Mahmoud mohamed taha

Mahmoud Mohamed Taha (1909 — 18 janvier 1985) était un homme politique soudanais et un théologien musulman libéral. Il a joué un rôle important dans la lutte anti-colonialiste et a cofondé le Parti républicain du Soudan. Mahmoud Taha a été exécuté en 1985 par le président Gaafar Nimeiry pour apostasie[1].


Enfance et débuts en politique Mahmoud Mohamed Taha est né en 1909 à Rufa'a, une petite ville située sur la rive orientale du Nil Bleu, dans la région de El Gezira au centre du Soudan[2]. Lorsque sa mère, Fatima Bint Mahmoud, meurt vers 1915, son père, Mohammad Taha, déménage avec ses enfants à Al-Higailieg, un village voisin. La famille travaillera dès lors dans l'agriculture. Muhammad Taha mourut en 1920, laissant ses quatre enfants qui seront élevés par leur tante Taha à Rufa'a. Elle permit aux enfants de poursuivre leurs études, et Mahmoud Mohamed Taha sort diplômé en 1936 de l'école d'ingénieur de Gordon Memorial College, devenue maintenant l'Université de Khartoum. Après une courte période au service des chemins de fer du Soudan, il démissionne et se met à son compte en 1941. Il devient un participant actif de la lutte nationaliste pour l'indépendance du début du mouvement à la fin des années 1930, mais il n'était pas satisfait de la participation des élites musulmanes éduquées de manière pieuse au sein de ce combat.
Taha et d'autres personnes ayant adhéré à ses critiques du mouvement nationaliste créent le Parti Républicain au mois d'octobre 1945. Les publications de l'organisation reflètent une forte tendance libérale au sein de l'Islam. La politique du parti, prônant la confrontation directe et ouverte avec les autorités coloniales, aboutit à l'arrestation et emprisonnement de Taha en 1946. Il fut condamné à un an de prison pour avoir refusé de cesser ses revendications politiques contre le gouvernement colonial britannique. Toutefois, en réponse aux protestations orchestrés par le Parti républicain, il fut gracié par le gouverneur général britannique et libéré au bout de cinquante jours.
 
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Cependant Mahmoud Mohamed Taha ne resta pas libre longtemps. La même année, il fut arrêté, jugé et condamné à deux ans de prison pour avoir dirigé une révolte populaire contre les Britanniques dans la ville de Rufa'a. Plus tard, il décrit cette période en prison: "Quand j'étais en prison, j'ai commencé à réaliser que j'ai été élevé ici-bas par mon Seigneur, et là, j'ai commencé ma Khalwah (traduction littérale "retraite/isolement") avec Lui". C'est au cours de ces deux années d'emprisonnement, ainsi que durant trois autres années supplémentaires qu'il s'imposa à lui-même qu'il pratiqua cet isolement religieux dans sa ville natale de Rufa'a. Taha s'initia aux méthodes de culte islamique qui conduisirent à une nouvelle compréhension de la signification du Coran. Ces méthodes consistaient principalement au culte de la prière et du jeûne en suivant les préceptes de Mahomet. Bien que Taha partageât la conviction commune de tous les musulmans que les révélations célestes furent inscrites dans le Coran, il souligna que les personnes consacrées peuvent recevoir une compréhension éclairée de la Parole de Dieu et apprendre directement par l'intermédiaire de sa parole tel qu'il le fut révélé à Mahomet. À l'appui de cet argument, il a souvent cité le verset 282 de la deuxième sourate du Coran qui dit que "Dieu enseigne à celui qui est pieux et qui craint Dieu". Il a également cité le "dire prophétique" qui dit que "la personne qui agit conformément à ce qu'il ou elle connaît sera consacré(e) par Dieu de la connaissance de ce qu'il ou elle ne sait pas".
 
