Le malade mental, cet inconnu

Chahyine

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Le malade mental, cet inconnu
[ 16/12/08 ]

Les maladies psychiatriques demeurent mal compris par les scientifiques et leur prise en charge continue de soulever des polémiques.
Un pays civilisé doit prendre en charge ses vieux et ses fous. » Le vieil adage a pris tout son sens après les récentes déclarations de Nicolas Sarkozy. Début décembre, le président de la République a annoncé la mise en place « d'un plan de sécurisation des hôpitaux psychiatriques » qui a fait couler beaucoup d'encre. Une trentaine de millions d'euros seront consacrés au contrôle des entrées et des sorties des établissements et certains patients jugés dangereux devront porter un bracelet de géolocalisation. De plus, une enveloppe de 40 millions d'euros sera dédiée à la création de quatre unités réservées aux malades dangereux.

La prise en charge des malades mentaux est une source d'interrogation permanente dans tous les pays développés. En France, un nouvel état des lieux est en cours de finalisation. Le rapport demandé à Edouard Couty, conseiller maître à la Cour des comptes et président de la commission sur l'organisation des prises en charge en psychiatrie et santé mentale, sera prêt dans les prochaines semaines. Ni médecin ni psychiatre, cet expert porte un diagnostic mitigé sur la situation actuelle. « Le nombre de psychiatres rapporté à la population est satisfaisant en France, mais nous en manquons incontestablement dans les structures publiques. Il ne peut pas y avoir de politique de santé sans un volet important consacré à la santé mentale ». Quelques chiffres résument l'ampleur du problème à résoudre et du prix à payer pour la collectivité. Selon l'organisation mondiale de la santé, les troubles psychiatriques touchent près de 20 % de la population mondiale et une personne sur trois est susceptible de les rencontrer au cours de sa vie. Après soixante-dix ans, près d'une personne sur deux consomme des psychotropes pour soulager son anxiété ou ses insomnies. Ces troubles qui regroupent une vaste famille de maladies sont la première cause d'invalidité et la seconde pour les arrêts de travail.

Idées reçues
A Lille, Jean-Luc Roelandt dirige le centre collaborateur de l'OMS pour la recherche et la formation en santé mentale. Il mène depuis longtemps un combat contre la stigmatisation et les idées reçues. « En France, il n'y a que 265 irresponsables pénaux, qui sont allés de la prison à l'hôpital et seulement 12 % d'hopitalisations sous contrainte. » Selon cet expert, la France n'est pas sous-équipée. « Nous avons 22 psychiatres pour 100.000 habitants, contre 9 en Italie et 12 au Royaume-Uni. » L'Hexagone compte aussi 100 lits pour 100.000 habitants, contre 20 au Royaume-Uni et 10 en Italie. « Le Royaume-Uni consacre 14 % de son budget de santé, qui est équivalent à celui à la santé mentale et la France 11,5 %. »

Mais avec des budgets du même ordre de grandeur, les stratégies diffèrent totalement des deux côtés de la Manche. « Depuis sept ans, l'Angleterre a investi massivement dans des équipes qui maintiennent les gens à domicile, quitte à passer trois fois par jour. Des équipes mobiles de crise ont été mises en place dans tout le pays. » Selon lui, la meilleure solution ne fait aucun doute : il faut soigner les gens chez eux tant que c'est possible. « Les approches communautaires apportent les meilleurs résultats. C'est vrai dans le monde entier. Quand on ferme des lits, il faut mettre les moyens massifs sur des équipes mobiles disponibles 24 heures sur 24. C'est ce que l'on aurait dû faire en France depuis trente ans. »

En attendant un hypothétique redéploiement « à l'anglo-saxonne », qui se heurterait en France à d'énormes résistances du monde hospitalier, les enjeux scientifiques et sanitaires restent gigantesques. C'est le cas de la schizophrénie. L'Hexagone compte environ 600.000 personnes atteintes et ces troubles de la personnalité peuvent toucher tout le monde. La liste des victimes compte dans ses rangs le poète Antonin Arthaud, le second fils d'Albert Einstein, le producteur Phil Spector et même un prix Nobel, le mathématicien John Forbes Nash, qui a dû lutter toute sa vie contre les hallucinations (*).

Stigmatisation des malades
Plusieurs paramètres de « vulnérabilité génétique » ont été identifiés et des facteurs de risques psychosociaux ont été découverts. Si bien qu'une majorité de scientifiques estiment aujourd'hui (faute de mieux) que c'est une combinaison de génétique et d'environnement qui favorise la naissance de la maladie. C'est également le cas pour l'épilepsie et les syndromes autistiques (lire l'encadré). Les troubles bipolaires sont un autre fléau, sixième cause de handicap dans le monde, dont le diagnostic est très difficile. Huit patients sur dix ne sont pas correctement diagnostiqués, et certains médecins considèrent que plus de 30 % des dépressions sont en fait des troubles bipolaires cachés.

Atteinte de cette maladie, Annie Labbé, présidente de l'association de malades Argos, lutte depuis des années contre la stigmatisation des maladies mentales. « Nous sommes 1,5 million de personnes en France. A partir du moment où un diagnostic est posé, nous sommes capables d'être des citoyens à part entière. Il ne faut pas assimiler maladie et délinquance. » Face à ces urgences, psychanalystes et neurologues qui s'affrontent sans relâche depuis Freud feront-ils la paix ? Pas sûr. Selon la psychanalyste Elisabeth Roudinesco : « Après le fanatisme du «tout-psychique» et du «tout-social», nous sommes dans une période de croyance dans le «tout chimique», le «tout-biologique» et le «tout-génétique», qui risque d'entraîner une augmentation des pathologies. »

ALAIN PEREZ
Les Echos
 
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