Egypte : Les coptes veulent barrer la voie à un président islamiste

Les coptes, qui se plaignaient déjà de discriminations à l’époque de Hosni Moubarak, craignent de subir bien pire si un islamiste remporte l’élection présidentielle en Égypte. Ils entendent mettre tout le poids de leur communauté dans la balance pour l’éviter. Les Frères musulmans et les salafistes, tenants d’un islam beaucoup plus radical, ont déjà remporté trois quarts des sièges au Parlement. Les deux candidats islamistes à la présidentielle, Mohammad Morsi et Abdel Moneim Aboul Fotouh, ont promis de respecter les droits de la minorité chrétienne, qui représenterait environ 10 % des 82 millions d’Égyptiens, mais les coptes ne cachent pas leurs doutes.

La principale revendication des chrétiens, et la source de la plupart des violences interreligieuses, est la levée des obstacles administratifs imposés à la construction et à la restauration des églises, qui a souvent poussé les coptes à ignorer la loi, alors qu’il est extrêmement simple de construire une mosquée. C’est pour cette raison que Medhat Malak va voter pour l’ancien général Ahmad Chafik, dernier Premier ministre de M. Moubarak, qu’il considère comme le meilleur rempart contre la multiplication des attaques contre les églises depuis la chute du raïs, attribuées à la mouvance salafiste, et qui ont fait des dizaines de morts. « Les intentions des islamistes à l’égard des chrétiens ne sont pas claires. Il est possible qu’ils limitent nos libertés pour asseoir leur popularité auprès des musulmans les plus conservateurs », s’inquiète M. Malak.

Selon la hiérarchie de l’Église orthodoxe, les coptes représentent environ six des cinquante millions d’Égyptiens appelés à choisir pour la première fois librement leur président. Si les chrétiens votaient en bloc, ce qui n’a rien d’une évidence, ils pourraient peser sur un scrutin dont l’issue paraît très incertaine. La plupart d’entre eux devraient cependant opter pour M. Chafik ou l’ancien secrétaire général de la Ligue arabe, Amr Moussa. Tous deux sont musulmans – il n’y a pas de candidat copte et pratiquement aucun député –, mais ils sont jugés plus rassurants au moment où certains salafistes appellent à l’interdiction de l’alcool, des plages mixtes ou des vêtements trop légers.
 
Si les Frères musulmans, principal parti au Parlement, et les deux candidats islamistes à la présidentielle ont promis de ne pas toucher au tourisme, première source de revenus du pays, les coptes craignent de subir davantage de pressions, eux qui s’estimaient déjà traités en «citoyens de seconde zone» à l’époque de Moubarak. Abdel Moneim Aboul Fotouh, qui bénéficie du soutien des salafistes davantage par calcul politique que par adhésion, en est conscient et a terminé tous ses meetings par un appel à «tous les Égyptiens, musulmans et chrétiens». Lors d’un débat télévisé avec Amr Moussa, il n’a pas formellement condamné la conversion d’un musulman à une autre religion – une «apostasie» passible de mort pour les musulmans les plus radicaux –, se contentant de dire que beaucoup d’efforts seraient déployés pour le ramener dans le droit chemin. Le sujet est sensible en Égypte, où les coptes dénoncent régulièrement des «conversions forcées» de chrétiennes à l’islam, qui résultent en réalité souvent de la volonté de ces femmes de se marier avec un musulman ou de divorcer de leur mari chrétien, l’Église copte orthodoxe interdisant le divorce. Mais nombre d’entre elles, comme les enfants nés de couples mixtes, ne peuvent ensuite faire le chemin inverse. Les coptes s’inquiètent aussi des références de plus en plus fréquentes à la charia (loi islamique), déjà présentée comme la principale source de la loi dans l’ancienne Constitution, mais dont une application plus large pourrait menacer l’autonomie de l’Église en matière de statut personnel (mariage, filiation).

«Aucun des candidats n’affiche clairement ses intentions à l’égard des minorités et des chrétiens en particulier», soupire l’avocat Peter el-Naggar, qui a défendu plusieurs musulmans convertis à la chrétienté, demandant à l’État de reconnaître leur changement de religion – mentionnée sur les papiers d’identité. «Nous ne savons pas ce qu’ils vont faire et nous ne leur faisons pas confiance s’ils arrivent au pouvoir», ajoute-t-il. Beaucoup de coptes ne disent pas autre chose. «Je veux me sentir à l’aise dans mon pays», souligne Ayman, un chauffeur de taxi, ajoutant : «Je veux un président libéral et honnête pour contrebalancer l’influence croissante des islamistes. Seul Dieu sait ce qu’ils vont infliger aux chrétiens et aux musulmans modérés s’ils arrivent au pouvoir.»

L'Orient Le Jour
 
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