Makelloos
VIB
L’actualité est productrice d’histoire, aussi vrai que les « petits faits »
d’aujourd’hui, abusivement appelés « faits divers », un peu comme pour les minorer, les noyer dans le tumulte du jour le jour, constituent la grande histoire de demain. Aussi vrai qu’un fait, répétitif ou pas, peut être révélateur d’un contexte sociopolitique et des institutions qui l’encadrent. Il a fallu du temps pour se faire à l’idée de cette corrélation d’historicité. Cela devait passer par la réhabilitation de la valeur potentiellement historique d’un matériau quotidien.
Nous tenons, à ce propos, un exemple hautement illustratif. Le 15 août 2014, un homme circulait tranquillement sur l’autoroute Casa-Rabat, en direction de la ville de Tanger. Il est violemment percuté par une semi-remorque sur la troisième voie, près de Bouznika. Sans doute qu’il roulait à une vitesse raisonnable qui n’arrangeait pas le camionneur plutôt pressé. Celui-ci le harponne et l’éjecte de l’autre côté de la voie où il entre en collision avec des véhicules qui roulaient en sens inverse. Dans l’un d’entre eux, une jeune fille de 23 ans trouve la mort. Le chauffard de la semi-remorque, par qui le drame est arrivé, ne s’arrête pas. Dénoncé par un témoin oculaire, il est intercepté par la gendarmerie à la station de péage, arrêté, puis relâché étrangement le 2 septembre. On se rabat alors sur le conducteur qu’il avait percuté.
Incroyable mais vrai, la victime devient coupable. Il est tiré de son lit d’hôpital (en fauteuil roulant) pour être entendu et incarcéré dans des conditions inhumaines. Bien que souffrant de fractures consécutives à l’accident et de diabète, la liberté provisoire est refusée (en trois audiences ) à un homme d’un âge certain ; Ali Dinia, 78 ans ; par le tribunal de Première instance de Benslimane. Y’a-t-il eu une intervention externe ? Si ce n’est pas le cas, cela y ressemble beaucoup. En tout cas, suffisamment pour que le coupable désigné soit ainsi embastillé en lieu et place du coupable avéré.
Voilà donc une histoire vraie et malheureuse qui nous renvoie au fonctionnement de la justice dans notre pays. Sans basculer dans la généralisation facile, on peut penser, raisonnablement, que les exemples de ce genre ne sont pas que des cas isolés et exceptionnels. En fait, ils courent les tribunaux du royaume.
S’il y a une vérité première sur laquelle tous les intervenants sur la question de la justice sont d’accord, c’est celle-ci : la justice est la clé de voûte de tous les rouages de la société. Elle est le passage obligé à tous les niveaux de régulation dans leur immédiateté ou leur historicité. Cela va du voisinage de palier difficile, aux relations de travail, en passant par les conflits de succession, les accidents de la route et, surtout, la sécurité des personnes et des biens. L’éventail est immense, presque à l’infini dans le menu détail, tout autant que ses répercussions sont énormes.
Depuis des lustres, avant comme après l’Alternance entamée en 1998, on nous rebat les oreilles avec une réforme en marche de la justice, sans résultats perceptibles et sans aucune ligne d’arrivée visible. De deux choses l’une : ou le diagnostic n’est pas bon, ou la chose diagnostiquée est incurable, donc non-réformable.
La révision des textes, en l’occurrence le corpus du Code pénal et du Code de procédure pénale, dans leur formulation et leur agencement, est certes primordiale. Il n’en demeure pas moins qu’il ne s’agit que d’outils qui permettent aux juges de dire le droit, au nom de la loi. Ils sont, de ce fait, insuffisants par eux-mêmes. En dehors des marges qu’ils offrent aux droits inaliénables de la défense, ils peuvent être bafoués sans vergogne, dans une outrecuidance inouïe, par des juges peu amènes. C’est le moins qu’on puisse dire. Ceci pour dire, tout de même, que la justice reste une affaire d’hommes, dans une relation dialectique entre ceux qui la rendent et ceux qui l’encadrent pour qu’elle soit réellement indépendante, fortement immunisée contre tout interventionnisme monnayé et toute influence politique.
Force est de constater que nous en sommes loin, par delà les déclarations d’intention, les professions de foi et les beaux textes de loi qui nous vaudraient quelques jalouseries des démocraties consacrées. La corruption et les cadrages hors la loi gangrènent toujours une institution vitale à tous points de vue.
En clair, la justice du Maroc indépendant est plus que jamais malade. L’histoire, qui se fait au rythme de l’écume des jours, en jugera. Si ce n’est déjà fait.
