didadoune
VIB
Une opinion de Paul Bienbon, enseignant à Anderlecht.
Tant d’articles sur l’enseignement sont déconnectés de la réalité. En permanence je me demande : mais que faire vraiment pour améliorer la qualité de l’enseignement ? Et je pense à mes 120 élèves. Je vois quelques élèves appliqués. Mais aussi quelques ingérables dans chaque classe. Trop d’ingérables parce que ceux-ci, mobilisant toute mon énergie, suffisent à m’empêcher de partager un bon cours auquel ont droit ceux qui ont envie d’apprendre et avec qui j’ai envie de partager tout ce que je sais. Je suis prêt pour eux à faire des efforts sans limites.
Aux autres, avec le même respect, je pardonne 7 fois 77 fois pour les faire progresser. Mais qu’ils sont épuisants, ceux qui ne respectent plus aucun code de la vie à l’école, à savoir ne pas manger ou boire en classe, ne pas jouer avec son téléphone en classe, ne pas se promener pour ouvrir la fenêtre, se laver les mains ou aller à la poubelle, ne pas perturber un voisin en piquant son bras, en cachant son bonnet ou sa calculatrice, ne pas crier comme des barbares dans les escaliers, ne pas dessiner sur le banc ou le creuser avec son compas, ne pas jeter papiers ou mouchoirs par terre ou dans le radiateur, ne pas échanger avec son voisin pendant un contrôle, ne pas interrompre le professeur avec n’importe quoi n’importe quand, ne pas sortir de la classe quand on est énervé, ne pas demander sans cesse d’aller aux toilettes, ne pas dormir, ne pas éternuer, se moucher ou traîner une chaise avec fracas, ou bavarder tellement qu’on n’entend même pas son nom quand le professeur prend les présences ou demande d’écouter. Parler si fort que l’on n’entend même pas un élève du premier rang poser une question.
Comment les convaincre de ne pas arriver en retard, ne pas brosser, de prendre note, de compléter leur journal de classe, d’étudier et de faire les travaux demandés ? De ne pas s’intéresser qu’aux paris en Champions League. Comment réagir quand l’élève ne fait pas une punition intelligente, ne vient pas à la retenue, ne fait pas les travaux pendant le jour de renvoi ?
Dans une école qui, parce qu’elle veut élever chacun, renvoie très peu, on ne peut pas se laisser décourager et on doit continuer à faire de son mieux pour les élèves motivés. Mais que c’est dur.
Un système de travaux libres marche assez bien. Quelques projets réussissent aussi. Pour les autres, l’école jouera le rôle de garderie éducative. Ce qu’on a perdu, au fond, c’est l’art de se concentrer. De s’enrichir des bienfaits du silence. De prendre lentement connaissance de quelque chose de complexe. Par l’écoute, par la lecture.
A l’heure où l’on glose sur l’intérêt des cours de religion, de morale, de philo ou de citoyenneté, alors que dans les faits c’est la même chose qui est donnée dans tous ces cours avec une étiquette différente, l’appellation "cours de rien" m’a fait sourire. On aurait pu créer un "cours de silence", d’apprentissage à la concentration. Réussirait celui qui pourrait se concentrer 45 minutes à méditer ou à lire en silence et sans agitation, sans distraction sonore ou visuelle.
Donnerait ce cours l’enseignant qui est capable d’en faire autant. Le silence de la nature n’est plus guère apprécié. Tout à l’écran doit bouger vite. Toutes les séquences doivent être courtes. On ne se soucie que de rire de tout. On zappe toute sa vie. On vous coupe à l’interview. Il faut écrire court. Au cours de concentration, on apprendrait à chuchoter, à s’enrichir du murmure de l’autre. Pour notre plus grand bien. On ferait l’éloge de la saine lenteur (pas celle de l’inefficacité). Peut-être se remettra-t-on à apprendre par cœur une fable de Phèdre, d’Esope, de Lafontaine ou un beau texte de du Bellay ou de Ronsard…
Je voulais positiver avec mes élèves qui en veulent pour ma rubrique d’aujourd’hui. Zut, je me suis encore laissé distraire. Courage les filles et les gars, accrochez-vous, vous avez raison, continuez. Vous ensoleillez notre métier en nous donnant le cadeau que l’on mérite : vous voir progresser.
http://www.lalibre.be/debats/opinio...de-silence-a-l-ecole-55633eb53570fde9b36a67af
Tant d’articles sur l’enseignement sont déconnectés de la réalité. En permanence je me demande : mais que faire vraiment pour améliorer la qualité de l’enseignement ? Et je pense à mes 120 élèves. Je vois quelques élèves appliqués. Mais aussi quelques ingérables dans chaque classe. Trop d’ingérables parce que ceux-ci, mobilisant toute mon énergie, suffisent à m’empêcher de partager un bon cours auquel ont droit ceux qui ont envie d’apprendre et avec qui j’ai envie de partager tout ce que je sais. Je suis prêt pour eux à faire des efforts sans limites.
