Article Huffington Post Maghreb du 10 Fev 2017 : http://www.huffpostmaghreb.com/2017/02/10/esclavage-maroc-france-_n_14675624.html?utm_hp_ref=Maghreb
Titre : Quand un captif de guerre français raconte "la barbarie marocaine" à Salé (Extraits)
HISTOIRE – "Voyages dans les États barbaresque du Maroc, Tunis, Alger et Tripoli, Lettres d'un des captifs qui viennent d'être rachetés par les Chanoines réguliers de la Sainte-Trinité". Tel est le (long) titre d’un livre édité en 1785 et partagé par la bibliothèque numérique de la Bibliothèque Nationale du Royaume du Maroc. Un témoignage à la fois touchant et cocasse d’un militaire français anonyme, captif en Afrique du Nord, et notamment au Maroc où il raconte sa vie d'esclave auprès d'un "Alcaïd" de Salé.
"Lorsque l’amour et l’hymen allaient me conduire aux autels, lorsque je retardai ce moment si désiré pour obéir à la voix de l’honneur qui m’appelait au camp de Saint-Roch, qui aurait pu penser que j’allais éprouver tout ce que les destins avaient de plus rigoureux ?". Dilemme classique du militaire laissant derrière lui la chaleur d’un foyer et s’apprêtant à combattre "sous les rochers sourcilleux de Gibraltar". Le soldat français fut dépêché lors de campagnes lancé par le roi Louis XV contre les pirates en méditerranée au début XVIIIe siècle. Le commandant de son régiment avait en effet décidé de tendre une embuscade au corsaires à Gibraltar, alors propriété de l’amiral anglais George Rooke.
Une expédition qui tourne mal
"Arrivé à Toulon, je m’embarquai le soir même sur un vaisseau génois qui allait partir sur les côtes méridionales de l’Espagne. Nous ne tardâmes guerre à lever l’ancre, le vent étant favorable, nous hissâmes nos voiles : nous voguions d’une vitesse extrême. Dès que nous arrivâmes à Majorque, le vent cessa, ce qui nous obligea à mouiller". Et pendant que certains de ses camarades se reposaient, et que d’autres ripaillaient, il s’isola dans sa cabine pour penser à sa belle Eugénie, au déchirement entre l’amour et l’honneur. Perdu dans ses pensées, il sursauta lorsque, soudainement, il entendit son commandant crier "Aux Armes !". C’était les "vagabonds arabes" qu’il craignait tant. Un violent combat s’ensuivit mais, isolés et pris par surprise, son régiment fut défait. "Fortune capricieuse ! Le nombre l’emporte en ce jour sur la valeur", se désole-t-il.
Le calvaire commence alors : "Les barbares ne connaissent point les regards, le respect, et l’admiration que mérite un guerrier généreux qui n’a succombé qu’après avoir combattu vaillamment. Hélas ! Je l’ai moi-même éprouvé en cette rencontre, ces lâches, juste après nous avoir arrachés nos armes, dépouillés de nos habits, nous couvrirent de vieux haillons et nous chargèrent de chaînes".
Embarqués pour l’Afrique du Nord
Pendant le voyage, le soldat continue de s’étonner des coutumes de ses geôliers. "La mer n’offrait qu’une surface tranquille, mais ce calme était trompeur, car nous vîmes bientôt des nuages épais s’amonceler dans le lointain, le vent qui ne tarda pas à s'élever les poussèrent vers nous, soudain, mille éclairs les déchirèrent. J’ai vu alors tout ce que peut la superstition sur les esprits grossiers. Ces barbares craintifs et consternés eurent aussitôt recours à des sacrifices : je les vis prendre un mouton, qu’ils coupèrent en deux, par le milieu du corps, ils jetèrent dans la mer du côté droit de leur vaisseau la partie où se trouvait la tête, et l’autre fut jetée dans le côté opposée. Ils accompagnaient cette cérémonie de contorsions puériles et ridicules". Une fois l’orage passé, ils traversèrent alors le détroit de Gibraltar et arrivèrent, quelques jours plus tard, au port de Salé, la capitale des pirates de l’époque, la "Barbarie", selon notre auteur. Ce dernier affirme ainsi avoir été traîné devant "toute la populace". Il fut enfermé dans les cachots, les "matamoures".
Les "joies" de l’esclavage à Salé
A la sortie des cachots, ils furent alors exposés dans les "bazars", pour être vendus à des marchands. "Ils nous examinèrent attentivement, nous firent mettre tous nus, et comme nous avions beaucoup de peine à y consentir, on nous le fit faire à grands coups de bâtons. Après cela, ils nous firent marcher, sauter, cabrioler, ils examinèrent ensuite nos dents, nos yeux, nos mains, pour savoir si nous étions hommes de travail. (..) Comme ils s’adonnèrent beaucoup à la chiromancie (ndlr : pratique divinatoire consistant à interpréter les lignes et les autres signes de la paume de la main, très présente dans la société pagano-islamique de la République de Salé), ils tachèrent de connaître par les lignes si l’on est point malade, ou si l’on ne s’enfuira pas".
