Les statistiques ethniques, une arme à double tranchant

Au nom de la lutte contre les discriminations, la France réfléchit à la possibilité de collecter des données relatives à l’origine ethnique. Ce projet controversé fait aussi polémique ailleurs en Europe.

16.04.2009 | Oriol Güell | El País


Le commissaire à la diversité Yazid Sabeg remettra le 7 mai à Nicolas Sarkozy son rapport sur la promotion de la diversité. Ce document d’une centaine de pages n’en consacre que quatre à la “mesure de la diversité”, que beaucoup assimilent à la collecte de données ethniques. Un comité de réflexion est justement chargé de cette question. Mis sur pied par Yazid Sabeg le 23 mars et présidé par le démographe François Héran, le Comité pour la mesure et l’évaluation de la diversité et des discriminations doit rendre ses conclusions d’ici au 30 juin. C’est sur la base de ses recommandations que sera rédigé un texte de loi visant à “rendre licite la mesure de la diversité”.

Dessiner une carte ethnique de la France est aux yeux de beaucoup aussi incompatible avec les valeurs républicaines qu’accueillir un nouveau roi à Versailles. Or c’est précisément ce qu’entend faire Nicolas Sarkozy, par le biais d’enquêtes qui permettront de radiographier la société afin de “mesurer l’ampleur des discriminations et l’efficacité des politiques publiques” en matière d’intégration, selon les termes du commissaire à la Diversité, Yazid Sabeg.

L’objectif est louable, mais il transgresse un tabou de la France républicaine, qui, jusqu’à présent, interdit de collecter des données sur l’origine, la race ou la religion. La dernière loi [informatique et libertés] date de 1978, mais les limites imposées à ce type de statistiques remontent aux années qui ont suivi le régime de Vichy, dont le recensement des Juifs avait servi à envoyer des dizaines de milliers de personnes dans les camps de concentration nazis. Mesurer la diversité, soutiennent les adversaires du projet, c’est lui donner plus d’importance qu’aux valeurs partagées d’égalité, de fraternité et de liberté. “Notre République ne doit pas devenir une mosaïque de communautés”, a déclaré un autre membre du gouvernement, la secrétaire d’Etat à la Politique de la ville, Fadela Amara.

Le tollé suscité en France par cette décision a eu un écho notable en dehors du pays et dans les cercles universitaires de toute l’Europe. Non seulement parce qu’il s’agit d’une petite révolution dans un pays souvent admiré pour son modèle, mais aussi parce que cela apporte un nouvel élément au débat sur le rapport entre politiques publiques, immigration et discriminations raciales.
 
On retrouve chez les experts internationaux le clivage qui existe en France entre ceux qui adoptent un point de vue pragmatique – “mieux un gouvernement connaît la société à laquelle s’adressent ses politiques, mieux cela vaut” – et ceux à qui l’Histoire a appris à se méfier de “toute division fondée sur la couleur de peau, l’origine ou la religion”.

Octavio Uña, professeur de sociologie à l’université Roi Juan Carlos de Madrid, partage ce dernier point de vue. “Cela me paraît dangereux, résume-t-il. Les questions ethniques, la nécessité d’identifier l’autre, le différent, celui en qui l’on voit un problème resurgissent toujours en période de crise économique. On pourra toujours justifier ces décisions, mais le message qu’elles véhiculent ne me paraît pas bon.”

Fermín Bouza, professeur de sociologie de l’opinion publique à l’université Complutense de Madrid, n’est pas de cet avis. Pour lui, au contraire, “enquêtes et statistiques ne sont qu’un outil. En tant que telles, elles sont neutres et peuvent avoir un usage bénéfique. Le personnel politique et les sociologues doivent savoir où sont les inégalités, et les enquêtes sont sans doute le meilleur outil pour cela.”

Même si le gouvernement français n’a pas encore précisé comment il allait collecter ses statistiques ethniques, il a déjà indiqué que cela se ferait par le biais d’enquêtes. Cette méthode a la préférence de Bouza et d’autres experts que nous avons consultés, dans la mesure où elle n’est pas intrusive (puisque fondée sur le volontariat et l’anonymat) et qu’elle offre le point de vue des personnes interrogées : ce sont elles qui décident comment elles se définissent – arabe, musulman, noir ou autre. Ce qui fournit aux gouvernements une image subjective et donc plus conforme aux besoins réels de ceux qu’il s’agit d’aider.
 
Bouza juge la polémique qui agite la France “un peu excessive”. “Mais il y a souvent une corrélation étroite entre origine ethnique et inégalités, concède-t-il, et il est important pour tout le pays de pouvoir mesurer cela et de concevoir des dispositifs antidiscrimination.”

Pour Fernando Vallespín, ancien président du Centre de recherches sociologiques (CIS), cette controverse est la preuve que “les pays européens sont en train d’adapter leurs politiques liées à l’immigration et témoigne des changements que celle-ci a induits dans leurs sociétés”. “La France, poursuit-il, est le meilleur exemple du modèle d’assimilation – le pays vous ouvre ses portes et vous donne la citoyenneté rapidement, mais en échange vous devez faire l’effort de vous intégrer et d’accepter les valeurs du pays d’accueil en les faisant passer avant celles de votre pays d’origine.”

Le modèle français a souvent bien fonctionné. “Etonnamment bien, y compris en période de grandes vagues migratoires”, note Vallespín, même si le prix à payer est la perte de la langue d’origine en une ou deux générations. Aujourd’hui, il est habituel en France de rencontrer des politiciens, des chefs d’entreprise ou des fonctionnaires aux prénoms et noms espagnols (ou italiens ou portugais) si bien intégrés qu’ils savent à peine prononcer quelques mots dans la langue de leurs grands-parents. Mais les résultats sont parfois moins probants. C’est la France des banlieues de Paris, Lyon ou Marseille, où, en 2005, les enfants et petits-enfants d’immigrés avaient incendié des voitures pour protester contre le manque de débouchés et la discrimination dont ils se sentent victimes.
 
