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« harry potter est un bâtard »
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[QUOTE="didadoune, post: 14177153, member: 374519"] [B]Le thème de la désobéissance civile sous-tend toute l’évolution du héros, particulièrement dans les derniers volumes. Diriez-vous comme Isabelle Smadja qu’Harry Potter est le premier héros anticapitaliste, antimondialiste, dans la ligne des émeutes de 1999 à Seattle ?[/B] Quand on cherche du politique dans un texte, on en trouve. J.K. Rowling ne nous vend pas de carte de parti. C'est avant tout une romancière. Elle met en scène des personnages fictifs. Ils ne sont certes pas dépourvus d’une dimension politique. Mais elle ne contrôle pas la lecture politique qui peut être faite de ses œuvres, et le risque de surinterprétation qui l’accompagne. D’ailleurs, assez significativement, dans le trajet qu’Harry doit accomplir, il est amené à réévaluer Dumbledore, sacré dans le premier opus comme une référence absolue et quelque peu idéalisée. Autrement dit, il se retrouve sans leader. On lui demande expressément dans le volume 7 de sortir d’un culte du chef qui lui serait fatal. J.K. Rowling est trop attachée à cette idée de l’indépendance de l’esprit pour qu’on puisse réduire son héros à un anarchiste ! Cela dit, je peux me tromper. Connaissez-vous cette formule de Gide à propos de Maupassant ? «Maupassant est à chacun de ses lecteurs la même chose et ne parle à aucun en secret.» Autrement dit, ce n’est pas un écrivain ! Je rejoins Gide totalement: un écrivain est quelqu’un qui n’est à aucun de ses lecteurs la même chose et qui parle à chacun en secret. C’est pourquoi la critique est possible. [B]A Poudlard, le rôle initiatique du sport prend des proportions hallucinantes pendant les fameux matchs de «Quidditch». Une façon de singer l’importance hypertrophiée donnée par les Anglo-Saxons à certains rites collectifs?[/B] Il faut le dire, ces pages sur le Quidditch sont absolument extraordinaires ! D’inventivité, d’abord, car J.K. Rowling invente un sport de toutes pièces : un sport évidemment totalement idiot, ce qui permet déjà de répondre à votre question ! L’enjeu est le renforcement et la réaffirmation de la virilité. Le choix fait est celui du corps sur l’intelligence. Harry lui-même, pourtant si réfléchi, cesse de l’être quand il joue au Quidditch, et laisse l’instinct de survie conduire ses choix. Il a besoin non plus d’un cerveau, mais d’un corps et d’un balai plus rapides et réactifs que ses adversaires. J.K. Rowling décrit un mouvement d’identification, d’oubli de soi provoqué par la présence de la foule. Le lecteur est affolé, surtout s’il n’a pas l’habitude des stades, car chaque personnage semble descendre au plus bas de lui-même quand il joue un match de Quidditch, le regarde ou le commente. La compétition devient haine de l’adversaire et nourrit le patriotisme de chaque maison dans cette mini-société qu’est Poudlard. La grande ironie de cette trouvaille formidable qu’est le Quidditch, c’est que J.K. Rowling nous sert un ou deux matchs par volume jusqu’au troisième opus ; à partir de là, on sent qu’elle n’a envie que d’une chose: s’en débarrasser ! Le tournoi des trois sorciers prend le pas sur le Quidditch dans le 4e opus, Dolores Ombrage interdit à Harry de jouer au début du 5e, et c’est Rogue qui prend le relais dans le 6e en infligeant à Harry des heures de retenue sur ses heures d’entraînement. Mais elle ne parvient qu’à moitié à se défaire de ce sport, car ses personnages sont, comme Sartre le voulait, vraiment libres : elle, maîtresse-écrivain, réussit cette prouesse stylistique d’inventer un sport et d’y faire croire, si absurde soit-il, mais elle peine ensuite à en détourner ses personnages. Ils veulent jouer, et de plus en plus ! Ils lui imposent le retour du jeu au fil des opus, elle ne sait plus comment les arrêter : les punitions des professeurs arrêtent Harry, mais la fièvre a gagné d’autres personnages, Ron par exemple, qui rejoint ses frères Fred et George. [B]La métaphore de la discrimination raciale est très présente avec les notions de «Moldus», de «Sang-mêlés», de «Sang-purs»… [/B] Un message politique