Élaboration d'une pensée juridique et religieuse[modifier | modifier le code]Selon M. Taha, il y a une distinction fondamentale entre la période mecquoise (formulation des dogmes et des principes éthiques) et la période médinoise (une expérience historique dans un contexte déterminé), et il faut que les musulmans donnent plus d'importance à la première période[3].
Taha élabora la théorie d’un « Second Message de l’islam » (titre de son livre paru en 1967 sous le titre arabe Ar-Risala at-taniya min al-islam) après une longue période d’ « isolement religieux »[4]. D’après cette théorie, le Coran contient deux messages qui se contredisent. Le message contenu dans les versets du Coran révélés à La Mecque (« Coran mecquois ») exposent un discours différent sur la liberté religieuse et l’égalité entre les sexes que les versets révélés après le départ de Mahomet pour Médine (« Coran médinois »). La tradition juridique coranique a résolu cette « contradiction » en usant de l’ « abrogation » (naskh), principe qui découle du Coran lui-même (II, 106) : « Nous ne transférons aucun signe, nous n'en laissons pas oublier, sans en susciter un autre, meilleur ou similaire » (traduction Chouraqui). Les premiers législateurs abrogèrent les versets mecquois et se servirent des versets médinois : ce fut la création de la loi islamique traditionnelle, la charia.
C’est ce que M. Taha appelle « le premier message de l’islam ». Il pensait que le « Coran médinois » ainsi que les lois de la charia basées sur ces versets violaient les valeurs d’égalité, de liberté religieuse et la dignité humaine, et qu’elles étaient dépassées[4]. Ces versets étaient des « versets subsidiaires », valables pour la société du VIIe siècle, mais « inadaptés à l’époque moderne, le vingtième siècle ». Les versets mecquois, qui forment le « Second message » de l’islam, doivent constituer la « base de la législation » islamique pour une société moderne. La vraie charia, d’après Taha, n’était pas figée, mais capable « d’évoluer, d’assimiler les capacités de l’individu et de la société et de guider la vie suivant une échelle de développement continu »[5]. Pour lui, le Coran de Médine était approprié en son temps pour constituer la charia, mais la « forme originale, authentique » de l’islam était le Coran de La Mecque, qui garantit un statut égal entre hommes et femmes, musulmans et non musulmans. Taha affirmait que la constitution soudanaise devait être réformée pour réconcilier « le besoin individuel de liberté absolue et le besoin commun de justice sociale totale ».
 
Afin de promouvoir sa théorie, il créa un groupe de travail, les « Frères républicains »[6]. Ce collectif étudia en détail les rituels islamico-soudanais, les coutumes, les valeurs culturelles et les pratiques légales. Les Républicains mirent fin à la norme sociale qui restreignait le rituel soufi aux hommes. Un groupe de « Sœurs républicaines » se forma également. « Non seulement les femmes prenaient part à toutes les prières et autres rituels religieux, mais elles jouèrent un rôle déterminant dans la composition d’hymnes et de poèmes. »[4]

Arrestation, procès et execution Le 5 janvier 1985, Taha fut arrêté pour avoir distribué des pamphlets appelant à l’abolition de la charia au Soudan. Il refusa d’assister à son procès, qui débuta le 7 janvier. Le procès dura deux heures avec pour charge principale l’aveu que les accusés étaient opposés à l’interprétation de la loi islamique en vigueur au Soudan[7]. Devant la Cour, M. Taha déclare :
« J'ai affirmé à plusieurs reprises mon opinion, selon laquelle les lois de septembre 1983 bafouent la charia islamique et l'islam lui-même. De plus, ces lois ont défiguré la charia islamique et l'islam jusqu'à les rendre repoussants. Plus encore, ces lois ont été édictées et utilisées pour terroriser le peuple et le soumettre à force d'humiliation. Ces lois ont également mis en péril l'unité nationale du pays. Voilà quelles sont mes objections sur le plan théorique. Sur le plan pratique, les juges qui ont imposé ces lois n'ont pas les qualifications techniques requises. Ils ont aussi failli moralement, ne refusant pas de se placer sous le contrôle des autorités de l'exécutif, qui les ont utilisés pour bafouer les droits des citoyens, humilier le peuple, défigurer l'islam, insulter l'intellect et les intellectuels et pour humilier des opposants politiques. Pour toutes ces raisons, je n'ai pas l'intention de coopérer avec un tribunal qui a trahi l'indépendance de la justice et qui ne s'est pas opposé à ce qu'on le manipule afin d'humilier le peuple, d'insulter la libre pensée et de persécuter des opposants politiques. »
[8]Le lendemain, il fut condamné à mort avec quatre disciples (qui se repentirent par la suite et furent acquittés) pour « hérésie, opposition à l’application de la loi islamique, trouble à la sécurité publique, incitation à s’opposer au gouvernement, et reconstitution d’un parti politique interdit[9]. » Le gouvernement interdit que ses opinions non orthodoxes sur l’islam soient débattues en public pour la raison que cela « créerait un trouble religieux » ou fitnah (« scission », « sédition »). Un tribunal spécial confirma la sentence en appel le 15 janvier. Deux jours plus tard, le président Nimeiry fixa l’exécution au 18 janvier. Malgré la faible importance de son groupe, des milliers de manifestants contestèrent son exécution et la police montée usa de nerfs de bœuf pour repousser la foule[10]. L’inhumation du corps fut tenue secrète[11].
 
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