A Rafah, le "business" des tunnels reprend

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Voici un article interessant sur les tunnels entre Ghaza et l'Egypte consultable sur le site du Monde :

"Ibrahim Zoored affiche un large sourire. L'air heureux, il contemple le remplissage d'un camion citerne en carburant venu d'Egypte. "Ça y est, ça remarche ! C'est la victoire de la Palestine sur les Israéliens. Jamais, ils ne pourront détruire tous les tunnels." A Rafah, le tuyau de 250 mètres de long qui passe sous la frontière égyptienne n'a pas été touché par les bombes qui ont plu sur cette zone pendant la guerre. Trois jours après le cessez-le-feu, le "business" des tunnels repart mercredi 21 janvier. Sur des chemins de sable défoncés, des jeeps, des tracteurs, des charrettes tirées par des ânes se frayent un passage au milieu des cratères de plusieurs mètres de profondeur. Des tractopelles, des pelles mécaniques tournent à plein régime pour boucher les trous, niveler, dégager les entrées de tunnels écroulés.

Le chantier est en pleine activité. On répare, on rafistole. Les bâches de plastique crevées sont remplacées par des neuves. Les mineurs des sables sont déjà au travail, remontant dans des bidons de plastique transformés en godets le produit des éboulements. Certains tentent de récupérer la marchandise ensevelie. Les Israéliens estiment avoir détruit 60 % à 70 % des tunnels, dont le nombre est évalué à plus de 1 000 sur les 14 kilomètres de frontière qui séparent la bande de Gaza de l'Egypte. Bon nombre de ceux situés à une trentaine de mètres de profondeur n'ont pas été touchés.

La contrebande a repris en douceur. En raison du manque d'électricité, le retour à la pleine activité va prendre un peu de temps. Guère plus de quelques mois. La main-d'œuvre ne manque pas. Des groupes d'hommes attendent en sirotant du thé. Pour le moment, on recense les dégâts. Les quelques générateurs qui tournent ne fournissent pas suffisamment de courant pour que toutes les galeries obstruées soient immédiatement dégagées.

Karim, qui travaille dans les tunnels, est impatient. Ce chômage de trois semaines lui a pesé. Une bonne chose au moins, il a pu se reposer même si ce ne fut pas toujours facile avec le fracas des bombes qui perturbait son sommeil. "Ici, il n'y a pas de travail. Il faut bien que je mange. Je n'ai pas le choix." Et si les F-16 reviennent pour bombarder ? "Que voulez-vous que j'y fasse. Que Dieu me protège !"

"C'EST NOTRE SURVIE !"

Au moins une cinquantaine de ces excavateurs de sable ont péri par le passé dans les éboulements. Aujourd'hui, le travail est encore plus dangereux car le sol a été déstabilisé par les ondes des bombes soniques. Majid, propriétaire d'un conduit, ne voit pas d'autres possibilités que de recommencer car il a investi près de 120 000 dollars dans cette affaire et il a des dettes.

Avant tout, il faut procéder à une inspection méticuleuse des parois des galeries, consolider les puits d'accès souvent endommagés. "Il est impossible de faire cesser le fonctionnement des tunnels. Ceux-ci ont été creusés pour lutter contre l'embargo imposé par Israël. C'est notre survie ! Il n'y a que les Egyptiens qui peuvent nous arrêter. Mais ils n'y ont pas intérêt. Ça leur rapporte beaucoup d'argent, 50 % sur les bénéfices sans parler de toutes les commissions. Nous n'importons que des marchandises, pas d'armes. Mais des partis comme le Hamas ont leurs propres tunnels et nous ne savons pas ce qu'ils font".

Le "business" des tunnels occupe au bas mot 20 000 personnes et fait vivre toute leur famille. Certains propriétaires ont déjà amassé des fortunes. On parle désormais des millionnaires de Rafah qu'ils soient verts, ceux du Hamas, ou d'habiles hommes d'affaires. La municipalité de Rafah empoche également sa quote-part pour l'ouverture d'un puit, soit 10 000 shekels selon Majid, sans parler des taxes sur les marchandises.

Autant dire qu'il ne va pas être facile de mettre un terme à cette économie parallèle si les points de passage vers Israël ne sont pas ouverts régulièrement. Or à Bruxelles, mercredi 21 janvier, Tzipi Livni, la ministre des affaires étrangères israélienne a refusé, lors d'une rencontre avec ses homologues européens, de s'engager sur la réouverture des points de passage entre la bande de Gaza, l'Egypte, et son pays, hors aide humanitaire. Elle a justifié le maintien du blocus imposé par Israël depuis que le Hamas a pris le contrôle du territoire, en 2007, par la nécessité de lutter contre le trafic d'armes, et le réarmement du mouvement palestinien alors que les Européens font d'une réouverture des frontières un des éléments d'un retour à la normal.

Les tunnels sont devenus le cordon ombilical par lequel la bande de Gaza respire encore puisque les trois autres côtés de cette enclave sont scellés par l'Etat juif dont le bon vouloir commande les possibilités d'ouverture.

Anis attend près de son camion citerne que la transaction avec les Egyptiens soit terminée avant de remplir lui aussi ses cuves. D'autres camions citerne arrivent. Les réservoirs cylindriques au sol crevés par les éclats d'obus vont être réparés. Les trous vont être ressoudés.

Ibrahim Zoored en a vu d'autres. Ce ne sont pas trois semaines de guerre qui vont l'empêcher de faire des affaires. "Ici à Gaza, nous trouvons toujours des solutions à tout et si les F-16 reviennent, après nous recommencerons"."
 
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