L'économie marocaine touchée de plein fouet par la crise mondiale

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Après avoir eu tendance, pendant des mois, à nier ou à minimiser les effets de la crise économique et financière internationale sur le royaume, Rabat admet que la crise est là, et "plus dure que prévu". En dépit de la mise en place, en février, d'un "comité de veille stratégique" pour aider les secteurs les plus touchés - tourisme, transferts des Marocains résidant à l'étranger (MRE) et exportations -, les indicateurs macroéconomiques sont à la baisse. Vendredi 19 juin, la station balnéaire pilote du "plan Azur", consacré au tourisme, sera inaugurée à Saïdia, sur la Méditerranée. Une date symbolique importante.

Le gouvernement réussira-t-il à tenir son pari d'attirer "10 millions de touristes par an à partir de 2010" ? Le secteur traverse des turbulences. Plusieurs projets ont pris du retard, notamment à Taghazout, sur l'Atlantique, en raison du retrait des investisseurs.

Le ministre du tourisme, M. Boussaid, affirme qu'"il n'y a pas de crise", le nombre d'arrivées aux aéroports étant en hausse. Il est vrai que le secteur résiste plutôt bien. Mais les recettes, elles, marquent une chute de 20 % par rapport à 2008, avec la multiplication des "packages", le raccourcissement de la durée des séjours et les dépenses en baisse des touristes.

Frappés par le chômage dans leurs pays d'accueil, ou redoutant d'être licenciés, les 3,2 millions de Marocains expatriés dans le monde envoient moins de devises dans leur pays natal : - 15 % durant le premier trimestre 2009. Cette tendance risque de se poursuivre toute l'année, malgré la batterie de mesures prises par le gouvernement début juin (notamment la gratuité des transferts de fonds). Mais c'est en matière d'exportations que la situation est la plus inquiétante. Textiles, composants électroniques, sous-traitance automobile, phosphates... les commandes chutent, certaines de façon drastique. A Salé, près de Rabat, les entreprises de textile sont sinistrées, la quasi-totalité étant liées à la Grande-Bretagne, elle-même frappée de plein fouet. La région de Fès, tournée vers la France et l'Espagne, s'en sort moins mal, du moins les entreprises qui ont anticipé la crise, diversifié leurs produits, et accepté de n'avoir que quinze jours de visibilité dans les commandes, au lieu d'un mois et demi.

C'est le cas de Madani Ghorfi, le président du groupe d'industries textiles Vêtir, qui emploie 1 500 personnes. Son chiffre d'affaires n'a baissé que de 5 % et il n'a licencié personne, mais il diminue le nombre d'heures de travail de ses employés, au coup par coup, suivant son carnet de commandes. Cet entrepreneur, également vice-président de l'Association marocaine des industries du textile et de l'habillement (Amith) pour la région de Fès, estime à 20 000 environ le nombre d'employés du textile licenciés depuis le début de la crise (10 % du total). A cela s'ajoutent ceux - innombrables - qui ont perdu leur emploi mais ne sont pas recensés, car travaillant dans le secteur informel.

Dans l'agroalimentaire, la situation n'est pas brillante mais, là aussi, tout est question de "niche", de taille et de gouvernance des entreprises. La région de Fès est championne mondiale pour la production et l'exportation des câpres. Driss Guessous, directeur d'Urcimar et président de la Fédération des industries de conserves des produits alimentaires pour la région nord du Maroc, voit actuellement ses exportations de câpres reculer de 25 %. Quant à ses conserves d'olives, elles ont chuté de 50 %, leur coût de production, en 2007-2008, ayant été très élevé en raison d'une campagne agricole catastrophique. Résultat : les stocks d'olives marocaines, 25 % plus chères que les espagnoles, sont impossibles à écouler.

"La compétitivité de nos produits est mise à rude épreuve", reconnaît, à Rabat, Ahmed Lahlimi Alami, haut-commissaire au Plan, sans cacher son inquiétude devant la détérioration du commerce extérieur et celle de la balance des paiements pour la troisième année consécutive. "L'année 2010 risque d'être plus difficile que 2009, car nous ne bénéficierons pas des recettes agricoles exceptionnelles de cette année. C'est alors que nous sentirons vraiment la crise !", admet-il.

Le gouvernement aurait-il pu anticiper au lieu de "colmater les brèches au coup par coup" avec trois ou six mois de retard, sous la pression des associations professionnelles, comme l'en accusent de nombreux industriels ?

L'inquiétude est perceptible. "Le Maroc subit un décalage d'au moins un an avec l'Europe et les Etats-Unis avec lesquels il est fortement lié sur le plan économique. La crise va continuer jusqu'en 2012, mais nos responsables ne veulent pas l'avouer pour ne pas paniquer les gens, estime Lahcen Daoudi, professeur d'économie à l'université de Rabat, et numéro deux du Parti de la justice et du développement (PJD, islamiste). Le pire est à venir."

Florence Beaugé
http://www.lemonde.fr/afrique/artic...fouet-par-la-crise-mondiale_1207822_3212.html
 
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