Il n’y a pas de problème musulman, seulement un problème français

Drianke

اللهم إفتح لنا أبواب الخير وأرزقنا من حيت لا نحتسب
Contributeur
A Maurice Nadeau lui demandant à son arrivée Gare Saint-Lazare à Paris en 1945, si le problème noir aux Etats-Unis était en voie de règlement, Richard Wright eut cette réponse : « Il n’y a pas de problème noir aux Etats-Unis, seulement un problème blanc[1]. » Pas plus, pourrions-nous dire 70 ans après, qu’il n’y a de problème musulman en France. Seulement un problème français.

Pareille intuition guide Edwy Plenel, tout au long des 130 pages de l’essai qui vient de paraitre aux éditions La Découverte, Pour les musulmans. A lui seul, le titre détone avec le climat délirant sur l’Islam. Un délire que le matraquage politique et médiatique voudrait bien rendre collectif, et contre lequel s’érige le co-fondateur et patron de Mediapart.

Comme toute initiative qui permettrait un reflux de la lame de fond islamophobe qui déferle en continu depuis des années, ce livre est sans nul doute nécessaire. Le style y est enlevé, le verbe particulièrement élégant. Comme pour mieux répondre à ceux qui convoquent en permanence les belles lettres du « génie français » pour justifier leur obsession antimusulmane.

Le livre souffre pourtant de quelques défauts. En plus d’une focalisation excessive sur l’extrême-droite, l’auteur convoque en permanence l’idéal républicain, que le racisme, notamment antimusulman, viendrait trahir, En ce sens, E. Plenel s’en tient le plus souvent à un discours de principe, qui l’empêche de mener une véritable réflexion politique, pourtant nécessaire pour repenser les rapports de domination et lutter efficacement contre l’islamophobie.

« Un cri de colère contre un sale climat »

Pour les musulmans, comme on avait écrit il y a plus d’un siècle Pour les juifs. Si le pamphlet de Zola – et son fameux J’accuse… – sont aujourd’hui célébrés, ils lui valurent en son temps bien des ennuis, et une condamnation à un an de prison et un exil forcé à Londres. Revendiquant pleinement cette filiation, E. Plenel voit dans l’islamophobie actuelle une persistance de l’antisémitisme : le racisme antimusulman occuperait la place laissée vacante par la réprobation qui frappe désormais l’antisémitisme.

« Il y a un problème de l’islam en France »…


D’avoir, une énième fois, entendu ce refrain qui, sans entrave aucune, met la France en guerre contre une religion, l’acclimatant au préjugé, l’accoutumant à l’indifférence, bref l’habituant au pire, m’a donc décidé à écrire ce livre. A cette banalisation intellectuelle d’un discours semblable à celui qui, avant la catastrophe européenne, affirmait l’existence d’un « problème juif » en France, j’ai voulu répondre en prenant résolument le parti de nos compatriotes d’origine, de culture ou de croyance musulmanes contre ceux qui les érigent en boucs émissaires de nos inquiétudes et de nos incertitudes[2]. (p. 17)

Rappelant la tragédie qui avait présidé à l’acceptation passive de la construction d’une question juive en Europe, E. Plenel se livre à une réfutation passionnée de cette « insidieuse et insistante construction contemporaine d’une question musulmane. » Et pour ce faire, il choisit à l’instar de Zola, de s’adresser « explicitement aux siens » :

Zola s’adresse explicitement aux siens, comme sans doute nous le faisons ici tant la question musulmane divise nos propres lecteurs, parfois même nos proches. Il évoque, d’ailleurs, ces « amis à moi » qui « disent qu’ils ne peuvent pas les souffrir ». Comme d’autres, aujourd’hui, autour de nous, ne supportent pas l’affirmation publique d’une foi ou d’une identité musulmanes. Comme d’autres, de nos jours, font de l’islam le « problème » de la France, son enjeu de « civilisation ». (p. 34-35)

Une démarche honnête dénuée de tout paternalisme

Cette honnêteté intellectuelle est à mettre au crédit d’E. Plenel, dont le propos ne verse jamais dans le paternalisme. En tant que Blanc, il parle « aux siens », aux autres Blan-he-s, tout en mobilisant des références bibliographiques elles aussi majoritairement blanches. Il évite ainsi de tomber dans le travers consistant à vouloir s’ériger en porte-parole de la cause musulmane. Pour le dire simplement, le patron de Mediapart ne parle jamais à notre place.Le fait, d’ailleurs, qu’il soit très peu question dans le livre du mode de vie des populations musulmanes, vient appuyer cette idée simple, que nous partageons totalement : l’islamophobie a plus à voir avec la manière dont l’Europe, et plus particulièrement la France, se définit et définit son « identité », qu’avec un quelconque comportement des musulman-e-s.

Ces dernières ne souffrent donc pas d’un manque d’intégration, qui rendrait leur présence problématique. S’appuyant sur certains passages des Réflexions sur la question juive de Sartre, E. Plenel situe le nœud du blocage français dans « le refus d’admettre l’Autre comme tel, le souci de l’assimilation à soi, cet universel abstrait qui n’admet le juif, le Noir, l’Arabe qu’à condition qu’il se dépouille de son histoire et de sa mémoire » (p. 117). Et, poursuit Plenel (on excusera la longueur de la citation, mais le passage nous semble significatif) :

C’est précisément ce que vivent, depuis si longtemps, nos compatriotes musulmans qui, dans le même mouvement, sont assignés à leur origine et empêchés de la revendiquer. A la fois, ethnicisés et stigmatisés. Réduits à une identité univoque, où devraient s’effacer leur propre diversité et la pluralité de leurs appartenances, et rejetés dès qu’ils veulent l’assumer en se revendiquant comme tels.

Nous voici au cœur d’un défi français depuis trop longtemps en souffrance : apprendre enfin à penser à la fois l’universel et le singulier, la solidarité et la diversité, l’unité et la pluralité. Et, par conséquent, refuser résolument l’injonction néocoloniale d’assimilation qui entend contraindre une partie de nos compatriotes (de culture musulmane, d’origine arabe, de peau noire, etc.) à s’effacer pour se dissoudre, à se blanchir en somme. Bref, qui ne les accepte que s’ils disparaissent. (p. 118)



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