Les prodiges de votre cerveau

mam80

la rose et le réséda
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C'est la révolution scientifique de ces dernières années: les chercheurs multiplient les découvertes sur l'infinie complexité de notre matière grise. Loin d'être une mécanique figée, elle se transforme et se régénère en permanence. Jusqu'où peut-on modifier nos neurones?

L'humanité est parvenue à identifier des galaxies situées à des années-lumière d'ici, à étudier des particules plus petites qu'un atome, mais nous n'avons toujours pas élucidé le mystère de ce kilo et demi de matière qui se trouve entre nos deux oreilles." Ainsi parlait Barack Obama lors du lancement de Brain ("cerveau", en anglais), en avril 2013, le programme scientifique le plus ambitieux de son second mandat.

Les Américains ne sont pas les seuls à partir à l'assaut de cette "terra incognita". Le Japon (Brain/MINDS) et surtout l'Europe (Human Brain Project) ont engagé des projets colossaux (1,2 milliard d'euros pour ce dernier) sur une décennie pour comprendre le cerveau, le cartographier et le stimuler par ordinateur. Jamais le monde de la recherche n'avait été si uni dans un même élan.

"Le XIXe siècle fut celui de la chimie, le XXe a établi les grandes lois de la physique puis a permis la révolution génétique et le XXIe sera celui des neurosciences", pronostique Pierre-Marie Lledo, directeur de recherche au CNRS et patron de l'unité Perception et mémoire de l'Institut Pasteur.

Pas un jour sans une nouvelle avancée prouvant l'incroyable sophistication du cerveau. "Plus la recherche progresse, et moins l'encéphale apparaît comme une mécanique figée, s'enthousiasme le journaliste Patrice Van Eersel, auteur d'un ouvrage sur le sujet (1). Il est mille fois plus complexe que tout ce que l'on pouvait imaginer."

Wikimedia Commons

Première représentation des neurones par Santiago Ramon y Cajal (1852-1934).

Si incroyable que cela puisse paraître, ce petit "kilo et demi de matière" dont parlait Barack Obama nous est longtemps resté quasi inaccessible. Question de bon sens : pour l'explorer, il fallait... l'ouvrir. Or une telle prouesse ne s'effectuait que post mortem. A la fin du XIXe siècle, les anatomistes avaient donc la main, tel le Français Paul Broca puis l'Allemand Carl Wernicke, qui conclurent à l'existence d'aires corticales précises affectées au langage et à la compréhension.

Cette vision "localiste" a prévalu pendant un siècle. Elle n'est, du reste, pas fausse : l'hippocampe joue un rôle majeur dans la mémoire spatiale; nos réflexes dépendent de la moelle épinière et de notre bulbe rachidien ; l'amygdale se trouve impliquée dans les émotions, tandis que les lobes occipitaux et temporaux traitent les informations visuelles et auditives. Enfin, le cortex cérébral - cette enveloppe aux allures de tissu plissé, repliée à l'intérieur du crâne, qui couvrirait une surface de 1,6 mètre carré mise à plat - abrite notre imagination et notre intelligence créative.

Cette déclinaison par aires, trop simpliste, a été renforcée par une autre grande découverte neuroscientifique de l'Espagnol Santiago Ramon y Cajal, Prix Nobel de médecine en 1906 : l'existence des neurones et la structure du système nerveux. "De là est né un dogme que l'on a longtemps cru intangible, explique le neurologue Bernard Mazoyer, à la tête du groupe d'imagerie neurofonctionnelle (université de Bordeaux/CNRS). Le cerveau s'apparentait à une superbe machine, avec des zones parfaitement câblées entre elles. Une fois arrivé à maturité, on ne pouvait plus y toucher et, si l'une de ses parties était détruite, il n'y avait plus rien à faire."

Les progrès de l'informatique et de l'imagerie cérébrale ont eu raison de cette théorie. Depuis un demi-siècle, des technologies non invasives ont révolutionné les neurosciences. Aux yeux du grand public, elles se résument à des sigles barbares : IRM ou IRMf pour l'imagerie par résonance magnétique (la plus courante), EEG pour l'électroencéphalographie (la plus ancienne), TEP pour la tomographie par émission de positrons (la moins utilisée).

Jean-Paul Guilloteau/L'Express

Dans le cadre d'une étude internationale, les scientifiques du centre NeuroSpin font passer une IRM à un patient afin d'analyser le vieillissement de son cerveau.

Toutes permettent de labourer un domaine en pleine expansion, dont les avancées ne laissent plus de doute sur la complexité du cerveau. L'individu possède, en effet, 86 milliards de neurones, dotés chacun de 1000 à 10000 connexions synaptiques, et entourés de 100 milliards de cellules gliales au rôle encore flou, mais favorisant les échanges chimiques et électriques grâce à environ 5000 sortes de molécules...

