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Le 10 juillet 1971, plus de 1000 invités se rendent au palais royal de Skhirat pour célébrer le 42ème anniversaire de Hassan II. Parmi eux des personnalités de tous bords, politiciens, sécuritaires, hommes daffaires, artistes, etc. La fête est gâchée par
une tentative de coup dEtat, fomentée par un militaire de 36 ans, le lieutenant-colonel Mhamed Ababou. Bilan de la journée : plus de 500 morts, 8 tonnes de munitions utilisées, des blessés par centaines, 10 condamnations à mort, plusieurs exécutions sommaires, etc. Et une grosse frayeur pour Hassan II, qui a failli y laisser son trône. TelQuel reconstitue les faits, dans le détail, dune journée exceptionnelle. Avec de nouvelles
révélations, des témoignages inédits, des clés pour mieux comprendre la suite : Tazmamart, un nouveau cycle dannées de plomb, et un besoin, le vôtre, le nôtre, de relire une page importante de notre histoire. 24 heures, donc, où tout a failli basculer...
2 heures du matin. Le clairon sonne plus tôt que dhabitude, à lécole militaire dAhermoumou, village planté à 70 kilomètres de Fès. En deux temps trois mouvements, les 1200 élèves sous-officiers sextirpent du lit en tenue de combat. Depuis deux jours déjà nous étions en état dalerte, nous devions dormir en uniforme, prêts à partir en mission à tout moment, raconte Mohamed Moutakillah, ancien dAhermoumou, aujourdhui chauffeur de bus scolaire. La veille, le commandant de lécole, le lieutenant-colonel Mhamed Ababou (lire encadré), a regroupé dans la salle dhonneur une trentaine dofficiers et de sous-officiers, pour leur annoncer limminence dun exercice militaire : Alors voilà, je vous informe quune manuvre de 48 heures aura lieu à Benslimane. Normalement, cest une autre brigade qui devait effectuer cet exercice, mais jai bataillé pour que lécole sen charge.
Celui qui se sent incapable de remplir cette mission, je len dispense sans rancune aucune. Désireux den savoir plus, laspirant Mohammed Raïss (auteur de De Skhirat à Tazmamart, Ed. Afrique Orient, 2003) aurait lancé à Ababou : Mon colonel, en quoi consiste notre mission au juste ?. Réponse de Ababou : Je nen sais pas plus que vous, cest une affaire de généraux. A Rabat, vous trouverez un état-major avancé qui vous donnera votre mission. Lentraînement se réalisera à balles réelles, ajoute Ababou. Ça en a étonné plus dun, puisque les manuvres se font normalement avec des balles à blanc, se rappelle un des élèves sous-officiers. Distribuées la veille, 8 tonnes darmes sont prêtes à lutilisation : canons antichars, fusils mitrailleurs, mitraillettes anti-aériennes, grenades, canons 75, pistolets Beretta Nous avons même essayé un nouvel arrivage de roquettes américaines sur le champ de tir, poursuit notre source. Soucieux de réussir lexercice, Ababou supervise, lors de ce training, une démonstration dembarquement et de débarquement des camions. Chronomètre en main. Ce qui ne manque pas déveiller quelques soupçons : Cette effervescence inhabituelle intrigua le lieutenant Fortaz, médecin français, qui demanda avec un sourire narquois au capitaine Ghalloul : Dites-moi capitaine, jai limpression que vous êtes en train de préparer un coup dEtat, écrit Raïss. Oh non, répond alors le capitaine, notre pays est stable
4h00. En quelques minutes, les 1200 militaires de la garnison embarquent dans les 25 camions alignés sur la place darmes. Des commandos dune quarantaine déléments menés chacun par un officier et un sous-officier. Le convoi sébranle. Direction plein sud. Deux jeeps de gradés ouvrent et ferment le défilé de véhicules militaires, sétalant sur plus de 500 mètres. Après quelques kilomètres au petit pas, sur une route sinueuse, un gradé lance au chauffeur du camion de tête: Activez ! Nous allons avoir du retard. Réponse du soldat : Capitaine, ce sont des boujadis, des bleus, ils sont incapables daller plus vite. Après le sprint du départ, le temps se fait long. Des cadets en profitent pour terminer leur nuit de sommeil, dautres, pour jouer aux cartes.
