Manifestations au Maghreb: "Il y a une spécificité tunisienne"
Lahcen Achy, économiste et chercheur à l'institut Carnegie du Moyen-Orient, compare les protestations nées du malaise social qui étreint la Tunisie et l'Algérie:
http://www.lexpress.fr/actualite/mo...il-y-a-une-specificite-tunisienne_950680.html
Le report vers le secteur informel existe aussi en Tunisie: Mohamed Bouazizi, le vendeur ambulant de Sidi Bouzid qui s'est suicidé en s'immolant, avait des diplômes. Mais la tendance est beaucoup plus faible. Environ 20% des emplois se trouvent dans ce secteur, alors que ce taux passe à 40% au Maroc, 45% en Algérie et 50% en Egypte. Cette proportion s'explique en partie par la politique plus restrictive du régime tunisien qui exige de nombreuses autorisations administratives.
Les jeunes Tunisiens aspirent encore à la mobilité sociale, alors que la résignation a gagné les autres jeunes du Maghreb
En outre, depuis l'époque Bourguiba dans les années 1960-1970, la planification familiale a amené les parents tunisiens à investir dans l'éducation de leurs deux ou trois enfants. Le pays compte aujourd'hui plus d'étudiants que le Maroc ou l'Algérie, alors que sa population est moins importante. Dans ces deux pays, la transition démographique a été plus tardive, dans les années 1980-1990. Cela a nourri l'aspiration à la mobilité sociale des jeunes Tunisiens, alors que dans les autres pays, la résignation avait gagné les jeunes.
La réponse des autorités publiques est-elle à la hauteur, alors que la crise économique mondiale envenime la situation? Prennent-elles les mesures suffisantes pour offrir, de nouveau, des perspectives aux jeunes du Maghreb?
Elles peuvent mettre en place des mesures d'ajustement, pour soutenir l'entreprenariat ou l'emploi des jeunes, certes. Mais un gros problème structurel subsiste. Entre le secteur informel, en bas, et les grands projets menés par de gros investisseurs qui ont leurs entrées dans les palais présidentiels ou royaux, en haut, il manque un maillon essentiel: un tissu d'investisseurs moyens, dissuadés par des barrières dans certains secteurs, ou par l'absence de justice forte et impartiale. Or c'est ce "milieu" qui pourrait nourrir la croissance et relancer l'emploi.
Ce tissu de petites et moyennes entreprises ne se constituera que si existent déjà une bonne gouvernance, une justice forte, un Etat de droit, une administration non corrompue... La Banque mondiale dénonçait ce climat dominé par les privilèges dans un rapport publié en 2009 qui concernait l'ensemble du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord. Et pour l'heure, il manque une chose essentielle aux Etats du Maghreb: une vision économique, une stratégie d'avenir.