"A la naissance, tout est précâblé"
Une machinerie vertigineuse, agencée très tôt. "Durant les derniers mois de la grossesse, les neurones se mettent en place pour former le cortex, explique Lucie Hertz-Pannier, pédiatre et neurologue au centre NeuroSpin du CEA (Saclay). A la naissance, tout est précâblé."

S'ensuit un bouillonnement synaptique, qui permet au bébé d'entrer en contact avec le monde extérieur. A 2 ou 3 ans, l'enfant a intégré la langue maternelle - vocabulaire, syntaxe, accent. Il peut même en assimiler une deuxième jusqu'à l'âge de 6 ou 7 ans. Cet enrichissement se poursuit jusqu'à la fin de la puberté. Par la suite, notre plasticité cérébrale décline - nous perdons un neurone par seconde -mais ne nous empêche pas de continuer à apprendre.

Au cours de l'existence, notre matière grise se transforme pour répondre aux besoins de l'organisme. Et ce dans de si surprenantes proportions que des zones corticales peuvent se développer plus que d'autres. Tel est le cas de certains professionnels, comme les musiciens (allongement du corps calleux) ou - plus étonnant - les chauffeurs de taxi, ainsi que l'a révélé une étude de l'University College London (UCL). Les chercheurs ont observé 20 000 conducteurs de "black cab" et constaté qu'ils possédaient un hippocampe - région où s'active la mémoire spatiale - 30% plus développé que la moyenne. L'explication ? Pour obtenir leur licence, ces chauffeurs doivent mémoriser les 25000 rues de la capitale britannique.

Preuve de notre élasticité neuronale, une aire peut être remplacée par une autre - le toucher à la place de la vue chez les aveugles, par exemple - et le cerveau, se réorganiser totalement à la suite d'un AVC ou d'une maladie grave. C'est l'aventure vécue par la petite Américaine Cameron Mott, victime du syndrome de Rasmussen, qui connaît aujourd'hui une existence presque normale après avoir été amputée d'un hémisphère.

"Du fait de l'étendue de sa plasticité, le cerveau se réagence en permanence, explique Christian Marendaz (2), du laboratoire de psychologie et neurocognition (université de Grenoble/ CNRS). C'est une jungle grouillante où les cellules colonisent le moindre espace vacant."

La régénérescence de nos neurones
Mais les scientifiques n'ont pas fini de s'émerveiller. Au tournant du XXIe siècle, une découverte majeure a changé le cours de la médecine moderne : notre stock de neurones se reconstitue tout au long de la vie grâce à deux "fontaines de jouvence" clairement identifiées - l'hippocampe et le bulbe olfactif. A la pointe de ces travaux, l'équipe française de l'Institut Pasteur, dirigée par Pierre-Marie Lledo. "Nous avons montré que ces nouvelles cellules s'intégraient dans le réseau neuronal et migraient, grâce à une molécule - la ténascine - agissant comme un aimant vers les zones qui en ont besoin."

Cette régénérescence ouvre la perspective d'une médecine réparatrice capable de soigner les maladies neurodégénératives : Alzheimer, Parkinson, l'épilepsie, ou encore la sclérose en plaques. "Attention à ne pas donner trop d'espoir trop vite, prévient Hervé Chneiweiss, président du comité d'éthique de l'Inserm. Aujourd'hui, les neurobiologistes savent diriger ces nouvelles cellules mais n'ont pas réussi à les connecter avec les plus anciennes."

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Clinatec

Mise au point d'un exosquelette piloté par le cerveau, au centre Clinatec (CEA) de Grenoble, afin d'aider un tétraplégique à marcher.

Les récents travaux en neurosciences ont aussi permis de réconcilier des disciplines qui se tournaient le dos, comme la psychiatrie et la neurologie. Des psychanalystes, notamment lacaniens, se refusaient à appréhender l'humain comme un simple courant électrique agissant dans la boîte crânienne.

L'année 1992 marque un tournant. L'Américain Lewis Baxter Jr. prouve, via la neuro-imagerie, les effets d'une psychothérapie appliquée à des patients souffrant de troubles obsessionnels compulsifs (TOC). "C'était la première fois qu'une thérapie comportementale se révélait aussi efficace qu'un traitement médicamenteux, raconte Christophe André, psychiatre au centre hospitalier Sainte-Anne (Paris), où il a introduit la méditation. Cela a légitimé notre travail."

"Neurones miroirs" et mécanisme mimétique
Depuis, la dimension "sociale" du cerveau a été mise en évidence par la théorie des "neurones miroirs", du neurophysiologiste italien Giacomo Rizzolatti, au milieu des années 1990. Un jour à midi, le chercheur du laboratoire de l'université de Parme fait une pause "déjeunatoire" avec le reste de son équipe, après une série d'expériences menées sur des macaques. Par commodité, il laisse les animaux appareillés. Alors qu'il tend la main pour attraper un sandwich, il entend le crépitement émis par le casque d'un singe occupé à le regarder. Il réitère le mouvement. Même constat.