Titre : Quand un captif de guerre français raconte "la barbarie marocaine" à Salé (Extraits)
HISTOIRE – "Voyages dans les États barbaresque du Maroc, Tunis, Alger et Tripoli, Lettres d'un des captifs qui viennent d'être rachetés par les Chanoines réguliers de la Sainte-Trinité". Tel est le (long) titre d’un livre édité en 1785 et partagé par la bibliothèque numérique de la Bibliothèque Nationale du Royaume du Maroc. Un témoignage à la fois touchant et cocasse d’un militaire français anonyme, captif en Afrique du Nord, et notamment au Maroc où il raconte sa vie d'esclave auprès d'un "Alcaïd" de Salé.
"Lorsque l’amour et l’hymen allaient me conduire aux autels, lorsque je retardai ce moment si désiré pour obéir à la voix de l’honneur qui m’appelait au camp de Saint-Roch, qui aurait pu penser que j’allais éprouver tout ce que les destins avaient de plus rigoureux ?". Dilemme classique du militaire laissant derrière lui la chaleur d’un foyer et s’apprêtant à combattre "sous les rochers sourcilleux de Gibraltar". Le soldat français fut dépêché lors de campagnes lancé par le roi Louis XV contre les pirates en méditerranée au début XVIIIe siècle. Le commandant de son régiment avait en effet décidé de tendre une embuscade au corsaires à Gibraltar, alors propriété de l’amiral anglais George Rooke.
Une expédition qui tourne mal
"Arrivé à Toulon, je m’embarquai le soir même sur un vaisseau génois qui allait partir sur les côtes méridionales de l’Espagne. Nous ne tardâmes guerre à lever l’ancre, le vent étant favorable, nous hissâmes nos voiles : nous voguions d’une vitesse extrême. Dès que nous arrivâmes à Majorque, le vent cessa, ce qui nous obligea à mouiller". Et pendant que certains de ses camarades se reposaient, et que d’autres ripaillaient, il s’isola dans sa cabine pour penser à sa belle Eugénie, au déchirement entre l’amour et l’honneur. Perdu dans ses pensées, il sursauta lorsque, soudainement, il entendit son commandant crier "Aux Armes !". C’était les "vagabonds arabes" qu’il craignait tant. Un violent combat s’ensuivit mais, isolés et pris par surprise, son régiment fut défait. "Fortune capricieuse ! Le nombre l’emporte en ce jour sur la valeur", se désole-t-il.
Le calvaire commence alors : "Les barbares ne connaissent point les regards, le respect, et l’admiration que mérite un guerrier généreux qui n’a succombé qu’après avoir combattu vaillamment. Hélas ! Je l’ai moi-même éprouvé en cette rencontre, ces lâches, juste après nous avoir arrachés nos armes, dépouillés de nos habits, nous couvrirent de vieux haillons et nous chargèrent de chaînes".
Embarqués pour l’Afrique du Nord
Pendant le voyage, le soldat continue de s’étonner des coutumes de ses geôliers. "La mer n’offrait qu’une surface tranquille, mais ce calme était trompeur, car nous vîmes bientôt des nuages épais s’amonceler dans le lointain, le vent qui ne tarda pas à s'élever les poussèrent vers nous, soudain, mille éclairs les déchirèrent. J’ai vu alors tout ce que peut la superstition sur les esprits grossiers. Ces barbares craintifs et consternés eurent aussitôt recours à des sacrifices : je les vis prendre un mouton, qu’ils coupèrent en deux, par le milieu du corps, ils jetèrent dans la mer du côté droit de leur vaisseau la partie où se trouvait la tête, et l’autre fut jetée dans le côté opposée. Ils accompagnaient cette cérémonie de contorsions puériles et ridicules". Une fois l’orage passé, ils traversèrent alors le détroit de Gibraltar et arrivèrent, quelques jours plus tard, au port de Salé, la capitale des pirates de l’époque, la "Barbarie", selon notre auteur. Ce dernier affirme ainsi avoir été traîné devant "toute la populace". Il fut enfermé dans les cachots, les "matamoures".
Les "joies" de l’esclavage à Salé
A la sortie des cachots, ils furent alors exposés dans les "bazars", pour être vendus à des marchands. "Ils nous examinèrent attentivement, nous firent mettre tous nus, et comme nous avions beaucoup de peine à y consentir, on nous le fit faire à grands coups de bâtons. Après cela, ils nous firent marcher, sauter, cabrioler, ils examinèrent ensuite nos dents, nos yeux, nos mains, pour savoir si nous étions hommes de travail. (..) Comme ils s’adonnèrent beaucoup à la chiromancie (ndlr : pratique divinatoire consistant à interpréter les lignes et les autres signes de la paume de la main, très présente dans la société pagano-islamique de la République de Salé), ils tachèrent de connaître par les lignes si l’on est point malade, ou si l’on ne s’enfuira pas".