Les Kurdes aspirent à la paix avec Ankara

C'est à Eruh, dans le sud-est de la Turquie, que le PKK a déclaré la guerre à l'État turc il y a vingt-cinq ans. Ses habitants ont toujours fait corps avec la guérilla kurde, mais aujourd'hui, ils veulent trouver une sortie politique à ce conflit meurtrier.

Depuis la route qui grimpe vers Eruh, dans le sud-est de la Turquie, on distingue de temps en temps un troupeau de chèvres accroché sur le flanc ocre d'une montagne ou un tank de l'armée turque positionné sur un promontoire. L'arrivée dans la bourgade se fait en musique. Un mariage bat son plein dans la nuit claire. Une chanson à la gloire des combattants du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan) entraîne dans une danse traditionnelle les hommes, à l'épaisse moustache, et les femmes, qui scintillent dans leur robe à paillettes.

Eruh, 10 000 âmes, fait corps avec la guérilla kurde. C'est ici, il y a vingt-cinq ans, que le PKK a déclaré la guerre à l'État turc en lançant sa première attaque. Un quart de siècle et 45 000 morts plus tard, cee fief entrevoit pour la première fois un espoir de règlement du conflit. Fin juillet, le gouvernement turc a annoncé qu'il préparait un plan de paix, et Abdullah Öcalan, le chef de la rébellion, a fait savoir depuis sa prison sur l'île d'Imrali qu'il rendrait publique une feuille de route pour résoudre le problème kurde le 15 août prochain. Ce jour-là, Eruh sera derrière son leader : le DTP (Parti pour une société démocratique), le parti sous contrôle du PKK, y organise un festival où des milliers de supporteurs sont attendus.

«Le sang a assez coulé»

Au-del» des concerts d'artistes acquis à la «cause», les festivités visent à envoyer un message très clair à Ankara. «Le sang a assez coulé, le temps est venu de trouver une réponse politique, explique le maire, Melihan Oktay, qui a un frère dans les rangs du PKK et un autre en prison pour avoir ravitaillé les rebelles cachés dans les montagnes alentour. Mais l'instauration d'un climat de paix passe par des négociations avec nos députés et la fin de l'isolement d'Öcalan.» Officieusement, les habitants reconnaissent volontiers que le festival sera surtout l'occasion de célébrer l'anniversaire de la guérilla : «Le 15 août 1984, c'est le jour de la renaissance de notre peuple.»

Cinq anciens, tous courbés sur leur canne, se chamaillent pour raconter «le bruit venu de l'enfer» qui a fendu cette lourde soirée d'été. «Il était 21 h 30, nous jouions aux cartes au café, nous nous sommes tous précipités sous les tables ou aux toilettes, raconte l'un d'eux, le regard pétillant d'émotion à l'évocation de ce souvenir. J'ai cru que les militaires étaient ivres et qu'ils tiraient dans tous les sens.»

En fait, une quarantaine d'hommes était en train de prendre d'assaut la caserne, de l'autre côté de la rue. «Et puis quatre gars sont entrés, ils nous ont dit qu'il ne fallait pas avoir peur, qu'ils lançaient la révolution de la libération du Kurdistan.» Des tracts furent distribués pour «éveiller les consciences», le mégaphone de la mosquée réquisitionné, un dépôt de munitions dévalisé, un gendarme tué «dans la confusion».

Ce fait d'armes, comme celui qui a suivi à Semdinli, était avant tout une opération de communication. Il fallait gagner des sympathisants, insuffler l'esprit de la grande révolte kurde des an*nées 1930.

Une fois passée la peur des représailles, Eruh a répondu à l'appel. «En vingt-cinq ans, si on compte les villages des alentours, environ 2 000 personnes ont participé à la lutte, qu'ils soient combattants ou en prison», calcule un militant de 23 ans, qui vient de purger une peine de quatre ans pour «propagande illégale» : il s'est fait prendre avec un sac à dos rempli de livres d'Öcalan.

Les sirènes du PKK attirent encore des jeunes d'Eruh. «Il y a trois semaines, un garçon a disparu, puis il a téléphoné en disant qu'il avait trouvé un travail à Istanbul.» Tout le monde a compris le message. Malgré ce soutien sans faille, la récente ouverture du gouvernement suscite un sentiment de soulagement, teinté de prudence.

Une longue liste de revendications

«Si nos droits sont posés sur la table, il n'y aura plus personne dans la montagne», assure Ibrahim Shen, le président du DTP à Eruh. Les mains posées sur une nappe tricotée aux couleurs du Kurdistan, rouge, jaune et vert, il égrène la longue liste des revendications. Une amnistie générale, le droit à l'éducation en langue kurde, la reconnaissance du peuple kurde dans la Constitution turque…


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