La Finance Islamique

LePasseur

De l'autre coté d'la rive
Alors que Paris Dauphine lance un Master 2 de finance islamique, que savons-nous vraiment de ce système ? Est-il une alternative efficace contre ce capitalisme barbare ? Contre la crise ?

"Nous adapterons notre environnement juridique pour que la stabilité et l’innovation de notre place financière puissent bénéficier à la finance islamique."
Voilà ce qu’a annoncé Mme Lagarde, le ministre de l’économie en novembre dernier. Ces propos qui ont dû faire frémir les Le Pen, de Villiers ou autres combattants anti-Islam ne sont que le prolongement d’un paradigme économique en pleine expansion.

En effet, ce modèle économique qui repose sur la « Charia » (texte de loi islamique) est en plein essor, notamment depuis que la crise a mis en lumière les failles du système bancaire et des crédits.

Pourquoi une finance Islamique différente de la finance conventionnelle ?

Cette finance née du Coran repose sur deux principes :

-L’interdiction de l’intérêt (riba) et de l’usure

-La responsabilité sociale de l’investissement et la notion d’intérêt général

La première interdiction découle du verset 27s de la 2e sourate du Coran : « Dieu a rendu licite le commerce et illicite l’intérêt ».

L’intérêt est donc prohibé et conséquemment, l’usure l’est aussi, car, fixé ex-ante, il est établi sans référence à ladite performance. Les textes islamiques s’attachent à ce que toutes transactions financières se fondent sur une activité économique réelle. C’est pourquoi la Charia autorise la prise de risque, mais interdit l’incertitude dans les termes d’une relation contractuelle ainsi que la spéculation.

Ainsi, le profit doit être encouragé, car, déterminé ex post, il exprime la performance réelle de l’entreprise.

Comment fonctionne le mécanisme économique ?

Les banques islamiques ont développé des mécanismes juridico-financiers qui reposent sur des concepts particuliers. Ceux-ci permettent à un promoteur de mener un projet grâce à des fonds avancés par des apporteurs de capitaux dont la clé de répartition des gains et des parties est fixée dans le contrat. Ces apporteurs de capitaux supportent entièrement les pertes, les promoteurs ne perdant que le fruit de leur travail.

Voici ci-dessous quelques mécanismes économiques islamiques :

Les instruments financiers principaux

Moudaraba : Un contrat entre le propriétaire du capital et l’entrepreneur. La banque confie une somme d’argent à l’entrepreneur pour l’investir, en contrepartie d’une part dans le bénéfice éventuel de l’affaire.

Moucharaka : Les deux parties signataires du contrat participent et au capital et à la gestion de l’affaire.

Les bénéfices sont répartis selon des ratios déterminés, tandis que les pertes sont supportées à hauteur de la participation de chacun

Mourabaha : Le client ordonne à la banque d’acquérir un bien particulier ; celle-ci lui revend le bien en question (devenu propriété de la banque), moyennant une marge bénéficiaire. Le paiement se fait comptant ou sur plusieurs échéances.

Ijara : Un contrat portant sur la mise à la disposition du client d’un bien ou d’un service en contrepartie d’une rémunération prédéfinie. Le client peut s’engager à acquérir le bien en question à terme.

Salam : Un contrat de vente avec livraison différée de la marchandise. La banque intervient comme acquéreur avec paiement comptant d’une marchandise qui lui sera délivrée à terme par le partenaire.

La Charia interdit en principe les transactions portant sur des biens inexistants au moment de la conclusion du contrat, mais l’exception a été faite pour le salam par nécessité, à condition que le prix, la date de livraison et les caractéristiques exactes de la marchandise soient connus d’avance.

Tels sont les principaux instruments utilisés en finance islamique. Concernant les frais que peut prélever la banque, ils ne sont valables en Islam que s’ils sont fixes, quel que soit le montant de la transaction, dans le but de couvrir les frais administratifs et autres.

D’autres formules de financement sont créées, mais sont normalement avalisées par un ensemble de savants.

Il est cependant clair que certaines banques collent l’étiquette « Halal » à des offres sans fondement islamique réel…

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Cette interdiction d’intérêt n’est pas seulement réservée à la religion musulmane. On retrouve la même idée dans le christianisme à travers la théologie de Saint Thomas d’Aquin qui prolongeait l’enseignement d’Aristote selon lequel l’argent ne peut pas produire d’enfant. Le prélèvement d’intérêt étant caractérisé comme le moyen injuste d’accaparer le bien d’autrui.

Même si l’interdiction est très ancienne, la finance islamique est une construction contemporaine. qui voit véritablement le jour en 1963, en Egypte.

En Europe, c’est au Royaume-Uni que s’est développée la 1ère industrie de cette finance. En 2004, « L’Islamic Bank of Britain » a été agréée par les autorités britanniques. Certaines banques occidentales n’ont pas hésité à ouvrir dans le monde musulman des succursales où coexistent à la fois un guichet conventionnel et un autre islamique. En France, malgré le discours du ministre de l’économie, il n’y en a pas, mais seulement quelques opérations sur le marché des entreprises.

Quatre raisons peuvent expliquer l’expansion de cette finance depuis le milieu du XXème siècle :

-Le regain de vitalité de la religion musulmane

-La possibilité que donne aux musulmans, la finance islamique, de se démarquer de l’époque coloniale et d’utiliser leur propre système bancaire

-Le choc pétrolier de 1970 qui a touché ces pays

-La possibilité pour les banques de contrer certaines politiques économiques contraignantes

Le financement islamique est donc une redéfinition de la rationalité économique qui prend en compte dans le calcul économique non seulement l’intérêt individuel mais aussi une notion d’intérêt général. Contrairement aux présupposés, la philosophie de l’islam, tout comme la philosophie libérale, encourage l’esprit entrepreneurial, autorise la prise de risque et cautionne le profit.

Et face à notre crise économique actuelle ?

Certains économistes islamiques avancent l’idée qu’un système financier basé sur les principes de l’Islam, et notamment sur la prohibition de la riba (intérêt), aurait pu éviter certains des plus grands désastres financiers des 50 dernières années.

Dans la crise de "la dette" des pays émergents, ou dans l’explosion de l’endettement des ménages dans les pays anglo-saxons qui a mis plus d’une fois en difficulté leur système bancaire, une partie au moins de la responsabilité revient aux banques qui ont attribué des crédits facilement et sans beaucoup de discernement.

Dans un système financier basé sur le partage des profits et des risques, une telle situation ne pourrait se produire, car les investisseurs (en l’occurrence les banques) ont une forte incitation à mieux contrôler le développement de projet d’investissement.

Aujourd’hui la finance islamique représente 1000 milliards de dollars sur le marché mondial.

Il est incontestable qu’elle peut représenter une alternative au système conventionnelle, qui est pour beaucoup responsable de la crise actuelle, et ainsi se développer dans beaucoup plus de pays.

Pas étonnant alors que l’université Paris Dauphine lance en novembre, un master 2 d’économie « Charia-compatible » pour développer ce secteur encore trop peu méconnu, mais très prometteur.

D.Perrotin



source: http://www.agoravox.fr/actualites/economie/article/la-finance-islamique-pour-les-nuls-61212
 
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