Pourquoi il faut en finir avec l'"hexagonite" aiguë de nos dirigeants!

Les propos de nos politiques s’inscrivent dans l’Hexagone et peu dans le paysage international. Pourtant, s'ils osaient partager une vision et une intelligence du monde, peut-être serait-ce une issue au marasme ambiant?

Inutile de s'interroger bien longtemps: 2016 sera une année présidentielle. Tous les faits et gestes des aspirants élyséens seront calculés en fonction de l'échéance de 2017. Cette machine folle est déjà à l'œuvre. Avec comme principal carburant: la sécurité. Qu'il s'agisse de François Hollande, avec ses vœux orchestrés autour de cette phrase "Mon premier devoir, c'est de vous protéger", de Nicolas Sarkozy, dont c'est le sujet de prédilection depuis longtemps, et maintenant d'Alain Juppé, avec la publication d'un livre intitulé Pour un État fort, la course à l'échalote sécuritaire est lancée. Les attentats servent de justification officielle à cette fermeté. Elle repose aussi sur une arrière-pensée politique: ne pas abandonner ce terrain à l'extrême droite. Mais jusqu'où ira cette surenchère qui entretient un climat d'inquiétude dans le pays et qui, en fait, apporte du grain à moudre au discours du Front national?

Il ne s'agit certes pas de baisser la garde face au terrorisme mais en faire le débat présidentiel numéro un est aussi une manière d'éviter des enjeux essentiels pour l'avenir du pays. Bien sûr, on parlera du chômage. Le chef de l'État ne vient-il pas de décréter "un état d'urgence économique et social"! Un véritable aveu d'échec, au demeurant, après bientôt quatre années de présidence! Un échec qu'évidemment ses futurs adversaires ne vont pas se priver d'exploiter, oubliant qu'eux-mêmes ont failli sur ce sujet. Là encore, l'extrême droite, qui n'a aucun bilan passé à affronter, est en embuscade.


Comment réinventer la parole politique?


Gauche et droite sont, en vérité, dans cette situation décrite dans les années 50 par les chercheurs de l’École de Palo Alto en Californie, spécialisée notamment dans les sciences de l'information: "la communication paradoxale". En raison de leurs bilans respectifs, les représentants des partis dits de gouvernement sont critiqués dès lors qu'ils s'expriment mais ils sont tout aussi critiqués s'ils se taisent.

C'est là le cœur de la crise politique que nous vivons: une double crise de crédibilité et de confiance qui pousse les électeurs les plus désemparés vers ceux qu'on n'a pas encore essayés, au risque de connaître le pire.

Sortir de cet état est évidemment très difficile. Une campagne présidentielle pourrait en être l'occasion si elle était marquée par un renouvellement des hommes, mais nous n'en prenons pas le chemin, ou une révolution du discours, mais comment réinventer la parole politique?

Tous nos élus ont un défaut commun: leurs propos sont hexagonaux. Ils n'inscrivent jamais, ou de manière anecdotique, leurs propositions ou leurs projets, dans le paysage mondial. Ils s'agitent sur la scène internationale pour nous démontrer qu'ils font partis des grands de la planète mais, en dehors des questions sécuritaires, ils ne s'emparent pas de sujets fondamentaux qui pèsent beaucoup plus sur notre quotidien que bien des mesures qu'ils proposent pour redresser le pays.
 
Des politiques hors du monde réel


Un seul exemple: a-t-on entendu un seul de nos dirigeants évoquer une décision prise par le Congrès des États-Unis le 18 décembre dernier et dont l'impact sur l'économie mondiale et l'équilibre international lui-même sera considérable? Sans doute ont-ils considéré sans importance, si même ils y ont prêté attention, que les parlementaires de Washington abrogent l'interdiction, en vigueur depuis plus de quarante ans, d'exporter du pétrole américain. Mesure technique! Allons donc! Cette décision est sans doute celle qui va le plus peser sur le monde dans les mois et les années à venir. D'abord, elle prend à contre-pied les grandes annonces environnementales de la COP 21. Cet afflux de pétrole sur le marché, avec pour conséquence le maintien de la baisse du prix du baril, signifie que nous sommes bien loin d'en avoir fini avec les énergies fossiles. Ensuite, cette mesure va peser sur le destin des pays producteurs de pétrole et les affaiblir: l'Arabie saoudite qui a joué avec le feu en provoquant une baisse des cours et qui ne pourra plus l'enrayer; l'Iran au moment où se lève l'embargo qui la frappait et qui espérait se relever en inondant le marché avec son brut; la Russie, également, dont la récession est aussi liée à la chute des cours du pétrole et du gaz et dont les ressources à l'exportation se sont effondrées.

Plus globalement, le monde vient d'entrer dans une nouvelle guerre de l'énergie
qui, certes, peut profiter à l'Europe mais qui provoque un nouvel équilibre mondial lourd de conséquences. Cependant, qui en parle? Qui parle aussi du traité de libre-échange entre l'Europe et les États-Unis? Qui s'inquiète de l'effondrement en cours de l'Argentine et du Brésil ou du ralentissement de l'économie chinoise? Nos dirigeants nous font vivre hors du monde réel. Hors d'un monde dont nous dépendons plus que jamais avec la globalisation. Nous sommes victimes d' « hexagonite » politique aiguë, une maladie qui fait les délices de l'extrême droite. Si 2016 voyait nos partis de gouvernement nous ouvrir aux autres, nous le raconter, nous l'expliquer, bref s'ils échappaient à des discours usés qu'ils nous servent depuis des décennies et nous surprenaient par leur vision et une intelligence du monde qu'ils nous feraient partager, peut-être, oui peut-être, sortirions-nous du marasme qui nous accable. On a le droit de rêver.

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