à travers leur influence sur le Hezbollah ou à travers la série dassassinats politiques qua connu le pays depuis 2005 et qui sont attribués de façon péremptoire au régime syrien. Les réalités du Liban sont évidemment beaucoup plus nuancées et complexes, et il est difficile de penser quune personnalité comme le Général Aoun, ou dautres personnalités sunnites, druzes ou chrétiennes qui ne sont pas hostiles au Hezbollah, sont des pions aux mains de lIran et de la Syrie.
Quelle légitimité le Hezbollah possède au Liban ? Ne la-t-il pas perdu en sattaquant à des libanais ?
Cela dépend des Libanais. Ceux qui se sentent proches des thèses occidentales et des gouvernements arabes modérés, pensent que le Hezbollah devrait rendre ses armes et cesser dirriter Israël ou lui donner des prétextes de sattaquer au Liban, comme durant lété 2006.
Pour ceux qui, en revanche, considèrent que le plus grand danger est la politique américaine au Moyen-Orient et le soutien aveugle donné à Israël, le Hezbollah est un instrument de défense particulièrement efficace et tout à fait légitime.
La communauté chiite, dans son immense majorité, soutient ce point de vue, car ce sont les régions du sud du Liban, son berceau dorigine, là où est concentrée une grande partie de la communauté chiite qui a le plus souffert de la politique israélienne depuis 1968. Mais, beaucoup de sunnites et de nombreuses personnalités chrétiennes et, bien sûr, le mouvement populaire chrétien autour du Courant patriotique du général Michel Aoun partagent ce sentiment.
Le gouvernement de M. Siniora essaye depuis longtemps de pousser le Hezbollah à la « faute », cest-à-dire à lemploi de ses armes dans le conflit interne pour enlever au Hezbollah son auréole de résistant et sa légitimité.
Jusquici, en dépit de provocations répétées depuis 2006 dont les principales victimes étaient surtout chiites, le Hezbollah avait refusé demployer les armes et prié ses partisans de ne pas répondre aux provocations. Les décisions du Conseil des ministres du 7 mai requérant le démantèlement du système de communication du Hezbollah ne pouvait quappeler une réaction vive de ce mouvement.
Certains considèrent que les affrontements initiés par le Hezbollah étaient une tentative de coup dEtat. Quen pensez-vous ?
La remise immédiate et spontanée des positions conquises par les armes, le plus souvent dailleurs par des partis alliés au Hezbollah, et non pas par les combattants de la résistance, prouvent bien quil nétait pas dans lintention de la coalition alliée au Hezbollah de faire un coup dEtat. En revanche, dans la caricature qui est souvent faite du conflit au Liban entre des « bons démocrates pro-occidentaux » et des « vilains pro-syriens et pro-iraniens » qui veulent torpiller les efforts américains de paix, toute la dimension interne de la crise a été en général passée sous silence.
Dans les médias occidentaux, on a complètement oublié, quun coup dEtat permanent a déjà eu lieu au Liban, par le refus de M. Siniora de présenter la démission de son gouvernement, en novembre 2006, lorsque les ministres représentant la communauté chiite ont quitté le gouvernement sans quils soient remplacés. Or la Constitution libanaise et le Pacte national exigent que toutes les communautés soient équitablement représentées au sein du Conseil des ministres.
Le maintien dun gouvernement tronqué depuis 18 mois constitue donc en lui-même un acte grave mettant en danger la paix civile au Liban.
Pour ce qui est du Hezbollah, il ne faut pas perdre de vue, quels que soient les liens idéologiques ou de financement et darmement avec lIran, quil sagit dun mouvement de citoyens libanais, qui ont défendu leur terre contre larmée israélienne depuis 1982 et lont payé cher, en vies humaines, égalementi. Ce nest pas un corps étranger à la société libanaise, comme ont pu lêtre les mouvements armés palestiniens dans la période 1969-1982, ou des membres de linternationale islamiste ben ladeniste à laquelle se rattache des groupes sunnites de toutes les nationalités arabes, comme le Fath el Islam au Liban.
Georges Corm - Paris-Match
Alors que la majorité libanaise antisyrienne et lopposition sont arrivés à un accord à Doha, George Corm, ancien ministre des Finances libanais, revient sur le rôle du Hezbollah dans le pays.
Paris Match : Les parties prenantes de la conférence de Doha ont décidé de ne pas aborder la question du désarmement du Hezbollah. Pensez-vous que cest une question centrale au Liban, et quil faudrait régler cela au plus vite ?
George Corm : En fait, la coalition hostile au Hezbollah et soutenue par les Etats-Unis, la France et les autres gouvernements européens entendait bien que cette question soit débattue à Qatar. Pour eux, elle a toujours été une question centrale. Personnellement, je fais partie de ceux qui pensent que le Liban a été martyrisé par Israël durant 40 ans et que sans des garanties très solides quIsraël ne sen prendra pas encore au Liban, désarmer le Hezbollah aurait été une erreur majeure.
Rappelons que la première attaque denvergure de larmée israélienne contre le Liban a eu lieu en 1968. Dix ans après, elle a occupé une large partie du sud du Liban de façon permanente. En 1982, son armée a occupé une bonne moitié du Liban, dont la capitale Beyrouth (environ 20 000 victimes au cours de la période de juin à septembre 1982). Cest à la vigueur de la résistance du Hezbollah que le Liban doit davoir obtenu lévacuation de la plus grande partie de son territoire en 2000.
Faut-il pour autant laisser carte blanche au Hezbollah ?