est parfaitement repérable : « ne soyez pas raciste ». Mais surtout, J.K. Rowling met en garde contre le racisme inconscient, celui de Ron notamment, qui peine à traiter les Elfes de maison en égaux. J.K. Rowling sait à quel point l’adolescence est une période décisive, pendant laquelle chacun est invité à atteindre un niveau de conscience propre à abandonner de tels réflexes. Ron constitue un parfait exemple de l’évolution qu'elle voudrait voir chez chacun de ses petits lecteurs. Mais le grand paradoxe de son roman, c’est qu’il prend place dans un monde extrêmement élitiste et fermé. Poudlard fonctionne comme une école d’élite, ouverte seulement à quelques élus, parce qu'ils sont dotés d’un don de sorcellerie. On n'est pas si loin de l’enseignement supérieur anglais, lui aussi extrêmement exclusif, avec des coûts de scolarité de plusieurs dizaines de milliers de livres. Symboliquement, elle aurait pu imaginer un lieu plus propre à servir son message d’égalité ! J.K. Rowling a dû sentir ce décalage gênant, car dans son roman suivant, «Une place à prendre», elle rectifie le tir et fait l’éloge des écoles publiques anglaises au sens français du terme, c’est-à-dire ouvertes à tout le monde et y compris aux plus démunis. Elle y rappelle que la mission d’une société est de former et de donner une chance à tous les enfants, quelles qu’en soient les répercutions fiscales. [B]Harry est dans une quête permanente de ses origines et de son identité, et les différents volumes lui livrent au compte-goutte des indices de ce qui s’est vraiment passé le soir de la mort de ses parents… Comment expliquez-vous la fascination qu’exercent les héros orphelins sur les adolescents?[/B] [B][/B] Marthe Robert a répondu à cette question dans «Roman des origines et origines du roman». Il y a deux statuts pour le héros : soit c’est un orphelin, soit c’est un bâtard. Harry, à mon sens, est un peu des deux. Certes, il est orphelin. Mais comme le professeur Severus Rogue a été très amoureux de sa mère, Harry est aussi un bâtard, symboliquement, en ce que Rogue le protège comme un fils sans se l’avouer à lui-même. Le héros prend conscience de cette filiation symbolique dans le dernier opus et nommera d’ailleurs son fils Albus-Severus, lui donnant ainsi les noms des deux hommes qui l’auront le plus protégé. Une façon pour Harry de congédier son parrain Sirius, qu'il a pourtant beaucoup pleuré à sa mort. Ce retournement est très intéressant. Il s’organise d’ailleurs un trouble dans les derniers instants de Rogue : «Regardez-moi dans les yeux», répète-t-il à Harry, qui a hérité des yeux de sa mère. Je n’ai pas la réponse, mais je pose la question: est-ce qu’à cet instant précis, Rogue ne comprend pas enfin quelque chose à sa propre existence? Rogue est celui qui sait admirablement fermer son esprit et dissimuler sa pensée, si bien qu’il ne comprend rien lui-même à sa pauvre vie. Il semble avoir adopté Harry complètement inconsciemment, malgré lui. [B] Admettre cette filiation permettrait d’expliquer la compétition très oedipienne qui oppose Harry et Rogue…[/B] En effet, d’ailleurs remonter au mythe d’Œdipe permet de mieux comprendre l’évolution d’Harry : la pièce de Sophocle décrit un roi cherchant à débarrasser sa cité de la peste. Il sait qu’il doit pour cela trouver le meurtrier du précédent roi, Laïos, et découvre au terme de l’enquête que le meurtrier n’est autre que lui-même. Harry connaît une trajectoire sinon similaire, au moins parallèle : voulant débarrasser le monde de Voldemort, il réalise au terme de ses pérégrinations qu’il lui faut se sacrifier lui-même. Non seulement il finit par réaliser qu'il est le fils spirituel de Rogue, mais il découvre aussi qu'une très ancienne généalogie fait de Voldemort son cousin, de sorte qu’on est encore dans une histoire de famille. Au fil des tomes on remonte donc plus profondément dans le temps, car Harry comprend, comme Œdipe, qu’il ne pourra avancer sainement vers l’avenir sans avoir élucidé le passé. Propos recueillis par Clémence Faber [url]http://bibliobs.nouvelobs.com/actualites/20130920.OBS7871/harry-potter-est-un-batard.html[/url] [/QUOTE]
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