Listes noires : la guéguerre des persona non grata

mam80

la rose et le réséda
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"Puisque c'est comme ça, on ne veut plus de vous chez nous". C'est en substance le message envoyé par les Etats qui interdisent leur territoire à certains ressortissants étrangers. Un grand classique de la diplomatie.

Anciens chefs de gouvernement européens, anciens ministres, hommes politique, espions… Ils sont 89 sur la liste des "personnae non grata" européennes en Russie éditée par Moscou. Une décision qui a soulevé l'indignation des politiques : l'Union européenne, par la voix d'un de ses porte-parole, a dénoncé samedi la mesure en la qualifiant de "totalement arbitraire et injustifiée", le secrétaire du PS français Jean-Christophe Cambadélis a critiqué un "acte d'hostilité envers l'Europe, envers la France et envers son Parlement".

Comme Moscou l'avait fait après l'établissement par Washington de la liste "Magnitski" qui interdisait de sol américains une série de ressortissants russes après la mort en prison de Sergueï Magnitski, la Russie vient donc de mettre en place une nouvelle liste de personnes, cette fois Européennes, également interdites d'accès en territoire russe. Entre temps, l'UE a elle-même établi une sélection de citoyens russes non autorisés à voyager en Europe, notamment en raison de leur lien avec la guerre en Ukraine...

Des pratiques diplomatiques pas vraiment nouvelles. Chaque Etat peut accepter ou non sur son territoire n'importe quel individu. En règle générale, des conditions précises sont édictées en matière de droit des migrations. Sont interdits de séjour :

- des personnes menaçant la sécurité nationale,

- des personnes ayant commis des crimes particulièrement graves dans leur pays,

- ou tout simplement des personnes soupçonnées de vouloir s'établir durablement dans le pays.

Mais, parfois, les autorisations de séjours sont aussi instrumentalisées à des fins politiques. Comme dans le cas de la liste noire russe. Mais, également, dans de très nombreux autres cas aux XXe et XXIe dernier siècle. Une guéguerre diplomatique qui en évite parfois de plus meurtrières. Une étape au bas de l'échelle de la montée des tensions entre pays.

Voici cinq précédents notables :

1942 : la reine d'Espagne d'Italie virée d'Italie
Situation quelque peu éloignée de la liste noire de Moscou contre les personnalités européennes, cet exemple vient éclairer un autre aspect de ce procédé diplomatique. En effet, en temps de guerre la pratique est on ne peut plus courante. Et la Seconde Guerre mondiale n'a évidemment pas échappé à ces interdictions du territoire.

C'est ainsi qu'en 1942, la reine Victoria Eugènie d'Espagne dut quitter l'Italie, devenue personna non grata aux yeux du gouvernement italien. En cause : sa sympathie supposée a la cause alliée bien sur.

1998 : Claire Danes privée de Philippines
A cheval sur son image, Manille s'est servi à plusieurs reprises de l'arme du blacklistage pour répondre à des critiques de personnalités : en 1998 l'actrice Claire Danes fut inscrite à la liste des personae non grata pour avoir critiqué la ville de Manille dans "Vogue" après le tournage de Brokedown Palace.

En mai 2009, c'était au tour d'Alec Baldwin de ne plus pouvoir mettre les pieds aux Philippines pour avoir critiqué le pays lors du Late Show de David Letterman. Et en juillet 2013, le tour de l'activiste hollandais Thomas van Beersum d'être sur la liste des indésirables pour avoir participé à une manifestation contre le président philippin.

2007 : des Iraniens interdits d'UE
Alors que le ton monte depuis 1979 entre Washington et Téhéran, l'Iran, accusé d'enrichir de l'uranium dans la perspective de mettre au point l'arme atomique, fait l'objet de sanctions au fil des ans. En avril 2007, c'est l'UE qui décide d'établir une liste de personnalités iraniennes interdites de sol européen. Une mesure qui n'est pas sans rappeler celle prise à l'encontre de personnalités russes soupçonnées d'avoir participé d'une manière ou d'une autre au soulèvement dans le Donbass ukrainien.

2013 : entre le Haut-Karabagh et l'Azerbaidjan, il faut choisir
Très comparable à la démarche russe, la liste établie par Bakou depuis maintenant quelques années interdit l'accès au territoire national aux personnalités ayant fait le choix de se rendre dans la région du Haut-Karabagh, ce morceau de territoire officiellement azerbaïdjanais occupé illégalement par l'Arménie voisine.

Hommes politiques, observateurs d'organismes internationaux, journalistes… la liste s'allonge au gré des visites faites dans cette région en état de guerre larvée. Bakou voit comme un affront que l'on puisse se rendre dans "sa région" sans son autorisation. En août 2013, un exemplaire rendu publique de cette fameuse liste établissait à 335 le nombre d'étrangers ainsi ostracisés dont 22 Français, parmi lesquels 10 députés ou sénateurs. Mais la liste ne comporte pas seulement des hommes politiques ou militants. On y compte également par exemple la chanteuse d'opéra espagnole Montserrat Cabalé ou le chanteur italien Al Bano, tout deux ayant choisi de se rendre au Haut-Karabagh sans l'autorisation de Bakou.

2014 : le Dalaï-lama privé d'Afrique du Sud
Invité au Cap, en Afrique du Sud, en octobre dernier pour un sommet mondial des Prix Nobel de la paix, le chef spirituel des Tibétains a dû se faire une raison et annuler son voyage. En cause : la non délivrance de visa par Pretoria. Une lettre ouverte adressée au président Zuma et signée de la main de quatorze Prix Nobel n'aura servi à rien.

L'homme a l'allure modeste fait toujours trembler Pékin qui exige de ses alliés - économique en l'occurrence pour l'Afrique du Sud - qu'ils ne reconnaissent pas cette personnalité en lui octroyant un titre de séjour. Pretoria avait déjà refusé en 2009 une autorisation de séjour au dalaï-lama blacklisté.

Céline Lussato

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