YOUSSEF CHMIROU, DIRECTEUR DE LA PUBLICATION
http://zamane.ma/fr/la-justice-ses-textes-et-ses-hommes/
d’aujourd’hui, abusivement appelés « faits divers », un peu comme pour les minorer, les noyer dans le tumulte du jour le jour, constituent la grande histoire de demain. Aussi vrai qu’un fait, répétitif ou pas, peut être révélateur d’un contexte sociopolitique et des institutions qui l’encadrent. Il a fallu du temps pour se faire à l’idée de cette corrélation d’historicité. Cela devait passer par la réhabilitation de la valeur potentiellement historique d’un matériau quotidien.
Nous tenons, à ce propos, un exemple hautement illustratif. Le 15 août 2014, un homme circulait tranquillement sur l’autoroute Casa-Rabat, en direction de la ville de Tanger. Il est violemment percuté par une semi-remorque sur la troisième voie, près de Bouznika. Sans doute qu’il roulait à une vitesse raisonnable qui n’arrangeait pas le camionneur plutôt pressé. Celui-ci le harponne et l’éjecte de l’autre côté de la voie où il entre en collision avec des véhicules qui roulaient en sens inverse. Dans l’un d’entre eux, une jeune fille de 23 ans trouve la mort. Le chauffard de la semi-remorque, par qui le drame est arrivé, ne s’arrête pas. Dénoncé par un témoin oculaire, il est intercepté par la gendarmerie à la station de péage, arrêté, puis relâché étrangement le 2 septembre. On se rabat alors sur le conducteur qu’il avait percuté.
Incroyable mais vrai, la victime devient coupable. Il est tiré de son lit d’hôpital (en fauteuil roulant) pour être entendu et incarcéré dans des conditions inhumaines. Bien que souffrant de fractures consécutives à l’accident et de diabète, la liberté provisoire est refusée (en trois audiences ) à un homme d’un âge certain ; Ali Dinia, 78 ans ; par le tribunal de Première instance de Benslimane. Y’a-t-il eu une intervention externe ? Si ce n’est pas le cas, cela y ressemble beaucoup. En tout cas, suffisamment pour que le coupable désigné soit ainsi embastillé en lieu et place du coupable avéré.
Voilà donc une histoire vraie et malheureuse qui nous renvoie au fonctionnement de la justice dans notre pays. Sans basculer dans la généralisation facile, on peut penser, raisonnablement, que les exemples de ce genre ne sont pas que des cas isolés et exceptionnels. En fait, ils courent les tribunaux du royaume.
S’il y a une vérité première sur laquelle tous les intervenants sur la question de la justice sont d’accord, c’est celle-ci : la justice est la clé de voûte de tous les rouages de la société. Elle est le passage obligé à tous les niveaux de régulation dans leur immédiateté ou leur historicité. Cela va du voisinage de palier difficile, aux relations de travail, en passant par les conflits de succession, les accidents de la route et, surtout, la sécurité des personnes et des biens. L’éventail est immense, presque à l’infini dans le menu détail, tout autant que ses répercussions sont énormes.
Depuis des lustres, avant comme après l’Alternance entamée en 1998, on nous rebat les oreilles avec une réforme en marche de la justice, sans résultats perceptibles et sans aucune ligne d’arrivée visible. De deux choses l’une : ou le diagnostic n’est pas bon, ou la chose diagnostiquée est incurable, donc non-réformable.
La révision des textes, en l’occurrence le corpus du Code pénal et du Code de procédure pénale, dans leur formulation et leur agencement, est certes primordiale. Il n’en demeure pas moins qu’il ne s’agit que d’outils qui permettent aux juges de dire le droit, au nom de la loi. Ils sont, de ce fait, insuffisants par eux-mêmes. En dehors des marges qu’ils offrent aux droits inaliénables de la défense, ils peuvent être bafoués sans vergogne, dans une outrecuidance inouïe, par des juges peu amènes. C’est le moins qu’on puisse dire. Ceci pour dire, tout de même, que la justice reste une affaire d’hommes, dans une relation dialectique entre ceux qui la rendent et ceux qui l’encadrent pour qu’elle soit réellement indépendante, fortement immunisée contre tout interventionnisme monnayé et toute influence politique.
Force est de constater que nous en sommes loin, par delà les déclarations d’intention, les professions de foi et les beaux textes de loi qui nous vaudraient quelques jalouseries des démocraties consacrées. La corruption et les cadrages hors la loi gangrènent toujours une institution vitale à tous points de vue.
En clair, la justice du Maroc indépendant est plus que jamais malade. L’histoire, qui se fait au rythme de l’écume des jours, en jugera. Si ce n’est déjà fait.
YOUSSEF CHMIROU, DIRECTEUR DE LA PUBLICATION
http://zamane.ma/fr/la-justice-ses-textes-et-ses-hommes/