Si le projet français suscite autant d’intérêt, c’est aussi parce que beaucoup de pays européens sont toujours à la recherche d’un modèle permettant de concilier l’obtention de données précises sur l’impact de l’immigration dans leurs sociétés et leurs lois très strictes relatives à la protection des données. C’est ce qui ressort d’une étude de 2007 commandée à Patrick Simon par le Conseil de l’Europe et intitulée “Statistiques ‘ethniques’ et protection des données dans les pays du Conseil de l’Europe”.

Ce document montre la grande diversité des situations et des cadres juridiques dans les 42 pays du Conseil de l’Europe. Pour résumer, on peut dire que le point de départ se situe après la Seconde Guerre mondiale. Les pays se sont alors dotés de législations destinées à protéger les données personnelles, qui, par le passé, avaient servi à déclencher des persécutions et des massacres sur la base de la nationalité, de l’idéologie ou de la religion. Dans les pays d’Europe de l’Est ou des Balkans comptant d’importantes minorités ethnoculturelles, ou dans un Etat pluriculturel comme la Suisse, on a opté pour la solution inverse : octroyer aux membres de ces communautés des droits garantis par l’Etat afin d’éviter toute discrimination à leur encontre.

L’arrivée des premières vagues d’immigrés a commencé à changer la donne, mais n’a pas posé de problème en ce qui concerne l’obtention et l’utilisation des données sur les nouveaux arrivants, car les autorités recensent avec précision les étrangers résidant sur leur territoire. La France, les Pays-Bas, le Royaume-Uni, la Suisse ou l’Allemagne ont vécu cette phase dans les années 1950 et 1960, tandis que d’autres pays comme l’Espagne ou l’Italie l’ont connue plus récemment.

Le problème auquel est confrontée la France aujourd’hui apparaît lorsque les populations immigrées s’établissent dans un pays, en obtiennent la nationalité et fondent des familles, créant ainsi des poches de population qui peuvent nécessiter des politiques d’aide spécifiques et qui “disparaissent des statistiques”, selon l’expression de Simon. Autrement dit, alors que la première génération d’immigrés est mesurable selon des critères objectifs, comme la nationalité ou le pays de naissance, leurs enfants, nés dans le pays d’accueil dont ils possèdent la nationalité, ne peuvent plus être mesurés que selon des critères bien plus subjectifs et controversés, comme celui d’ethnie, ce qui se heurte aux lois sur la protection des données.
 
Les nouvelles lois contre la discrimination permettent justement de lever cet obstacle. D’abord parce qu’elles sont conçues pour promouvoir l’intégration des descendants d’immigrés et qu’elles élaborent des statistiques sans porter atteinte à leurs droits. Et ensuite parce qu’elles dotent les gouvernements d’outils pour concevoir et mettre en œuvre leurs politiques d’intégration. L’étude du Conseil de l’Europe montre qu’il reste encore beaucoup de chemin à parcourir. Seuls le Royaume-Uni et les Pays-Bas ont mis en place des législations contre la discrimination compatibles avec les limites imposées par la loi sur la protection des données. Ce n’est pas un hasard si ces deux pays sont des tenants du multiculturalisme et ont une longue tradition de reconnaissance et de respect des minorités.

Les pays où l’immigration est un phénomène plus récent et où l’on ne collecte pas de données ethniques, comme l’Espagne et l’Italie, peuvent aujourd’hui gérer correctement les politiques destinées aux immigrés parce que ceux-ci sont encore des étrangers et figurent en tant que tels dans les statistiques officielles. “Mais à l’avenir, met en garde Simon, les enfants et petits-enfants d’immigrés obtiendront la nationalité espagnole et disparaîtront des statistiques. Et le gouvernement n’aura plus de données pour concevoir des actions contre les discriminations.”

“Non”, corrige Ana Jurado, directrice générale adjointe de l’Institut national de la statistique espagnol. “L’Espagne dispose d’un système de registre de la population qui n’existe pas en France. Ce système nous permettra, si besoin est, de suivre les mouvements des descendants d’immigrés et de savoir où ils se concentrent.”

L’expérience britannique
Le Royaume-Uni recueille des données ethnoraciales depuis le recensement de 1991, dans le but de lutter contre les discriminations. Avec des résultats mitigés, à en croire le journaliste et essayiste Kenan Malik dans The Times. “L’expérience britannique montre que cette mesure fait souvent plus de mal que de bien, […] le classement en catégories ethniques [créant] souvent les problèmes qu’il était censé résoudre.” A son sens, le suivi ethnique repose sur deux hypothèses fausses. “La première est que
l’origine et la culture sont les critères les plus importants pour caractériser les gens. La seconde est qu’il existe une relation de cause à effet entre l’appartenance à tel ou tel groupe et les inégalités. Les minorités ne sont pas homogènes et l’on retrouve en leur sein les mêmes clivages de classe, de sexe, d’âge et autres que dans le reste de la population. Ces facteurs influent souvent beaucoup plus sur la vie des gens que leur couleur de peau, leur origine ethnique ou leur culture.”
 

Chahyine

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moi je suis contre

on est français quand on est en france point.

on est déja fiché il me semble et on vient nous avertir "youhou attention on va vous fiché par origine, par religion etc"

il me semble que c'est déjà tous ça :rolleyes:

quand on nous parle de x millions de musulmans en france etc...
 
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