Dialogue avec le pape Benoît XVI, par Tariq Ramadan

FPP75

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Les propos du pape Benoît XVI tenus à Ratisbonne le 12 septembre 2006 auront sans doute eu, sur le long terme, des conséquences plus positives que négatives. Au-delà de la polémique, cette conférence a provoqué une prise de conscience sur la nature des responsabilités portées par les chrétiens comme par les musulmans en Occident.

Les références au djihad et à la violence de l'islam dans l'exposé du pape ont choqué les musulmans, même s'il s'agissait d'une citation de l'empereur byzantin Manuel II Paléologue. On conçoit donc qu'il faille ouvrir le débat sur les fondements théologiques respectifs et le substrat commun des deux religions. L'appel des savants musulmans à travers le monde autour de la "parole commune" allait en ce sens : nos traditions ont le même Dieu qui nous appelle à respecter la dignité et la liberté humaines.

Dans un monde qui traverse une crise économique sans précédent, où la politique, la finance, le rapport à l'humain et à l'environnement manquent de conscience et d'éthique, il ne s'agit pas de créer une nouvelle alliance des religions contre l'ordre "sécularisé" ou "immoral", mais bien plutôt d'apporter une contribution constructive aux débats afin que les logiques économiques ou guerrières ne détruisent pas ce qu'il reste d'humanité aux êtres humains.

Notre dialogue constructif sur les valeurs et les finalités communes est autrement plus important et impératif que nos rivalités sur le nombre de fidèles, le prosélytisme et la compétition stérile quant à la détention exclusive de la Vérité. Les esprits dogmatiques qui, dans les deux religions, s'accaparent la vérité, travaillent somme toute contre les intérêts de leur religion respective. Quiconque affirme qu'il détient seul la vérité et que "le mensonge, c'est les autres"... est déjà dans l'erreur. Notre dialogue doit lutter contre les tentations dogmatiques en s'appuyant sur un dialogue profond, critique et toujours respectueux. Un dialogue dont le sérieux nous impose l'humilité.

Il faut commencer un dialogue sur les civilisations. La peur du présent nous fait parfois lire le passé avec une vision biaisée : le pape avait étonnamment affirmé que les racines de l'Europe étaient grecques et chrétiennes, comme pour conjurer la menace présente de la présence musulmane en Europe. Sa lecture est réductrice et il faut revenir aux faits passés comme à l'histoire des idées.

On s'aperçoit alors que cette opposition entre l'islam et l'Occident est une pure projection, presque un instrument idéologique, destiné à créer des entités que l'on oppose ou que l'on invite à dialoguer. Or, il y a beaucoup d'islam en Occident et beaucoup d'Occident en islam, et il est important que l'on inaugure une réflexion interne et critique : qu'Occident et Europe ouvrent un débat de l'intérieur comme doivent le faire islam et musulmans afin de se réconcilier avec la diversité et la pluralité de leur passé respectif.

Ce devoir de mémoire est impératif pour la conscience collective qui veut éviter les polarisations émotionnelles et considérer comme il se doit la pluralité intellectuelle et philosophique qui la constitue. On s'aperçoit alors que le débat sur la raison et la foi, et les vérités de la rationalité, a traversé les civilisations, et qu'il n'est point une spécificité grecque ou chrétienne, ou encore une prérogative des Lumières.

Les propos du pape à Ratisbonne ont ainsi ouvert des chantiers qu'il faut explorer et exploiter positivement, afin de construire des ponts et de nous engager ensemble dans la contribution commune aux questions sociales, culturelles et économiques de notre temps.

C'est avec cet esprit que je participerai à ces débats les 4, 5 et 6 novembre à Rome, et à la rencontre avec le pape, prévue le 6. Il s'agit de faire face à nos responsabilités respectives et partagées, et de nous engager ensemble à rendre notre univers plus juste dans le respect des croyances et des libertés. Il faudra donc également parler de la liberté de conscience, des lieux de prières, de l'"argument de la réciprocité" : toutes les questions doivent être possibles dans une atmosphère de confiance et de respect.

Il importe que chacun s'assoie à la table avec l'humilité qui consiste à ne pas penser qu'il détient seul la vérité.
 
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