En partenariat avec «Books» : Internet et démocratie

Pour en finir avec le cyberoptimisme
Par Olivier Postel-Vinay
Nos excellents confrères du magazine « Books » consacrent ce mois-ci leur dossier au rapport ambigu qu'Internet entretient avec la démocratie. BibliObs vous en livre quelques extraits. Entre un florilège d'idées préconcues sur le monde en réseau et une critique en règle du savoir made in Wikipédia, l'intégralité du dossier se trouve naturellement dans le prochain numéro de « Books », en kiosque à partir du jeudi 25 février.


Dans Books ce mois-ci


Ainsi, depuis novembre 2008, « Books » fait paisiblement son chemin dans les kiosques, convaincu qu’il faut servir le lecteur par un journal à contre-courant de la tendance actuelle: avec des articles longs quand les journaux, de plus en plus, parient sur le court pour séduire le lectorat ; et par la recherche d’une profondeur qui tranche avec la philosophie en vogue, qui est de distraire et distraire encore, par des sujets « légers ».


« Books » n’est pas un journal consacré aux écrivains du monde. Sa vocation est plus vaste : éclairer l’actualité à travers les livres et les essais non traduits en français et recensés par les plus grands confrères de la presse internationale. Elle est double aussi : au fil d’articles iconoclastes, le journal bouscule quelques idées reçues, en propose de nouvelles, lesquelles sont souvent comme un courant d’air frais sur des débats qu’on croyait clos. Dans ce numéro, on lira un portrait de Garcia Marquez bien moins hagiographique que d’ordinaire. On le découvre peu enclin à reconnaitre sa dette envers les plumes sacrées du réalisme magique qui l’ont inspiré ; mais surtout, d’une flagornerie sans faille envers Fidel Castro. Quarante ans de servitude : c’est l’angle de cet article au long cours, emprunté à la prestigieuse « New York Review of Books ».
Anne Crignon


« Books » numéro 12, en kiosque le jeudi 25 février. 5,90 euros.

Tim Berners-Lee a inventé le Web l'année de la chute du Mur de Berlin, deux ans avant la fin de l'apartheid. Il se persuada très tôt du rôle positif, voire révolutionnaire, que ce nouvel instrument pourrait jouer sur le plan de la démocratie. Avec le Web, Internet offrait désormais à tout un chacun la possibilité de s'exprimer immédiatement dans la sphère publique et d'y laisser une trace visible par tous, dans le monde entier.


Bien avant l'apparition de Google et autres Twitter, l'outil affichait un énorme potentiel de rénovation civique. Dans les vieilles démocraties, il promettait de bousculer les conservatismes institutionnels, qu'il s'agît des partis politiques, des organes de la puissance publique, des dépositaires du savoir ou des grands médias. Il annonçait aussi de nouveaux moyens de lutter contre les abus de pouvoir en tout genre et fournissait aux militants des meilleures causes un formidable levier. Quant aux États autoritaires, ils se voyaient potentiellement menacés par ce nouveau moyen de nourrir les réseaux d'opposition, de les fédérer et de leur donner une audience internationale en temps réel.


Aujourd'hui que le Web est devenu d'un usage aussi naturel que la brosse à dents, ces idées optimistes forment une sorte de vulgate, qu'il est mal vu de contester. On ne compte plus les manifestes et les ouvrages chantant le « triomphe démocratique du Web » (selon l'historien américain Roy Rosenzweig) ou la « cyberdémocratie » (selon le philosophe québécois Pierre Lévy). En France, un livre récent s'intitule : « Comment le Web change le monde. L'alchimie des multitudes ». Une puissante idéologie s'est constituée, faisant du « raz-de-marée numérique » un vecteur de progrès politique.



TimYang.net/FlickR
Un cybercafé en Chine.


Oui, le Web a ouvert de nouveaux canaux d'expression et fait bouger le socle du débat public. Non, il ne favorise pas par nature un progrès de la démocratie, ni même de l'idée démocratique. C'est la thèse de notre dossier, qui s'articule autour de deux constatations. La première est étayée par un analyste américain d'origine biélorusse, Evgueni Morozov. Il explique comment les régimes autoritaires disposant d'un minimum de compétences ont appris à exploiter le Web pour déstabiliser les réseaux de la dissidence. Qu'il s'agisse de la Russie, de la Chine ou de l'Iran, l'usage du Web fait désormais le jeu des États non démocratiques. Par ailleurs, nul ne l'ignore, le Web est un outil privilégié des groupes antidémocratiques, terroristes, négationnistes et tutti quanti.
 
Codiceinternet/FlickR


Seconde constatation : la « démocratisation » de l'accès au savoir rendue possible par Internet est largement un trompe-l'oeil. Symbole de cette « démocratisation », Wikipédia, qui reçoit chaque mois 330 millions de visiteurs. L'encyclopédie est très utile pour ceux qui ont reçu le bagage nécessaire pour lire entre les lignes, risquée pour les autres. En raison de la faiblesse de ses critères de validation, le site promeut une sorte de médiocratisation du savoir.


Il est aussi une proie facile pour les individus ou les lobbies ayant des intérêts à défendre. On lira avec profit le récit de Stacy Schiff, prix Pulitzer, et l'entretien avec Paul Duguid, spécialiste de l'information à l'université de Berkeley.


Entre ces deux constatations, nous faisons état des doutes qui s'expriment quant à l'apport du Web au débat politique dans les démocraties elles-mêmes. A-t-il joué un rôle décisif dans l'élection d'Obama ? C'est peu probable. D'une manière générale, Internet semble moins favoriser l'ouverture d'esprit que le renforcement des idées préconçues.


Notre dossier appellerait des compléments. Nous n'abordons pas la question du contrôle social et du respect des libertés. Le Web favorise les rapports sociaux mais aussi l'intrusion dans la vie privée, de la part de particuliers ou d'entreprises commerciales ; il expose à la diffamation et aux informations fausses sur les personnes. Le Web diffuse des contenus culturels mais a propagé la croyance que des biens produits à grands frais, dans le domaine musical ou d'autres, peuvent être légitimement pillés. Ce faisant, il s'en prend à l'idée de propriété intellectuelle, l'un des acquis de la démocratie, et menace la production culturelle. Last but not least, avec ses sites généralistes et ses blogs, le Web diffuse de l'information de qualité mais, si l'on fait le bilan, les moyens de production du « quatrième pouvoir » sont mis à mal. Il n'est que de constater la rapide diminution du nombre de correspondants à l'étranger des médias du monde entier.



Waetcher/Caro Fotos/Sipa
Un cybercafé à Berlin.

Nous n'abordons pas non plus la question du sens donné à l'adjectif « démocratique ». Le mot a acquis une valeur magique qui chloroforme les esprits. Il est utilisé à la fois pour désigner les traits qui distinguent un régime libéral d'un régime autoritaire (respect du droit de vote et des libertés publiques) et pour évoquer une sorte de droit de tous à tout (le droit de tous à manipuler le savoir, comme dans le cas de Wikipédia). En tout état de cause, notre propos n'est pas de prétendre qu'Internet serait par nature contre la démocratie (au sens premier du terme) mais de dénoncer l'idée qu'il opère forcément dans ce sens. Selon toute vraisemblance, mais sous réserve d'inventaire, Internet est comme toutes les technologies nouvelles : politiquement neutre. Internet jouera à l'égard des régimes politiques le rôle que les hommes lui donneront. Croire qu'il apporte obligatoirement un plus en termes de libertés ou de qualité de la gestion publique est une illusion. Comme toutes les illusions collectives, elle présente un danger.


O.P.-V.
 
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