Jocelyne Saab. La résistance tenace d’une cinéaste libanaise (histoire-culture)

Drianke

اللهم إفتح لنا أبواب الخير وأرزقنا من حيت لا نحتسب
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Jocelyne saab "Beyrouth, 1982. — Tournage de Beyrouth, ma ville. "


La cinéaste libanaise Jocelyne Saab est décédée le 7 janvier 2019 des suites d’une longue maladie. Elle laisse derrière elle une œuvre monumentale et l’exemple d’une carrière éblouissante, au plus proche des fractures historiques qui ont déchiré son pays et sa région du monde, toujours du côté de la résistance et de la liberté. Un témoignage indispensable pour l’histoire et nécessaire pour repenser l’écriture de l’histoire des images.

Collection d’artiste-Nessim Ricardou
Le 18 décembre dernier, elle était encore en public pour signer la publication de son livre de photographies, Zones de guerre, aux éditions de l’œil, et elle achevait une courte vidéo d’art pleine de promesses. L’aura et l’influence que Jocelyne Saab a su cultiver dès ses premiers reportages au milieu des années 1970 n’ont cessé d’influencer la jeunesse libanaise en pleine expansion créatrice. C’est sur le portrait d’une artiste combattante que nous proposons de revenir ici.

Elle naît en 1948 à Beyrouth. L’année 1948 est une date importante dans l’histoire arabe contemporaine : c’est celle de la Nakba, la « catastrophe » qui a conduit 300 000 Palestiniens à quitter leurs terres au moment de la création de l’État d’Israël. Ils se sont réfugiés où ils ont pu, en Jordanie, en Syrie, au Liban. Le Liban, un tout petit pays aux frontières fragiles et à l’État faible, incapable de réguler l’installation des réfugiés sur son territoire. Après la défaite arabe de la guerre de 1967 qui opposait les armées égyptienne, syrienne et jordanienne à l’armée israélienne, la résistance palestinienne se retrouve seule avec elle-même. Elle commence à s’organiser. Les déplacements de populations ne cessent d’augmenter.

À Beyrouth, Jocelyne Saab grandit à quelques kilomètres des nombreux camps de réfugiés palestiniens qui bordent le sud de la ville. Issue d’une famille bourgeoise maronite, elle a été éduquée chez les sœurs. Le quartier où elle vivait était toutefois très cosmopolite ; elle habitait ce qui deviendra « Beyrouth-Ouest » pendant la guerre, mais qui rassemblait à cette époque toutes les communautés sans distinction de classe. Cette partie de la ville abritait dans les années 1960 et 1970 tous les repaires des intellectuels de la gauche arabe du Liban.

Collection d’artiste-Nessim Ricardou
Protégée jusque-là par le cocon qui l’entourait, Jocelyne Saab commence à s’engager politiquement dès son arrivée à l’université. Elle est sensible aux discours en faveur du droit des Palestiniens sur leur terre. Au Liban, la résistance palestinienne s’organise ; chassée de Jordanie en 1970, l’Organisation pour la Libération de la Palestine (OLP) prend refuge à Beyrouth et s’arme pour se défendre.

Kadhafi, 1973 et la cause palestinienne
Jocelyne Saab termine ses études d’économie à Paris, où elle fréquente davantage les salles de cinéma que les bancs de l’université. Cependant, elle a toujours reconnu que son parcours universitaire — imposé par la famille et la bienséance — lui avait été pleinement utile dans son métier de journaliste. Après un bref passage à la radio et télévision libanaise, puis au Monde en presse écrite, elle est envoyée comme interprète pour la télévision en Libye, pour interroger Mouammar Kadhafi. Nous sommes alors en 1973, Jocelyne Saab a vingt-cinq ans ; et alors que le réalisateur fait faux bond au dernier moment, elle se retrouve à réaliser elle-même un long portrait du Guide (Kadhafi, l’homme qui venait du désert, 1973). Ce document exceptionnel lui assure une place à la télévision française. Elle est alors envoyée sur le front, au Kurdistan, dans le Golan syrien durant la guerre d’octobre 1973, en Égypte. Elle documente aussi la résistance palestinienne ; elle est la première journaliste à pouvoir intégrer un camp d’entrainement aux commandos-suicides, pratique encore clandestine à l’époque du film (Le Front du Refus, 1974). Engagée pour la cause, elle réalise également Les Palestiniens continuent (1974) et un portrait de combattantes palestiniennes resté inédit : Les Femmes palestiniennes, refusé et censuré par la chaine publique France 3 pour laquelle elle travaille.................


 
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