"Les neurones miroirs s'activent lorsque nous réalisons une action ou voyons quelqu'un faire la même chose que nous, explique Pierre Bustany, neurophysiologiste et neuropharmacologue au CHU de Caen. Ces cellules entrent en résonance avec celles de la personne qui est face à nous, ce qui nous permet de comprendre l'intention de ses actions." Grâce à ce mécanisme mimétique, nous pouvons ainsi percevoir les émotions d'autrui.

Mieux: nos cellules sont agencées de telle sorte qu'elles sont capables de se mettre en phase avec celles de notre interlocuteur. Et si l'empathie nous est consubstantielle, elle est également indispensable au développement de notre matière grise. Le moindre sourire, le moindre regard, le moindre émoi provoquent un bouillonnement insoupçonnable de nos neurones qui cherchent, en moins de vingt millièmes de seconde, à se connecter avec ceux de notre partenaire.

L'émergence des neurosciences sociales
La mise en évidence de notre "intelligence relationnelle" bouleverse la donne. Pour s'entretenir, s'épanouir, vivre, notre cerveau a donc besoin d'altruisme. D'où la naissance d'une nouvelle discipline - les neurosciences sociales - qui concentre une partie des recherches. "L'exploration de notre encéphale soulève plus de questions qu'elle n'apporte de réponses", résume Alexis Brice, directeur de l'Institut du cerveau et de la moelle épinière (ICM), à Paris.

Elle interroge aussi nos certitudes. Les scientifiques et philosophes ont longtemps pensé que nous pouvions nous transformer à l'échelle darwinienne, sur des milliers d'années. Grâce aux évolutions technologiques et aux changements constants de la structure de l'encéphale, tout devient possible. Nous pouvons être "neuronalement" modifiés.

Chaque nouvelle étude revêt alors une dimension éthique inédite. Dernièrement, des chercheurs du Massachusetts Institute of Technology (MIT) dirigés par le Prix Nobel japonais Susumu Tonegawa ont réussi à implanter dans la tête de souris génétiquement modifiées de faux souvenirs, qu'ils activaient ou désactivaient à volonté par un signal lumineux (optogénétique). Pareilles manipulations de la mémoire, jusqu'alors réservées au cinéma - voir les films Total Recall ou Inception -, n'ont pas manqué de soulever l'indignation.

Dès l'instant où l'on peut modifier nos souvenirs, quelle valeur juridique doiton donner à un témoignage ? Et si l'on peut manipuler de la sorte - effacer/activer - nos sentiments, pourra-t-on un jour en inhiber certains ? Oter la peur à un combattant, par exemple ? "De la souris à l'homme, il y a un pas que nous sommes loin d'avoir franchi, rassure Hervé Chneiweiss. Le cas du soldat amélioré reste une pure illusion."

Pour autant, la réalité de l'homme augmenté ne peut plus être ignorée. Une personne croisée dans la rue dotée d'une prothèse de hanche, d'un implant auditif ou d'un pacemaker n'appartientelle pas à cette nouvelle catégorie d'humains ?

"Oui. Mais lorsque vous procédez à l'implantation transcrânienne d'une électrode chez un patient atteint de la maladie de Parkinson, vous améliorez son autonomie. Dans l'exemple du soldat, vous la lui ôtez", ajoute Hervé Chneiweiss. Mêmes questionnements autour de l'interface homme/machine. Grâce à des programmes informatiques spécifiques, le cerveau peut commander des machines par ordinateur. Il est évident que permettre à un paralysé d'actionner un bras robotique ou d'endosser un exosquelette pour remarcher est un progrès.

Mais où situer les frontières de l'éthique? En France, ces questions divisent au point, parfois, de freiner la recherche. Dans les pays anglo-saxons, les autorités scientifiques, elles, laissent faire, puis s'interrogent. C'est ainsi que croît aux Etats-Unis, porté par Google, le courant idéologique du transhumanisme, prônant l'amélioration de l'être humain par le recours à toutes les possibilités offertes par la technique.

Cette vision conduit ses champions à considérer nos états critiques - la maladie, la vieillesse, voire la mort - comme inacceptables, et donc à les combattre. Les hérauts de ce mouvement sont loin d'être des illuminés. Témoin l'informaticien Ray Kurzweil, formé au prestigieux MIT et embauché par Google en 2012, afin de développer des machines intelligentes. S'appuyant sur les lois de progression de la puissance des ordinateurs, ce spécialiste estime qu'il sera possible vers 2045 de simuler un cerveau humain. Débarrassé de ses contraintes biologiques, cet encéphale artificiel ne tarderait pas à "s'autoaméliorer" pour devenir plus intelligent. D'ici là, les humains seraient bien avisés de réfléchir à leur avenir et à ce qu'ils entendent en faire.

LA suite http://news.lexpress.fr/les-prodiges-de-votre-cerveau-9052

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