Expulsion de chrétiens du Maroc : et si l'intolérance n'était pas là où l'on croit ?

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Il n'y a rien à dire...
Expulsion de chrétiens du Maroc : et si l'intolérance n'était pas là où l'on croit?

par Latéfa Bousdraoui-Lorant




La lecture de l'article paru dans Le Monde du 6 avril 2010 consacré à l'expulsion des chrétiens au Maroc laisse entendre que la présence chrétienne dans ce pays est sérieusement menacée. Cela me paraît pour le moins excessif. Il se trouve que je suis née et que j'ai grandi à Aïn Leuh, où j'ai encore des attaches.

Dans ce village berbère, les premières filles, dont je suis, à avoir été scolarisées le doivent à la présence de franciscaines missionnaires de Marie, implantées à Meknès. C'était dans les années 1950. Nous côtoyions alors la Croix dans le plus grand respect, sans que jamais les religieuses nous aient mis entre les mains les Evangiles. Quand nos camarades chrétiennes se rendaient au catéchisme, nous, les musulmanes, nous rejoignions les cours de piano et d'arabe. D'autres musulmanes, dans les orphelinats français, étaient accueillies et formées aux métiers traditionnels.

L'indépendance venue, en 1956, cette coexistence religieuse et (forcément) culturelle s'est poursuivie, allant de soi. Catholiques et protestants ont ainsi poursuivi leurs pratiques et maintenu, sans heurt ni rejet, la présence chrétienne sur cette terre musulmane.

Quelques décennies plus tard, en 2005, j'ai découvert, sidérée, un autre christianisme : Home of Hope, une institution évangéliste pour enfants abandonnés, à Toufestal, dans une ferme isolée, fonctionnant en système clos, dans l'arrière-pays agricole d'Aïn Leuh. Ce n'était ni un orphelinat ordinaire, ni un classique centre d'enseignement. Les enfants étaient encadrés par des chrétiens évangélistes ayant statut de parents, non de parrains ou d'éducateurs. Le personnel local, de culture musulmane, était confiné dans des tâches subalternes, les liens avec les familles d'Aïn Leuh étant quasiment inexistants.

Comment et pourquoi le pouvoir marocain a-t-il autorisé cette forme de bienfaisance ? Il faut savoir que la misère est grande dans ce pays de montagnes et qu'aucune politique d'aide sociale n'est engagée pour la réduire. A cela s'ajoute l'absence de tout contrôle des naissances, dans une région où la prostitution demeure pour les femmes une solution au chômage. Telle est la source dans laquelle puise Home of Hope pour recueillir des enfants abandonnés.

Dans ce que j'ai vu et entendu à Aïn Leuh (j'invite l'auteur de votre article à consulter le site Internet de Home), il apparaît clairement que ce Home fonctionne comme une secte, le discours sur l'idéal de pure charité chrétienne ne servant qu'à faire illusion.

Aujourd'hui, les groupes évangélistes opèrent dans tous les ports espagnols donnant accès au Maroc. Leur littérature peut aisément se trouver dans les grandes villes, notamment Casablanca, Rabat, Marrakech et même Fès. Des petits manuels reliés de cuir vert ont circulé à Aïn Leuh même.

Ce christianisme sectaire n'a rien à voir avec l'Eglise présente au Maroc depuis les années 1200, ni avec les protestants de France, connus et reconnus par les populations marocaines. Le respect des religions du Livre fait partie de la culture marocaine et doit être défendu, préservé et protégé contre les intégrismes de tous bords par toutes les bonnes volontés éprises de paix.

Latéfa Bousdraoui-Lorant est historienne.

http://www.lemonde.fr/opinions/arti...ar-latefa-bousdraoui-lorant_1330831_3232.html
 
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