Liberation - 22 avril 09
LOccident doit redevenir plus universel, moins occidentaliste»
Hubert Védrine, ancien patron du Quai dOrsay, revient sur le début de la conférence de lONU sur le racisme.
Ministre des Affaires étrangères entre 1997 et 2002, Hubert Védrine fut lun des premiers à souligner lisolement croissant des Occidentaux et les impasses du «droit-de-lhommisme».
Durban II illustre-t-elle laffrontement entre deux conceptions opposées des droits de lhomme ?
Cest un temps fort dans un bras de fer plus général entre les Occidentaux et les autres, autant géopolitique quidéologique, pas seulement sur les droits de lhomme, même si cest un domaine très sensible et très symbolique. Il porte sur la légitimité du milliard dOccidentaux à imposer leurs conceptions aux 5,5 milliards de non-Occidentaux, dans ce domaine comme dans les autres. Cela était déjà évident, et préoccupant, depuis des années, contredisant les illusions nourries par nous après la fin de lURSS. Les Occidentaux nont pas voulu voir ce problème, enivrés par lubris de leur victoire, mais aussi en raison de leurs sincères convictions universalistes et de la lutte contre le relativisme. Je suis moi-même le contraire dun relativiste. La difficulté sur laquelle jattire lattention est autre : cest celle des limites du prosélytisme droits-de-lhommiste par le même Occident qui a colonisé le monde pendant plus de trois siècles - ce que nous sommes les seuls à avoir oublié. Quelle est sa légitimité pour imposer ses conceptions à cet autre monde qui émerge, même sil prétend parler au nom de la «communauté» internationale ? Si lon constate que nos valeurs occidentales universelles ne sont pas universellement considérées comme universelles, il faut alors sy prendre autrement.
Comment agir sur le terrain des droits de lhomme face à cette majorité automatique anti-occidentale ?
En cassant les mécanismes et les engrenages qui structurent ce bloc contre bloc : Occidentaux contre non-Occidentaux, et tout particulièrement Occident contre islam, et en bâtissant une nouvelle majorité qui transcende ce clivage grâce à une politique étrangère occidentale différente. Cet antagonisme se nourrit certes de la rhétorique dorganisations comme lOrganisation pour la conférence islamique ou de médias arabo-islamiques, mais il a été aussi envenimé pendant huit ans par ladministration Bush, et cela, cest notre responsabilité. Beaucoup de ceux qui prétendaient refuser la théorie du clash des civilisations se sont en fait inscrits dans cette approche et lont alimentée. Barack Obama est porteur dun immense espoir mais il na pas encore eu le temps de désamorcer lensemble des bombes à retardement dont il a hérité : la rhétorique manichéenne globale et les conflits, en premier lieu celui du Proche-Orient. Avec lui, lOccident redeviendra plus universel et moins occidentaliste. Mais il y a aussi dans le monde bien des forces hostiles à cette réorientation américaine, dont bien sûr Mahmoud Ahmadinedjad et tous les extrémistes musulmans, mais aussi les nationalistes russes ou chinois, la droite israélienne et tant dautres - y compris aux Etats-Unis.
Pour désagréger ce bloc adverse, les Occidentaux disposent de gigantesques leviers sils sont bien employés. Par exemple : si le président américain continue à parler comme il la fait depuis la Turquie, sil réussit à changer lIran, sil obtient un règlement de paix équitable au Proche-Orient, tout cela finira par changer la donne globale. Il faut laider, alors que certains pays européens, dont la France, donnent limpression de traîner les pieds sur la question iranienne. Tant que cela naura pas été fait, toute réunion onusienne restera caricaturale, et sera prise en otage. Aujourdhui il serait impossible dy faire adopter à lunanimité la Déclaration universelle des droits de lhomme votée en 1948 ! Cest le paradoxe de cette notion «duniversel».