Ali Bensaâd : « Le Maghreb nie la dimension civilisationnelle de lAfrique »
Entretien avec le directeur de louvrage collectif "Le Maghreb à lépreuve des migrations sub
saharienne"
Ali Bensaâd est géographe, maître de conférences à luniversité de Provence et enseignant-chercheur à lInstitut de recherche et détudes sur le monde arabe et musulman. Il travaille sur les mutations de lespace saharien et la place de ce dernier dans le système relationnel international, notamment au travers des migrations et des échanges entre monde arabe et Afrique noire.
samedi 21 mars 2009
Ali Bensaâd, directeur de louvrage collectif Le Maghreb à lépreuve des migrations subsaharienne, bouscule nombre didées reçues sur le sujet et remet en question le discours répressif adopté sur le phénomène migratoire dun côté comme de lautre de la Méditerranée. Entretien.
Pourquoi les migrations subsahariennes, facteur dintégration entre le Maghreb et lAfrique, ne sont-elles présentées que sous le volet sécuritaire, presque « hygiénique » ?
La migration subsaharienne vers le Maghreb nest pas nouvelle, mais elle a acquis une plus grande visibilité ces dernières années depuis quelle sest greffée sur la circulation migratoire irrégulière entre le Maghreb et lEurope et quelle est donc devenue une préoccupation pour lUnion européenne. Cest elle qui fantasme sur ces flux et a fait injonction aux pays du Maghreb de développer un dispositif répressif pour les contrer. Mais, en fait, cest une réalité au Maghreb depuis les indépendances dans la région. Il est vrai que pendant longtemps elle na concerné que les régions sahariennes où elle continue dailleurs à être majoritairement présente. Et les Etats maghrébins sen sont bien accommodés tant quelle restait au Sahara. Ce Sahara qui ne serait pas ce quil est sans les travailleurs africains. Mais les pays maghrébins ont toujours eu des rapports ambigus avec ces migrations tolérées, voire sollicitées mais jamais reconnues. Cest une réalité : les pays du Maghreb sont devenus de nouveaux pays dimmigration et cela bien avant quapparaisse la destination Europe comme objectif pour certains migrants, mais ils se refusent à ladmettre pour faire léconomie des réponses sociales et juridiques à donner à cette nouvelle réalité. En fait, les autorités maghrébines gèrent les migrations avec le même déni de droit, la même violence et la même paranoïa avec lesquels elles gèrent leur propre population mais en les aggravant encore plus. Difficile dans ce cas de monter au créneau contre lEurope pour le traitement infligé aux Maghrébins. Le projet du Nouveau partenariat pour le développement de lAfrique (Nepad, ndlr), par exemple, est intéressant mais il est impossible de développer un tel espace en adoptant une politique hostile et répressive à légard des migrants. Dautant que dans les faits, il ny a pas - et il ny aura jamais - dinvasion sud-saharienne. Les flux se régulent par eux-mêmes.
Dans vos recherches, vous évoquez lenracinement historique des mouvements migratoires entre le Sahel et le Maghreb. Est-ce que cet héritage a des chances de contrecarrer le discours automatiquement répressif ?
Le Sahara na jamais été une barrière, et entre le Sahel et le Maghreb, il y a un passé dintenses échanges de près de 10 siècles, sédimentés dans nos cultures, et, je dirai même dans nos gênes, depuis la musique (quon pense au gnawa) jusquà cette formidable machine de sociabilité transafricaine que sont les confréries religieuses le plus souvent nées au Maghreb, essaimées en Afrique noire et qui reviennent au Maghreb comme des altérités à leur source ancienne dans un processus déchanges où les « allers-retours » altèrent même par la plus-value de lautre. Une confrérie comme la Tidjania, née en Algérie, est ainsi un canal de « diplomatie informelle » actionné concurremment par lAlgérie et le Maroc dans leurs rapports avec les pays africains, notamment le Sénégal. Cest lépisode colonial qui a mis fin à cet échange dense après, cest vrai, son affaiblissement par les routes océanes. LAlgérie veut valoriser sa position de « porte de lAfrique » et souvrir à travers la transsaharienne et le projet du Nepad jusquau Nigeria, le Maroc veut se développer et devenir à travers Tanger le trait dunion quil aspire à être entre lEurope et lAfrique, mais ils ne le peuvent pas sans être un espace dinterpénétration avec les Subsahariens. Comme pour lEurope, le Maghreb ne peut pas être un espace déchange économique sans en payer le coût humain. Le développement économique et la stabilité à ses frontières dépendent de lintégration de la question de la circulation des hommes. Cest une illusion de penser que le Maghreb peut se déconnecter du reste de lAfrique. [...] Je terminerai en rappelant que le mot qui désigne ces régions « le Sahel » est dorigine arabe, il désigne le rivage, celui quon atteint après avoir traversé la « mer » saharienne. Or, comme disait Malraux : « Les continents séparent les peuples, la mer les rapproche. » La colonisation française avait eu le rêve fou de créer une mer au Sahara pour rapprocher ses deux rives, allons-nous, nous nations africaines indépendantes, faire du Sahara un limes entre les deux parties du continent ?