6h30. La caravane militaire fait halte dans un hameau, aux abords de Fès. Les soldats profitent de la pause-pipi pour se dégourdir les jambes. Une pause express. Le convoi traverse la ville alors que les premières lueurs du jour pointent à lhorizon. Nationale 1 vers Kénitra pour éviter les encombrements. En route, les bidasses croisent léquipe locale du MAS, qui joue le jour même une demi-finale de la coupe du trône. Jétais supporter du MAS, nous raconte, sourire aux lèvres, un sous-officier. Jai fait un signe de la main à Hazzaz, gardien de léquipe (et keeper du onze marocain, ndlr), qui ma salué en retour avec un grand sourire.
8h15. Quelques 150 kilomètres plus loin, le convoi décide de prendre un raccourci au niveau de Sidi Kacem. Il déchante vite, la route est bloquée, impossible daller plus loin. Le convoi est contraint de rebrousser chemin. La route étroite rend difficile la manuvre, et retarde dautant lobjectif de la journée : prendre le palais royal de Skhirat.
10h00. Dans la résidence royale donnant sur la plage de Skhirat, on s'active. Un tournoi de golf est organisé, en labsence de Hassan II, convaincu par le général Melbouh que la compétition l'aurait retardé pour la suite de la cérémonie. Un millier de convives- des hommes pour la plupart, les femmes étant invitées le lendemain- sont attendus, tenue estivale de détente exigée, comme mentionné sur le carton dinvitation. Lambiance est à la fête, on est loin de se douter du projet de putsch.
10h15. A bord de sa Citroën DS, Ababou a décidé de devancer le peloton kaki. Il arrive le premier à Bouknadel, village situé à une quinzaine de kilomètres de Rabat. En civil, chemisette à fleurs et pantalon pattes déph, il va à la rencontre de létat-major avancé, une poignée de commandants des Forces armées royales (FAR). En attendant sa garnison, Ababou mène sa garde rapprochée en forêt, et explique les véritables raisons de ce raout champêtre : Mes amis, aujourdhui cest lanniversaire du roi, toutes les personnalités importantes du pays sont invitées au palais de Skhirat. Profitant de cette occasion et de leffet de surprise, le général Medbouh (directeur de la maison militaire, chargé dinformer le souverain de toutes les questions relatives à la défense nationale, ndlr) et moi-même avons décidé de faire un coup dEtat, rapporte Raïss dans son livre. Jattends mes hommes qui arriveront dun moment à lautre. Parmi les présents, un certain lieutenant-colonel Abdellah Kadiri, (lire encadré) qui aurait, selon Raïss, lancé à Ababou : Je crois que tu plaisantes. Un coup dEtat ça se prépare, ce nest pas une partie de chasse. Dailleurs, moi je ne suis pas daccord. Va faire ton coup, moi je reste ici.
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11h20. Le convoi arrive enfin au point de ralliement : la forêt de la Maâmora. Il fait chaud, très chaud, les soldats dégoulinent de sueur. Ababou donne lordre de débarquement, cest lheure du casse-croûte. Au menu : boîtes de sardines, barres chocolatées et une bonne ration damphétamine. Les hommes reçoivent, comme à chaque départ en longue manuvre, une dose de benzédrine. Cest le produit quutilisaient pendant les guerres, les commandos anglais pour maintenir leurs nerfs en bon état pendant leurs opérations, raconte Claude Clément, dans Oufkir, (1975, éditions Jean Dullis). Mhamed Ababou, accompagné de son frère aîné Mohamed, rassemble les chefs de commandos. Il nous demanda de nous approcher de lui et de former un demi-cercle, puis il commença son speech dune voix calme, rassurante, et dun sang-froid remarquable, écrit Raïss. Il sagit dencercler deux bâtiments à Skhirat, occupés par des éléments subversifs, lance Ababou, daprès plusieurs témoignages. Une version contredite par les PV de lépoque : Le lieutenant-colonel Ababou Mhamed nous tint les propos suivants : messieurs, vous êtes des officiers jeunes, vous connaissez tous la condition de lofficier dans notre armée. Le haut commandement a décidé de faire un coup dEtat, déclare notamment Aziz Binebine lors de linterrogatoire militaire. Nous devons attaquer le palais de Skhirat. Nous devons intervenir à 13 heures.
