Et si on interdisait le football ?

Que d'hypocrisie et d'angélisme, dans cette affaire de la main de Thierry Henry, comme si c'était la seule "faute" de ce match ou de tant d'autres (hors corruption ou dopage) que l'arbitre ne peut pas voir : croche-pieds discrets, plongeons pour obtenir un coup franc, tirages de maillot (pratiquement tolérés lors de tous les corners), etc. Prenons un peu de recul sur ce match France-Irlande, et posons-nous la question : comment le foot a-t-il dégénéré, et pourquoi seulement lui ?

J'ai connu l'époque (il y a un demi-siècle...) où le foot (même les matches internationaux) était un sport comme les autres, où n'importe qui pouvait assister à un match en achetant un billet aux guichets du stade, comme au cinéma, sans être membre d'un club officiel de supporteurs, dirigeant d'une fédération ou cousin du président de la République ; où l'on encourageait son équipe sans siffler l'adversaire qu'on pouvait applaudir à l'occasion d'une belle action ; où l'on ne le sifflait pas dès qu'il avait la balle ; où l'on n'aurait jamais imaginé de siffler son hymne national ; où supporteurs des deux équipes étaient mélangés dans les tribunes et n'auraient jamais imaginé d'en venir aux mains ; seul l'arbitre ("Aux chiottes !") tenait gentiment lieu de tête de Turc, mais sans que sa bonne foi ne soit mise en cause.

Et puis, tout s'est progressivement gâté... Le soutien à son équipe est devenu un fanatisme débile, où toute bonne foi et tout esprit d'amateur du beau jeu ont disparu, seul le résultat compte (les "mains" de Thierry Henry ou de Maradona ne sont que le reflet exact, sur le terrain, de l'état d'esprit des supporteurs) ; un chauvinisme primaire s'est déchaîné, que rien, dans l'histoire des pays où dans leurs conflits politiques en cours, ne peut expliquer : si on peut comprendre qu'un match Iran - Etats-Unis ou Israël-n'importe quel pays musulman soit un match sous tension, comment comprendre les déchaînements de haine mutuelle du récent Egypte-Algérie, deux pays qu'aucun conflit politique passé ou présent n'a jamais opposés ?

Le sommet étant évidemment atteint par la guerre ayant opposé en 1969 le Honduras et le Salvador à la suite d'un match de foot. Ne sourions pas avec condescendance : quand on voit le premier ministre irlandais demander publiquement que France-Irlande soit rejoué (il doit confondre avec le référendum sur le traité de Lisbonne...), le même processus de politisation du football est à l'oeuvre. Puis est apparu le phénomène hooligan, culminant avec les 39 morts du stade du Heysel le 29 mai 1985, danger latent face au nombre de gens qui ne viennent que pour en découdre : ce phénomène est inconnu dans d'autres sports, également populaires et bien plus violents, comme le rugby ou la boxe.

On aurait pu espérer que l'arrêt Bosmann, supprimant toute limite au nombre de joueurs étrangers dans chaque équipe de club, et permettant à certains grands clubs britanniques de ne pas aligner un seul joueur national, atténuerait le chauvinisme : on constate qu'il n'en a rien été, le chauvinisme nationaliste s'étant mué en un chauvinisme de club tout aussi fanatique. On aurait pu espérer que la multiplication de joueurs d'origine africaine mettrait fin au phénomène si important et si pudiquement minimisé du racisme dans les stades. On constate qu'il n'en a rien été, et que les joueurs à la peau noire des équipes adverses font toujours l'objet des mêmes cris imitant ceux des singes : on ne tolère que les Noirs de son équipe, "les bons Noirs", comme tout antisémite qui se respecte a son "bon juif".

L'argent n'explique pas tout, les sommes en jeu sont également considérables au tennis, où l'on entendrait une mouche voler pendant les échanges, même dans les tournois entre nations (Coupe Davis) ; ou bien en athlétisme ou en rugby, devenus professionnels comme le foot, et dans lesquels "l'honneur national" serait également en jeu. Le côté "populaire" du foot, dans lequel l'esprit fair-play serait moins développé que chez les "élites", n'explique pas tout non plus, puisque d'autres sports tout aussi populaires ne connaissent pas les mêmes dérives.

Reste que, quelles qu'en soient les explications, moins simples qu'on ne le pense, un constat s'impose : le mythe du "sport, école de civisme développant l'entente entre les peuples et leur respect mutuel autour d'une passion commune partagée, l'important étant de participer et non de gagner" s'est transformé, en foot, en son exact contraire : fanatisme, chauvinisme, haine de l'adversaire, victoire à tout prix. Alors, la question se pose : si c'était financièrement possible, ne faudrait-il pas interdire le foot ?

Par : Elie Arié
Source : Le monde
 
et qui serait ce "On" qui l'interdirait? Et pourquoi pas interdire la musique? Ou la politique? Ou supprimer l'argent? Ou interdire les religions? C'est tout aussi absurde.
 
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