Aux autres, avec le même respect, je pardonne 7 fois 77 fois pour les faire progresser. Mais qu’ils sont épuisants, ceux qui ne respectent plus aucun code de la vie à l’école, à savoir ne pas manger ou boire en classe, ne pas jouer avec son téléphone en classe, ne pas se promener pour ouvrir la fenêtre, se laver les mains ou aller à la poubelle, ne pas perturber un voisin en piquant son bras, en cachant son bonnet ou sa calculatrice, ne pas crier comme des barbares dans les escaliers, ne pas dessiner sur le banc ou le creuser avec son compas, ne pas jeter papiers ou mouchoirs par terre ou dans le radiateur, ne pas échanger avec son voisin pendant un contrôle, ne pas interrompre le professeur avec n’importe quoi n’importe quand, ne pas sortir de la classe quand on est énervé, ne pas demander sans cesse d’aller aux toilettes, ne pas dormir, ne pas éternuer, se moucher ou traîner une chaise avec fracas, ou bavarder tellement qu’on n’entend même pas son nom quand le professeur prend les présences ou demande d’écouter. Parler si fort que l’on n’entend même pas un élève du premier rang poser une question.
Comment les convaincre de ne pas arriver en retard, ne pas brosser, de prendre note, de compléter leur journal de classe, d’étudier et de faire les travaux demandés ? De ne pas s’intéresser qu’aux paris en Champions League. Comment réagir quand l’élève ne fait pas une punition intelligente, ne vient pas à la retenue, ne fait pas les travaux pendant le jour de renvoi ?
Dans une école qui, parce qu’elle veut élever chacun, renvoie très peu, on ne peut pas se laisser décourager et on doit continuer à faire de son mieux pour les élèves motivés. Mais que c’est dur.
Un système de travaux libres marche assez bien. Quelques projets réussissent aussi. Pour les autres, l’école jouera le rôle de garderie éducative. Ce qu’on a perdu, au fond, c’est l’art de se concentrer. De s’enrichir des bienfaits du silence. De prendre lentement connaissance de quelque chose de complexe. Par l’écoute, par la lecture.
A l’heure où l’on glose sur l’intérêt des cours de religion, de morale, de philo ou de citoyenneté, alors que dans les faits c’est la même chose qui est donnée dans tous ces cours avec une étiquette différente, l’appellation "cours de rien" m’a fait sourire. On aurait pu créer un "cours de silence", d’apprentissage à la concentration. Réussirait celui qui pourrait se concentrer 45 minutes à méditer ou à lire en silence et sans agitation, sans distraction sonore ou visuelle.
Donnerait ce cours l’enseignant qui est capable d’en faire autant. Le silence de la nature n’est plus guère apprécié. Tout à l’écran doit bouger vite. Toutes les séquences doivent être courtes. On ne se soucie que de rire de tout. On zappe toute sa vie. On vous coupe à l’interview. Il faut écrire court. Au cours de concentration, on apprendrait à chuchoter, à s’enrichir du murmure de l’autre. Pour notre plus grand bien. On ferait l’éloge de la saine lenteur (pas celle de l’inefficacité). Peut-être se remettra-t-on à apprendre par cœur une fable de Phèdre, d’Esope, de Lafontaine ou un beau texte de du Bellay ou de Ronsard…
Je voulais positiver avec mes élèves qui en veulent pour ma rubrique d’aujourd’hui. Zut, je me suis encore laissé distraire. Courage les filles et les gars, accrochez-vous, vous avez raison, continuez. Vous ensoleillez notre métier en nous donnant le cadeau que l’on mérite : vous voir progresser.
http://www.lalibre.be/debats/opinio...de-silence-a-l-ecole-55633eb53570fde9b36a67af