kamomille
VIB
Par Meryem Reggab
Entre drague et insulte, la Marocaine est la cible des hommes de 7 à 77 ans.
(AIC PRESS)
Comment quelques centaines de mètres à parcourir à pied se transforment en calvaire pour une jeune fille ? Ou pourquoi la voiture est la meilleure amie de la femme marocaine.
Ce matin, quand ma voiture est tombée en panne, jai su que ma dignité allait aussi tomber en panne, et vous allez comprendre pourquoi ! En désespoir de cause, jai décidé de marcher jusquà mon lieu de travail, qui se trouve à 15 minutes de chez moi. Un acte résolument courageux, quand on prend connaissance du fait que je suis une
femme. Je me résous à arpenter à pied les rues de Casablanca, avec tous les risques que cela suppose : se faire arracher son sac, se faire traiter de jolis sobriquets et même de p , etc.
Jai même osé penser ne pas mhabiller en conséquence. Jai donc laissé tomber mon manteau Batman, un vieux manteau qui a la particularité de dissimuler mes cuisses, ma chute de reins, ma poitrine bref, mon corps de femme. Je sors donc, sans oublier de mettre mes lunettes noires, histoire de ne pas croiser le regard de ladversaire : cela pourrait être interprété comme une invitation ! Qui est ladversaire ? Une personne biologiquement avantagée au Maroc, donc de sexe masculin, âgée de 7 à 77 ans. Elle peut être polie, agressive ou carrément obscène, cela ne dépend que de votre degré de chance dans la vie.
Jouvre les hostilités ! Sur les 100 premiers mètres, je nai droit quaux fameux effets sonores, semblables à un bisou prolongé, et à quelques sifflements. Mais au moment où je mapprête à longer le Boulevard, les choses se compliquent. On passe des effets sonores aux phrases complètes : ça va du moustachu aux dents jaunies, qui affirme que je ressemble comme deux gouttes deau à Guadalupe, au jeune boutonneux qui vient de muer et dont la mâchoire pendouille littéralement par terre, qui pense que je suis tout bonnement bonne (Meziana, pour reprendre le terme exact), en passant par moul détail (vendeur de cigarettes à lunité), qui ne me trouve pas laide, mais littéralement hideuse (pas khayba mais khaybou3a), et auquel les formes (ou plutôt les déformations) de mon corps rappellent une bouteille dOrangina. Ses paroles fusent au milieu des éclats de rires de ses potes, vous savez, les 4 ou 5 hommes qui lentourent f'rass derb. On ne sait pas pourquoi ils sont là, mais ils sont là, toute la journée.
Solidarité féminine
Fatigué, le côté raisonnable de ma personnalité reprend le dessus sur la partie intrépide. Je ne voulais quune chose : fermer les yeux, les rouvrir pour me retrouver derrière mon bureau. Je décide alors de héler un taxi. Du coup, jadopte naturellement la position de lauto-stoppeur qui inspire plutôt à nos chers automobilistes celle de la prostituée. Et là, ça senchaîne encore. Quand ce ne sont pas les deux quidams juchés sur un 103 qui feintent pour passer à 20 centimètres de mon visage, cest le chauffeur du camion de livraison qui lance un cri bizarroïde, une espèce de gémissement désespéré. Sans oublier le clin dil et le sourire de pub pour dentifrice du jeune cadre dynamique dans sa belle voiture, investissement qui lui permettra dexister aux yeux des filles. Sa voiture, cest son capital confiance en soi ! Cest son nom de famille. Karim 308 Coupé, cest comme ça que les filles enregistrent son nom sur leurs répertoires. Cest de toute manière le seul moyen de se souvenir de lui ! Je déclare forfait et je finis par sauter dans le premier taxi qui sarrête devant Karim 308 Coupé, poussant un grand soupir. Je cherchais du regard un peu de soutien chez lautre cliente à bord du taxi, quand le chauffeur de taxi lance : Il te dérange Madame ?. Prise dun élan d'optimisme, pensant avoir trouvé des alliés, je me lâche : Oui khouya, cest infernal !. Et là, la vieille femme rétorque : Oui, mais ma fille, il faut dire aussi que ton pantalon est très serré. Cest normal que tu suscites ce genre de réaction. Si tu thabillais dune manière plus euh, plus simple ! (elle voulait certainement dire respectable), tu ne serais pas dérangée dans la rue !.
Vive la solidarité féminine ! En gros, je suis coupable de ce qui marrive, tout est de ma faute. Je voulais lui expliquer que de nos jours, à la plage, les hommes ont plus tendance à regarder en bavant les femmes qui nagent habillées et qui ressortent de la mer toutes mouillées, les habits trempés marquant leur rondeurs davantage que celles des filles en maillot deux pièces Mais je ne lui ai rien dit. Jarrive à mon bureau dégoûtée, résignée et mal à laise. Jappelle illico mon mécanicien en le suppliant daccélérer le processus de réparation de ma voiture, ma sécurité, ma protection, mon nécessaire !
