Prescription de psychotropes : « les psychiatres doivent faire leur révolution »
Stéphanie Lavaud
Auteurs et déclarations18 juin 2015
Dans un match orchestré par le British Medical Journal , le Pr Peter C Gøtzsche prône l’arrêt pur et simple de l’utilisation de 98% des médicaments psychiatriques, au prétexte de leur balance bénéfice/risque défavorable. En face, le Pr Allan Young et le journaliste John Grace tentent de défendre la thèse inverse.
Dr Patrick Lemoine
Que penser des arguments des uns et des autres, la France utilise-t-elle trop d’antidépresseurs, les Etats-Unis abusent-ils des antipsychotiques, les psychotropes préviennent-ils ou provoquent-ils l’acte suicidaire ? Interrogé par Medscape, le Dr Patrick Lemoine, psychiatre, spécialiste du sommeil, analyse les arguments des deux camps et livre sa vision sur l’utilisation des médicaments psychiatriques.
Medscape : Qu’avez-vous pensé de l’article publié par le British Medical Journal [1]?
Dr Patrick Lemoine : Je l’ai trouvé intéressant. On ytrouve de bons arguments des deux côtés, même si, pour ma part, je me sens assez proche du Pr Peter C Gøtzsche. Néanmoins, il est clair que le chiffre avancé de 98% est excessif et que le chercheur danois a tendance à tout mettre dans le même panier.
Medscape : Quels sont vos points d’accord et de désaccord ?
Quand il s’agit de traiter l’insomnie, l’anxiété réactionnelle transitoire, alors les TCC, l'hypnose, la relaxation, les thérapies de pleine conscience, etc…sont plus efficaces que les benzodiazépines.
Dr P. L. : Le problème dans ce débat, c’est que les deux camps ne parlent pas de la même chose. Alors que le Pr Peter C Gøtzsche évoque les benzodiazépines et les antidépresseurs, le Pr Allan Young et John Grace focalisent sur les thymorégulateurs et la clozapine.
Sur la question des benzodiazépines, on ne peut qu’être d’accord avec Peter C Gøtzsche.
C’est d’ailleurs un sujet qui concerne particulièrement la France et la Belgique.
Il y a de vrais excès dans ce domaine.
Quand il s’agit de traiter l’insomnie, l’anxiété réactionnelle transitoire, alors les TCC, l'hypnose, la relaxation, les thérapies de pleine conscience, etc…sont plus efficaces que les benzodiazépines.
Et à ce titre, Peter C Gøtzsche a tout-à-fait raison de jeter un pavé dans la mare.
En revanche, ce que Peter C Gøtzsche oublie de dire c’est que dans le cas de maladies psychiatriques à composante génétique comme le trouble bipolaire et la schizophrénie, les médicaments comme les thymorégulateurs sont aussi indispensables que l’insuline pour les diabétiques et changent l’espérance de vie des patients psychotiques.
Quant à la clozapine, même s’il est vrai qu’elle comporte des risques, elle a vraiment bouleversé la vie dans les unités pour malades difficiles (UMD), notamment sur le plan de l’agressivité ou des hallucinations.
Mais il est clair que les antipsychotiques sont à réserver aux psychotiques.
On ne peut que s’inquiéter de leur utilisation quand on voit l’aripiprazole (Abilify®) en tête des ventes de médicaments aux Etats-Unis et quand on sait que la plupart d’entre eux entraine une prise de poids importante (dans un pays déjà confronté aux problèmes d’obésité) susceptible de réduire de 17 à 30 ans l’espérance de vie des patients.
Medscape : Quid des antidépresseurs ?
Dans le trouble bipolaire et la schizophrénie, les médicaments comme les thymorégulateurs sont aussi indispensables que l’insuline pour les diabétiques.
Dr P. L. : La question est compliquée car leur efficacité n’est pas bouleversante et les études mélangent souvent des patients de sévérité différente, allant de la mélancolie la plus profonde à des symptômes plus légers.
Je pense que l’on en a vraiment besoin dans les dépressions majeures sévères.
En revanche, dans les dépressions légères à modérées, les TCC, les psychothérapies, les thérapies de pleine conscience, etc sont au moins aussi efficaces et meilleures en termes d’effets secondaires.
Il faut d’ailleurs rappeler que les antidépresseurs sont contre-indiqués sur une durée de plus de 6 mois dans le trouble bipolaire, et qu'ensuite un thymorégulateur doit suffire.
Dans la dépression récurrente, les thymorégulateurs font aussi bien que dans le trouble bipolaire. Enfin, il faut savoir ne pas utiliser les antidépresseurs dans les dysthymies et les dépressions légères.
Medscape : Sans aller jusqu’à 98%, faut-il supprimer certains psychotropes ?
Dr P. L. : Le chiffre de 98% est bien sûr excessif, il est d’ailleurs difficile de savoir siPeter Gøtzsche parle des molécules elle-même où de leur utilisation.
A titre personnel, je pense que l’on pourrait se passer de 60% des psychotropes, et supprimer purement et simplement toutes les benzodiazépines (à l’exception du Séresta®).