Cela ne veut pas dire quil ne faut pas un système de défense coordonné entre larmée et la résistance populaire quest le Hezbollah, ainsi que la préconisé le Document dentente nationale signé solennellement, en février 2006, entre le Général Michel Aoun, lancien général en chef de larmée libanaise, et Hassan Nasrallah, le chef du Hezbollah. Toutefois, cette approche intelligente et réaliste a été rejetée par la coalition qui soutient les héritiers de Hariri et qui est appuyée par lArabie saoudite, les Etats-Unis et la France.
Il est fort dommage que ce document nait pas servi de plateforme de discussion, car penser quune armée régulière, aussi petite et sous équipée que larmée libanaise, puisse être un instrument de dissuasion de la puissante armée israélienne est une illusion plus que dangereuse. Même les armées régulières de grands pays arabes bien équipées par lURSS nont jamais pu tenir tête à larmée israélienne.
Donc seul le Hezbollah peut assurer la sécurité du pays ?
Seule une résistance mobile, issue et fondue dans la population peut être dissuasive. En réalité, et compte tenu aussi de notre passé houleux, et souvent douloureux avec la Syrie, lorganisation de gardes-frontières mobilisant les habitants des régions frontalières avec Israël comme avec la Syrie, est la solution davenir. Mais cela suppose que le gouvernement libanais ne soit pas sous la haute influence des américains et de leurs alliés dans les gouvernements arabes, comme cest le cas actuellement, mais quil soit vraiment affranchi de toutes tutelles.
Evidemment, une partie des Libanais, tout comme les décideurs occidentaux et certains décideurs arabes, considèrent que lIran et la Syrie continuent dêtre les manipulateurs du Liban à travers leur influence sur le Hezbollah ou à travers la série dassassinats politiques qua connu le pays depuis 2005 et qui sont attribués de façon péremptoire au régime syrien. Les réalités du Liban sont évidemment beaucoup plus nuancées et complexes, et il est difficile de penser quune personnalité comme le Général Aoun, ou dautres personnalités sunnites, druzes ou chrétiennes qui ne sont pas hostiles au Hezbollah, sont des pions aux mains de lIran et de la Syrie.
Quelle légitimité le Hezbollah possède au Liban ? Ne la-t-il pas perdu en sattaquant à des libanais ?
Cela dépend des Libanais. Ceux qui se sentent proches des thèses occidentales et des gouvernements arabes modérés, pensent que le Hezbollah devrait rendre ses armes et cesser dirriter Israël ou lui donner des prétextes de sattaquer au Liban, comme durant lété 2006.
Pour ceux qui, en revanche, considèrent que le plus grand danger est la politique américaine au Moyen-Orient et le soutien aveugle donné à Israël, le Hezbollah est un instrument de défense particulièrement efficace et tout à fait légitime.
La communauté chiite, dans son immense majorité, soutient ce point de vue, car ce sont les régions du sud du Liban, son berceau dorigine, là où est concentrée une grande partie de la communauté chiite qui a le plus souffert de la politique israélienne depuis 1968. Mais, beaucoup de sunnites et de nombreuses personnalités chrétiennes et, bien sûr, le mouvement populaire chrétien autour du Courant patriotique du général Michel Aoun partagent ce sentiment.
Le gouvernement de M. Siniora essaye depuis longtemps de pousser le Hezbollah à la « faute », cest-à-dire à lemploi de ses armes dans le conflit interne pour enlever au Hezbollah son auréole de résistant et sa légitimité.
Jusquici, en dépit de provocations répétées depuis 2006 dont les principales victimes étaient surtout chiites, le Hezbollah avait refusé demployer les armes et prié ses partisans de ne pas répondre aux provocations. Les décisions du Conseil des ministres du 7 mai requérant le démantèlement du système de communication du Hezbollah ne pouvait quappeler une réaction vive de ce mouvement.
Certains considèrent que les affrontements initiés par le Hezbollah étaient une tentative de coup dEtat. Quen pensez-vous ?
La remise immédiate et spontanée des positions conquises par les armes, le plus souvent dailleurs par des partis alliés au Hezbollah, et non pas par les combattants de la résistance, prouvent bien quil nétait pas dans lintention de la coalition alliée au Hezbollah de faire un coup dEtat. En revanche, dans la caricature qui est souvent faite du conflit au Liban entre des « bons démocrates pro-occidentaux » et des « vilains pro-syriens et pro-iraniens » qui veulent torpiller les efforts américains de paix, toute la dimension interne de la crise a été en général passée sous silence.
Dans les médias occidentaux, on a complètement oublié, quun coup dEtat permanent a déjà eu lieu au Liban, par le refus de M. Siniora de présenter la démission de son gouvernement, en novembre 2006, lorsque les ministres représentant la communauté chiite ont quitté le gouvernement sans quils soient remplacés. Or la Constitution libanaise et le Pacte national exigent que toutes les communautés soient équitablement représentées au sein du Conseil des ministres.
Le maintien dun gouvernement tronqué depuis 18 mois constitue donc en lui-même un acte grave mettant en danger la paix civile au Liban.
Pour ce qui est du Hezbollah, il ne faut pas perdre de vue, quels que soient les liens idéologiques ou de financement et darmement avec lIran, quil sagit dun mouvement de citoyens libanais, qui ont défendu leur terre contre larmée israélienne depuis 1982 et lont payé cher, en vies humaines, égalementi. Ce nest pas un corps étranger à la société libanaise, comme ont pu lêtre les mouvements armés palestiniens dans la période 1969-1982, ou des membres de linternationale islamiste ben ladeniste à laquelle se rattache des groupes sunnites de toutes les nationalités arabes, comme le Fath el Islam au Liban.