Maroc : la justice fait tomber plusieurs cerveaux de la mafia immobilière

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Après les condamnations de février 2014, la justice vient de frapper à nouveau, faisant tomber des cerveaux de la « mafia immobilière » casablancaise. Le procès qui s’est tenu la semaine dernière a donné lieu à des peines d’emprisonnement ferme de dix ans suite à une rocambolesque affaire autour d’un immeuble datant du protectorat français.


Détails.

C’est une information qui n’a pas fait grand bruit dans la presse. La semaine dernière, la justice marocaine a condamné à dix ans de prison ferme trois cerveaux de la mafia immobilière casablancaise, dans une affaire de spoliation d’un immeuble datant du protectorat français, ont confié à Yabiladi des sources proches du dossier. Le premier est Belkacem Laghdaiche, cet homme impliqué dans plusieurs cas de ce genre et qui purge actuellement une peine de 7 ans prononcée en février 2014 dans le cadre d’uneaffaire similaire. Le deuxième n’est autre que Karim Abdelaghni, également concerné par plusieurs cas de spoliation. Ils ont été condamnés cette fois en compagnie de leur complice Aziz Riaki, un huissier de justice.

8 ans de bataille judiciaire

Pour en arriver à ce verdict « libérateur » pour les victimes, il a fallu huit longues années de procédures judiciaires. Tout commence en effet en 2007, lorsque la propriétaire de la pharmacie Gouraud située au rez-de-chaussée de l’immeuble reçoit un huissier qui l’informe qu’elle occupe illégalement le local. « Je lui ai dit que j’ai acheté ce fonds de commerce en 1993 et que la pharmacie date de l’occupation française », se souvient la pharmacienne qui s’est entretenue avec Yabiladi. Elle nous a confié qu’au départ, elle ne se doutait pas qu’il s’agissait de faussaires. C’est la propriétaire de l’immeuble qui l’a ensuite mise au courant.

En fait, explique-t-elle, le groupe mafieux avait préparé son coup bien à l’avance. « Ils avaient trafiqué les documents de l’immeuble en inventant une personne fictive du nom de Charles Bestué qui selon eux était le mari décédé de la propriétaire de l’immeuble, alors que l'époux de cette dame vit encore et s’appelle Michel Bestué », détaille la pharmacienne. C’est une fois le titre foncier au nom de cette personne fictive, que l’huissier est intervenu. Mais tout cela n’a pas intimidé la pharmacienne qui s’était montrée, à l’époque, très déterminée à ne pas se laisser faire. « La propriétaire de l’immeuble m’a dit de faire attention parce que c’est une mafia très puissante », se souvient-elle.

Pour que le réseau mafieux ne puisse pas vendre le bâtiment, elle procède alors à une opposition. Mais à sa grande surprise, le groupe d’escrocs porte plainte contre elle en affirmant qu’elle sous-loue le local et ne verse pas ses loyers au propriétaire qui serait, selon eux, le fameux « Charles Bestué ». En première instance, la pharmacienne perd le procès. « Le juge disait que la personne qui m’avait vendue la pharmacie – laquelle n’a même pas été entendue par la justice - et moi avons payé le loyer à une autre personne que le propriétaire », confie notre interlocutrice qui rappelle qu’elle n’était pas en location, mais avait acheté le commerce.

C’est ainsi que la dame est expulsée le 31 juillet 2010, pour le bonheur de la mafia. Ce qui lui a paru étrange, c’est la rapidité avec laquelle son expulsion a été décidée. « L’affaire a été traitée en quelques mois », souligne-t-elle. « Pourtant la dame qui m’a vendu le fonds de commerce [la pharmacie, ndlr] détenait un jugement datant de 1961 prouvant qu’elle avait obtenu le local », ajoute la pharmacienne qui a, par la suite, fait appel.

Le nouveau procureur a-t-il été la clé de l’heureux dénouement ?

Après cela, elle n’avait plus qu’à attendre que les choses bougent au niveau de la justice. La nomination d’un nouveau procureur à Casablanca (Hassan Matar aujourd’hui à la Cour d’appel) survenue quelques mois plus tard lui donnera de l’espoir. « Je suis allée le voir et lui ai remis le dossier, lui expliquant tout ce qui s’était passé. Il m’a dit que ce n’était pas normal », se souvient la pharmacienne. La police a alors mené son enquête et a découvert le pot aux roses. Les enquêteurs avaient identifié des « faux cachets de mairies françaises notamment celle de Montpellier, de fausses cartes d’identité italiennes et françaises… », selon les précisions de notre interlocutrice.

Entre temps, le local de la pharmacie Gouraud était désormais occupé par un épicier qui « l’avait innocemment acheté », précise notre source. Entre les mains du nouveau procureur, l’enquête aboutira en faveur de la pharmacienne et la Cour de cassation lui donnera raison en avril 2011. Mais ce n’est qu’en juillet 2012 qu’elle regagnera sa pharmacie, car l’épicier lui aussi ne voudra pas partir.

« Soulagement »

A ce niveau l’affaire n’était résolue qu’en partie, car il fallait que la propriétaire de l’immeuble récupère son bien mis au nom du personnage fictif par la mafia. C’est ainsi que sa plainte a suivi son cours et donné lieu à la condamnation de Belkacem Laghdaiche, Karim Abdelaghni et l’huissier de justice Aziz Riaki.

« C’est un soulagement, car ça a été très dur », confie la pharmacienne qui – à cause de cette affaire- n’a pas pu exercer pendant deux ans et demi. « Quand le juge a demandé à l'huissier pourquoi il parlait de sous-location alors que mon contrat de vente/achat était agrafé à leur dossier, l’huissier a dit qu’il ne savait pas parler français. Mais c’était un coup monté de toute pièce », se souvient-elle remerciant le ciel d’avoir pu reprendre ses activités.

« Pour la mafia, ce verdict est catastrophique. Pour nous, c’est la gloire »

Nous avons tenté en vain de joindre l'avocat qui s'est occupé du dossier de la pharmacienne. Mais au niveau de la société civile déjà, c’est le même sentiment de soulagement qui anime les cœurs. « On se réjouit que le gouvernement ait enfin pris conscience de cette mafia et de la gravité de ses actes sur la population, sur les entreprises et finalement sur l’économie de notre pays », déclare à Yabiladi Mohamed Moutazaki, cet acteur de la société civile engagé dans la lutte contre la spoliation immobilière. D’après lui, cette affaire n’a jusqu’à lors pas été médiatisée parce que « la mafia ne voulait pas que l’information soit divulguée », dit-il, ajoutant fièrement : « Pour eux, ce verdict est catastrophique, pour nous c’est la gloire ».

Toutefois, la société civile attend que les nombreuses autres affaires de spoliations actuellement en cours au niveau de la justice soient également traitées avec équité.

http://www.yabiladi.com/articles/details/33246/maroc-justice-fait-tomber-gros.html
 

Pièces jointes

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