Aux psychiatres de s’emparer de la question des psychotropes et de leur utilisation, ils ont une vraie révolution à faire dans ce domaine.
medscape.fr
mam
Stéphanie Lavaud
Auteurs et déclarations18 juin 2015
Dans un match orchestré par le British Medical Journal , le Pr Peter C Gøtzsche prône l’arrêt pur et simple de l’utilisation de 98% des médicaments psychiatriques, au prétexte de leur balance bénéfice/risque défavorable. En face, le Pr Allan Young et le journaliste John Grace tentent de défendre la thèse inverse.
Dr Patrick Lemoine
Que penser des arguments des uns et des autres, la France utilise-t-elle trop d’antidépresseurs, les Etats-Unis abusent-ils des antipsychotiques, les psychotropes préviennent-ils ou provoquent-ils l’acte suicidaire ? Interrogé par Medscape, le Dr Patrick Lemoine, psychiatre, spécialiste du sommeil, analyse les arguments des deux camps et livre sa vision sur l’utilisation des médicaments psychiatriques.
Medscape : Qu’avez-vous pensé de l’article publié par le British Medical Journal [1]?
Dr Patrick Lemoine : Je l’ai trouvé intéressant. On ytrouve de bons arguments des deux côtés, même si, pour ma part, je me sens assez proche du Pr Peter C Gøtzsche. Néanmoins, il est clair que le chiffre avancé de 98% est excessif et que le chercheur danois a tendance à tout mettre dans le même panier.
Medscape : Quels sont vos points d’accord et de désaccord ?
Quand il s’agit de traiter l’insomnie, l’anxiété réactionnelle transitoire, alors les TCC, l'hypnose, la relaxation, les thérapies de pleine conscience, etc…sont plus efficaces que les benzodiazépines.
Dr P. L. : Le problème dans ce débat, c’est que les deux camps ne parlent pas de la même chose. Alors que le Pr Peter C Gøtzsche évoque les benzodiazépines et les antidépresseurs, le Pr Allan Young et John Grace focalisent sur les thymorégulateurs et la clozapine.
Sur la question des benzodiazépines, on ne peut qu’être d’accord avec Peter C Gøtzsche.
C’est d’ailleurs un sujet qui concerne particulièrement la France et la Belgique.
Il y a de vrais excès dans ce domaine.
Quand il s’agit de traiter l’insomnie, l’anxiété réactionnelle transitoire, alors les TCC, l'hypnose, la relaxation, les thérapies de pleine conscience, etc…sont plus efficaces que les benzodiazépines.
Et à ce titre, Peter C Gøtzsche a tout-à-fait raison de jeter un pavé dans la mare.
En revanche, ce que Peter C Gøtzsche oublie de dire c’est que dans le cas de maladies psychiatriques à composante génétique comme le trouble bipolaire et la schizophrénie, les médicaments comme les thymorégulateurs sont aussi indispensables que l’insuline pour les diabétiques et changent l’espérance de vie des patients psychotiques.
Quant à la clozapine, même s’il est vrai qu’elle comporte des risques, elle a vraiment bouleversé la vie dans les unités pour malades difficiles (UMD), notamment sur le plan de l’agressivité ou des hallucinations.
Mais il est clair que les antipsychotiques sont à réserver aux psychotiques.
On ne peut que s’inquiéter de leur utilisation quand on voit l’aripiprazole (Abilify®) en tête des ventes de médicaments aux Etats-Unis et quand on sait que la plupart d’entre eux entraine une prise de poids importante (dans un pays déjà confronté aux problèmes d’obésité) susceptible de réduire de 17 à 30 ans l’espérance de vie des patients.
Medscape : Quid des antidépresseurs ?
Dans le trouble bipolaire et la schizophrénie, les médicaments comme les thymorégulateurs sont aussi indispensables que l’insuline pour les diabétiques.
Dr P. L. : La question est compliquée car leur efficacité n’est pas bouleversante et les études mélangent souvent des patients de sévérité différente, allant de la mélancolie la plus profonde à des symptômes plus légers.
Je pense que l’on en a vraiment besoin dans les dépressions majeures sévères.
En revanche, dans les dépressions légères à modérées, les TCC, les psychothérapies, les thérapies de pleine conscience, etc sont au moins aussi efficaces et meilleures en termes d’effets secondaires.
Il faut d’ailleurs rappeler que les antidépresseurs sont contre-indiqués sur une durée de plus de 6 mois dans le trouble bipolaire, et qu'ensuite un thymorégulateur doit suffire.
Dans la dépression récurrente, les thymorégulateurs font aussi bien que dans le trouble bipolaire. Enfin, il faut savoir ne pas utiliser les antidépresseurs dans les dysthymies et les dépressions légères.
Medscape : Sans aller jusqu’à 98%, faut-il supprimer certains psychotropes ?
Dr P. L. : Le chiffre de 98% est bien sûr excessif, il est d’ailleurs difficile de savoir siPeter Gøtzsche parle des molécules elle-même où de leur utilisation.
A titre personnel, je pense que l’on pourrait se passer de 60% des psychotropes, et supprimer purement et simplement toutes les benzodiazépines (à l’exception du Séresta®).
Aux psychiatres de s’emparer de la question des psychotropes et de leur utilisation, ils ont une vraie révolution à faire dans ce domaine.
medscape.fr
mam