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T'as la gueule d'un fumeur de shit": j'ai vécu un contrôle au faciès. Ma pire humiliation
En octobre dernier, j’étais avec mon mari et ma nièce de trois ans sur le quai d’une gare à Paris. Nous attendions tranquillement notre train à destination de Nice pour rejoindre ma famille. Bagages à nos pieds, ma nièce dans les bras de mon mari.
Un cortège de quatre policiers s’est alors avancé vers nous. Sans dire bonjour, ils ont demandé à mon mari ses papiers.
"T’as la gueule d’un type qui fume du shit"
Mon mari et moi sommes français d’origine algérienne. Je n’avais encore jamais subi de contrôle d’identité – peut-être parce que je suis une femme –, mais mon mari n’en était pas à sa première expérience.
Discrètement, il a murmuré à mon intention ces quelques mots :
"Encore. C’est tout le temps."
Voici l’échange entre mon mari et les policiers, auquel j’ai assisté :
- Pourquoi ?
- C’est comme ça.
- Je ne comprends pas. J’ai fait quelque chose de mal ?
- C’est juste ta gueule qui ne me revient pas. T’as la gueule d’un type qui fume du shit.
L’humiliation de ma vie
Sans en dire davantage, l’un d’entre eux a arraché ma nièce des bras de mon mari, puis ils ont plaqué mon mari au sol pour l’empêcher de bouger. Moi, je hurlais :
- Pourquoi ? Qu’est-ce qu’on a fait ? Laissez-le.
- Je fais ce que je veux.
Je leur ai dit que si mon mari avait "la gueule d’un type qui fume du shit", il n’avait qu’à le fouiller. Evidemment, ils n’ont rien trouvé, mais nous ont demandé de les suivre au poste de police. "Pour quel motif ?" Aucune réponse.
Autour de nous, quelques badauds nous regardaient comme s’il s’agissait d’un spectacle. Nous sommes allés au poste. Ma nièce pleurait. Moi, j’étais tellement abasourdie et je ne savais pas quoi dire à part "pourquoi ?" et "vous n’avez pas le droit."
Jamais je ne me suis sentie autant humiliée.
Je n’étais plus qu’une étrangère
Il faut le dire : ces policiers ont contrôlé mon mari parce qu’il avait une "tête d’arabe".
La violence de ce contrôle d’identité m’a totalement estomaquée. Voir ma nièce arrachée ainsi, mon mari plaqué au sol comme un criminel, comme un vulgaire chien sur le quai de la gare, est une vision qui n’est pas prête de disparaître de mon esprit.
Je ne me suis jamais sentie aussi mal, autant jugée. J’étais renvoyée à l’image d’étranger et de criminel. Je ne souhaite à personne de vivre une telle humiliation.
Ce jour-là, nous avons loupé notre train. Au poste de police, énervés et profondément choqués, nous avons tenté de porter plainte. Personne n’a voulu l’enregistrer.
Avant, j’étais naïve
Pendant les jours qui ont suivi, j’en ai parlé avec mes proches. Dans ma famille, nous sommes plutôt du genre à ne pas utiliser les mots "racisme" ou "violences policières" à tout bout de champ. Peut-être naïvement, je pensais que la police était là pour nous protéger, nous, citoyens. Ce jour-là, je me suis sentie menacée par des gens qui au contraire sont payés pour me défendre.
Cette histoire a littéralement changé ma vision de la police, de l’État. Comment ces contrôles abusifs peuvent-ils exister en France ?
J’avais bien entendu quelques histoires par-ci par-là mais j’étais persuadée que les gens avaient été abordés parce qu’ils avaient une "dégaine un peu chelou". Je n’ai jamais imaginé que ça pourrait m’arriver.
De pleine face, cette réalité a été difficile à accepter.
Je me méfie de tout
Aujourd’hui, je suis devenue méfiante. Quand je croise des policiers dans la rue, je ne me sens pas sereine. Je crains de revivre cette expérience parce que j’ai un visage "basané". Et pourtant, je suis française, je travaille et je n’ai rien à me reprocher.
Je n’arrive pas à me dire que nous avons été interpellés sans raison. C’est dégeulasse. Jusqu’à preuve du contraire, il me semble que je suis libre d’aller et venir comme je le souhaite. C’est dans notre Constitution.
Au bout de quelques semaines, je me suis rapprochée du collectif Stop au contrôle au faciès. Depuis, j’ai même saisi le défenseur des droits. Mon dossier est en cours d’instruction, mais cela peut prendre plus d’un an. Encore une fois, je me sens comme une petite fourmi.
Je suis quelqu’un de discret et je ne veux pas porter plainte contre l’État. Je ne m’en sens pas la force et j’estime que ce n’est pas lui qui est responsable dans cette histoire, mais quatre personnes qui font partie des forces de l’ordre. Que je ne retrouverai pas.
http://leplus.nouvelobs.com/contrib...n-controle-au-facies-ma-pire-humiliation.html