Par Mélanie Matarese, pour El Watan
Entretien avec le directeur de louvrage collectif "Le Maghreb à lépreuve des migrations sub
saharienne"
Ali Bensaâd est géographe, maître de conférences à luniversité de Provence et enseignant-chercheur à lInstitut de recherche et détudes sur le monde arabe et musulman. Il travaille sur les mutations de lespace saharien et la place de ce dernier dans le système relationnel international, notamment au travers des migrations et des échanges entre monde arabe et Afrique noire.
samedi 21 mars 2009
Ali Bensaâd, directeur de louvrage collectif Le Maghreb à lépreuve des migrations subsaharienne, bouscule nombre didées reçues sur le sujet et remet en question le discours répressif adopté sur le phénomène migratoire dun côté comme de lautre de la Méditerranée. Entretien.
Pourquoi les migrations subsahariennes, facteur dintégration entre le Maghreb et lAfrique, ne sont-elles présentées que sous le volet sécuritaire, presque « hygiénique » ?
La migration subsaharienne vers le Maghreb nest pas nouvelle, mais elle a acquis une plus grande visibilité ces dernières années depuis quelle sest greffée sur la circulation migratoire irrégulière entre le Maghreb et lEurope et quelle est donc devenue une préoccupation pour lUnion européenne. Cest elle qui fantasme sur ces flux et a fait injonction aux pays du Maghreb de développer un dispositif répressif pour les contrer. Mais, en fait, cest une réalité au Maghreb depuis les indépendances dans la région. Il est vrai que pendant longtemps elle na concerné que les régions sahariennes où elle continue dailleurs à être majoritairement présente. Et les Etats maghrébins sen sont bien accommodés tant quelle restait au Sahara. Ce Sahara qui ne serait pas ce quil est sans les travailleurs africains. Mais les pays maghrébins ont toujours eu des rapports ambigus avec ces migrations tolérées, voire sollicitées mais jamais reconnues. Cest une réalité : les pays du Maghreb sont devenus de nouveaux pays dimmigration et cela bien avant quapparaisse la destination Europe comme objectif pour certains migrants, mais ils se refusent à ladmettre pour faire léconomie des réponses sociales et juridiques à donner à cette nouvelle réalité. En fait, les autorités maghrébines gèrent les migrations avec le même déni de droit, la même violence et la même paranoïa avec lesquels elles gèrent leur propre population mais en les aggravant encore plus. Difficile dans ce cas de monter au créneau contre lEurope pour le traitement infligé aux Maghrébins. Le projet du Nouveau partenariat pour le développement de lAfrique (Nepad, ndlr), par exemple, est intéressant mais il est impossible de développer un tel espace en adoptant une politique hostile et répressive à légard des migrants. Dautant que dans les faits, il ny a pas - et il ny aura jamais - dinvasion sud-saharienne. Les flux se régulent par eux-mêmes.
Dans vos recherches, vous évoquez lenracinement historique des mouvements migratoires entre le Sahel et le Maghreb. Est-ce que cet héritage a des chances de contrecarrer le discours automatiquement répressif ?
Le Sahara na jamais été une barrière, et entre le Sahel et le Maghreb, il y a un passé dintenses échanges de près de 10 siècles, sédimentés dans nos cultures, et, je dirai même dans nos gênes, depuis la musique (quon pense au gnawa) jusquà cette formidable machine de sociabilité transafricaine que sont les confréries religieuses le plus souvent nées au Maghreb, essaimées en Afrique noire et qui reviennent au Maghreb comme des altérités à leur source ancienne dans un processus déchanges où les « allers-retours » altèrent même par la plus-value de lautre. Une confrérie comme la Tidjania, née en Algérie, est ainsi un canal de « diplomatie informelle » actionné concurremment par lAlgérie et le Maroc dans leurs rapports avec les pays africains, notamment le Sénégal. Cest lépisode colonial qui a mis fin à cet échange dense après, cest vrai, son affaiblissement par les routes océanes. LAlgérie veut valoriser sa position de « porte de lAfrique » et souvrir à travers la transsaharienne et le projet du Nepad jusquau Nigeria, le Maroc veut se développer et devenir à travers Tanger le trait dunion quil aspire à être entre lEurope et lAfrique, mais ils ne le peuvent pas sans être un espace dinterpénétration avec les Subsahariens. Comme pour lEurope, le Maghreb ne peut pas être un espace déchange économique sans en payer le coût humain. Le développement économique et la stabilité à ses frontières dépendent de lintégration de la question de la circulation des hommes. Cest une illusion de penser que le Maghreb peut se déconnecter du reste de lAfrique. [...] Je terminerai en rappelant que le mot qui désigne ces régions « le Sahel » est dorigine arabe, il désigne le rivage, celui quon atteint après avoir traversé la « mer » saharienne. Or, comme disait Malraux : « Les continents séparent les peuples, la mer les rapproche. » La colonisation française avait eu le rêve fou de créer une mer au Sahara pour rapprocher ses deux rives, allons-nous, nous nations africaines indépendantes, faire du Sahara un limes entre les deux parties du continent ?
Par Mélanie Matarese, pour El Watan