révélations, des témoignages inédits, des clés pour mieux comprendre la suite : Tazmamart, un nouveau cycle dannées de plomb, et un besoin, le vôtre, le nôtre, de relire une page importante de notre histoire. 24 heures, donc, où tout a failli basculer...
2 heures du matin. Le clairon sonne plus tôt que dhabitude, à lécole militaire dAhermoumou, village planté à 70 kilomètres de Fès. En deux temps trois mouvements, les 1200 élèves sous-officiers sextirpent du lit en tenue de combat. Depuis deux jours déjà nous étions en état dalerte, nous devions dormir en uniforme, prêts à partir en mission à tout moment, raconte Mohamed Moutakillah, ancien dAhermoumou, aujourdhui chauffeur de bus scolaire. La veille, le commandant de lécole, le lieutenant-colonel Mhamed Ababou (lire encadré), a regroupé dans la salle dhonneur une trentaine dofficiers et de sous-officiers, pour leur annoncer limminence dun exercice militaire : Alors voilà, je vous informe quune manuvre de 48 heures aura lieu à Benslimane. Normalement, cest une autre brigade qui devait effectuer cet exercice, mais jai bataillé pour que lécole sen charge.
Celui qui se sent incapable de remplir cette mission, je len dispense sans rancune aucune. Désireux den savoir plus, laspirant Mohammed Raïss (auteur de De Skhirat à Tazmamart, Ed. Afrique Orient, 2003) aurait lancé à Ababou : Mon colonel, en quoi consiste notre mission au juste ?. Réponse de Ababou : Je nen sais pas plus que vous, cest une affaire de généraux. A Rabat, vous trouverez un état-major avancé qui vous donnera votre mission. Lentraînement se réalisera à balles réelles, ajoute Ababou. Ça en a étonné plus dun, puisque les manuvres se font normalement avec des balles à blanc, se rappelle un des élèves sous-officiers. Distribuées la veille, 8 tonnes darmes sont prêtes à lutilisation : canons antichars, fusils mitrailleurs, mitraillettes anti-aériennes, grenades, canons 75, pistolets Beretta Nous avons même essayé un nouvel arrivage de roquettes américaines sur le champ de tir, poursuit notre source. Soucieux de réussir lexercice, Ababou supervise, lors de ce training, une démonstration dembarquement et de débarquement des camions. Chronomètre en main. Ce qui ne manque pas déveiller quelques soupçons : Cette effervescence inhabituelle intrigua le lieutenant Fortaz, médecin français, qui demanda avec un sourire narquois au capitaine Ghalloul : Dites-moi capitaine, jai limpression que vous êtes en train de préparer un coup dEtat, écrit Raïss. Oh non, répond alors le capitaine, notre pays est stable
4h00. En quelques minutes, les 1200 militaires de la garnison embarquent dans les 25 camions alignés sur la place darmes. Des commandos dune quarantaine déléments menés chacun par un officier et un sous-officier. Le convoi sébranle. Direction plein sud. Deux jeeps de gradés ouvrent et ferment le défilé de véhicules militaires, sétalant sur plus de 500 mètres. Après quelques kilomètres au petit pas, sur une route sinueuse, un gradé lance au chauffeur du camion de tête: Activez ! Nous allons avoir du retard. Réponse du soldat : Capitaine, ce sont des boujadis, des bleus, ils sont incapables daller plus vite. Après le sprint du départ, le temps se fait long. Des cadets en profitent pour terminer leur nuit de sommeil, dautres, pour jouer aux cartes.