Article paru ds Telquel
Entre drague et insulte, la Marocaine est la cible des hommes de 7 à 77 ans.
(AIC PRESS)
Comment quelques centaines de mètres à parcourir à pied se transforment en calvaire pour une jeune fille ? Ou pourquoi la voiture est la meilleure amie de la femme marocaine.
Ce matin, quand ma voiture est tombée en panne, jai su que ma dignité allait aussi tomber en panne, et vous allez comprendre pourquoi ! En désespoir de cause, jai décidé de marcher jusquà mon lieu de travail, qui se trouve à 15 minutes de chez moi. Un acte résolument courageux, quand on prend connaissance du fait que je suis une
femme. Je me résous à arpenter à pied les rues de Casablanca, avec tous les risques que cela suppose : se faire arracher son sac, se faire traiter de jolis sobriquets et même de p , etc.
Jai même osé penser ne pas mhabiller en conséquence. Jai donc laissé tomber mon manteau Batman, un vieux manteau qui a la particularité de dissimuler mes cuisses, ma chute de reins, ma poitrine bref, mon corps de femme. Je sors donc, sans oublier de mettre mes lunettes noires, histoire de ne pas croiser le regard de ladversaire : cela pourrait être interprété comme une invitation ! Qui est ladversaire ? Une personne biologiquement avantagée au Maroc, donc de sexe masculin, âgée de 7 à 77 ans. Elle peut être polie, agressive ou carrément obscène, cela ne dépend que de votre degré de chance dans la vie.
Jouvre les hostilités ! Sur les 100 premiers mètres, je nai droit quaux fameux effets sonores, semblables à un bisou prolongé, et à quelques sifflements. Mais au moment où je mapprête à longer le Boulevard, les choses se compliquent. On passe des effets sonores aux phrases complètes : ça va du moustachu aux dents jaunies, qui affirme que je ressemble comme deux gouttes deau à Guadalupe, au jeune boutonneux qui vient de muer et dont la mâchoire pendouille littéralement par terre, qui pense que je suis tout bonnement bonne (Meziana, pour reprendre le terme exact), en passant par moul détail (vendeur de cigarettes à lunité), qui ne me trouve pas laide, mais littéralement hideuse (pas khayba mais khaybou3a), et auquel les formes (ou plutôt les déformations) de mon corps rappellent une bouteille dOrangina. Ses paroles fusent au milieu des éclats de rires de ses potes, vous savez, les 4 ou 5 hommes qui lentourent f'rass derb. On ne sait pas pourquoi ils sont là, mais ils sont là, toute la journée.
Solidarité féminine
Fatigué, le côté raisonnable de ma personnalité reprend le dessus sur la partie intrépide. Je ne voulais quune chose : fermer les yeux, les rouvrir pour me retrouver derrière mon bureau. Je décide alors de héler un taxi. Du coup, jadopte naturellement la position de lauto-stoppeur qui inspire plutôt à nos chers automobilistes celle de la prostituée. Et là, ça senchaîne encore. Quand ce ne sont pas les deux quidams juchés sur un 103 qui feintent pour passer à 20 centimètres de mon visage, cest le chauffeur du camion de livraison qui lance un cri bizarroïde, une espèce de gémissement désespéré. Sans oublier le clin dil et le sourire de pub pour dentifrice du jeune cadre dynamique dans sa belle voiture, investissement qui lui permettra dexister aux yeux des filles. Sa voiture, cest son capital confiance en soi ! Cest son nom de famille. Karim 308 Coupé, cest comme ça que les filles enregistrent son nom sur leurs répertoires. Cest de toute manière le seul moyen de se souvenir de lui ! Je déclare forfait et je finis par sauter dans le premier taxi qui sarrête devant Karim 308 Coupé, poussant un grand soupir. Je cherchais du regard un peu de soutien chez lautre cliente à bord du taxi, quand le chauffeur de taxi lance : Il te dérange Madame ?. Prise dun élan d'optimisme, pensant avoir trouvé des alliés, je me lâche : Oui khouya, cest infernal !. Et là, la vieille femme rétorque : Oui, mais ma fille, il faut dire aussi que ton pantalon est très serré. Cest normal que tu suscites ce genre de réaction. Si tu thabillais dune manière plus euh, plus simple ! (elle voulait certainement dire respectable), tu ne serais pas dérangée dans la rue !.
Vive la solidarité féminine ! En gros, je suis coupable de ce qui marrive, tout est de ma faute. Je voulais lui expliquer que de nos jours, à la plage, les hommes ont plus tendance à regarder en bavant les femmes qui nagent habillées et qui ressortent de la mer toutes mouillées, les habits trempés marquant leur rondeurs davantage que celles des filles en maillot deux pièces Mais je ne lui ai rien dit. Jarrive à mon bureau dégoûtée, résignée et mal à laise. Jappelle illico mon mécanicien en le suppliant daccélérer le processus de réparation de ma voiture, ma sécurité, ma protection, mon nécessaire !
Article paru ds Telquel