6h30. La caravane militaire fait halte dans un hameau, aux abords de Fès. Les soldats profitent de la pause-pipi pour se dégourdir les jambes. Une pause express. Le convoi traverse la ville alors que les premières lueurs du jour pointent à lhorizon. Nationale 1 vers Kénitra pour éviter les encombrements. En route, les bidasses croisent léquipe locale du MAS, qui joue le jour même une demi-finale de la coupe du trône. Jétais supporter du MAS, nous raconte, sourire aux lèvres, un sous-officier. Jai fait un signe de la main à Hazzaz, gardien de léquipe (et keeper du onze marocain, ndlr), qui ma salué en retour avec un grand sourire.
8h15. Quelques 150 kilomètres plus loin, le convoi décide de prendre un raccourci au niveau de Sidi Kacem. Il déchante vite, la route est bloquée, impossible daller plus loin. Le convoi est contraint de rebrousser chemin. La route étroite rend difficile la manuvre, et retarde dautant lobjectif de la journée : prendre le palais royal de Skhirat.
10h00. Dans la résidence royale donnant sur la plage de Skhirat, on s'active. Un tournoi de golf est organisé, en labsence de Hassan II, convaincu par le général Melbouh que la compétition l'aurait retardé pour la suite de la cérémonie. Un millier de convives- des hommes pour la plupart, les femmes étant invitées le lendemain- sont attendus, tenue estivale de détente exigée, comme mentionné sur le carton dinvitation. Lambiance est à la fête, on est loin de se douter du projet de putsch.
10h15. A bord de sa Citroën DS, Ababou a décidé de devancer le peloton kaki. Il arrive le premier à Bouknadel, village situé à une quinzaine de kilomètres de Rabat. En civil, chemisette à fleurs et pantalon pattes déph, il va à la rencontre de létat-major avancé, une poignée de commandants des Forces armées royales (FAR). En attendant sa garnison, Ababou mène sa garde rapprochée en forêt, et explique les véritables raisons de ce raout champêtre : Mes amis, aujourdhui cest lanniversaire du roi, toutes les personnalités importantes du pays sont invitées au palais de Skhirat. Profitant de cette occasion et de leffet de surprise, le général Medbouh (directeur de la maison militaire, chargé dinformer le souverain de toutes les questions relatives à la défense nationale, ndlr) et moi-même avons décidé de faire un coup dEtat, rapporte Raïss dans son livre. Jattends mes hommes qui arriveront dun moment à lautre. Parmi les présents, un certain lieutenant-colonel Abdellah Kadiri, (lire encadré) qui aurait, selon Raïss, lancé à Ababou : Je crois que tu plaisantes. Un coup dEtat ça se prépare, ce nest pas une partie de chasse. Dailleurs, moi je ne suis pas daccord. Va faire ton coup, moi je reste ici.
orion est connecté maintenant Signaler un message hors-charte
11h20. Le convoi arrive enfin au point de ralliement : la forêt de la Maâmora. Il fait chaud, très chaud, les soldats dégoulinent de sueur. Ababou donne lordre de débarquement, cest lheure du casse-croûte. Au menu : boîtes de sardines, barres chocolatées et une bonne ration damphétamine. Les hommes reçoivent, comme à chaque départ en longue manuvre, une dose de benzédrine. Cest le produit quutilisaient pendant les guerres, les commandos anglais pour maintenir leurs nerfs en bon état pendant leurs opérations, raconte Claude Clément, dans Oufkir, (1975, éditions Jean Dullis). Mhamed Ababou, accompagné de son frère aîné Mohamed, rassemble les chefs de commandos. Il nous demanda de nous approcher de lui et de former un demi-cercle, puis il commença son speech dune voix calme, rassurante, et dun sang-froid remarquable, écrit Raïss. Il sagit dencercler deux bâtiments à Skhirat, occupés par des éléments subversifs, lance Ababou, daprès plusieurs témoignages. Une version contredite par les PV de lépoque : Le lieutenant-colonel Ababou Mhamed nous tint les propos suivants : messieurs, vous êtes des officiers jeunes, vous connaissez tous la condition de lofficier dans notre armée. Le haut commandement a décidé de faire un coup dEtat, déclare notamment Aziz Binebine lors de linterrogatoire militaire. Nous devons attaquer le palais de Skhirat. Nous devons intervenir à 13 heures.