Syrie : la famine, nouvelle arme de Bachar
Si le régime semble respecter le désarmement chimique, la guerre qu'il livre contre les rebelles continue plus que jamais, avec un chiffre qui a déjà dépassé les 120.000 morts.
D'un côté, le coup de projecteur médiatique sur ce qui brille le plus, le ballet diplomatique. L'Organisation pour l'interdiction des armes chimiques se félicite d'avoir neutralisé l'essentiel de la production de l'arsenal syrien, tandis que l'émissaire des Nations unies, Lakhdar Brahimi, piétine et enrage : il n'a pas, à ce stade, convaincu l'opposition de participer à la fameuse conférence Genève 2. Pendant ce temps, il y a le quotidien de ce qui reste dans l'ombre : une situation humanitaire qui ne cesse de se dégrader. Vendredi, jour de prière, plus de 130 personnes ont été tuées en Syrie, selon l'Observatoire syrien des droits de l'homme (OSDH). Parmi eux se trouvaient 35 civils, dont 3 femmes et 13 enfants.
À Homs, une partie de la population agonise. Dans cette ville de l'ouest de la Syrie, onze quartiers sont toujours fermement encerclés par le régime depuis avril 2012. Huit mille personnes sont prises au piège. "C'est impossible d'y faire entrer ou d'en faire sortir qui que ce soit", regrette Abou Jafar, qui travaille pour le Croissant-Rouge à Homs. "On arrive parfois à faire entrer de la nourriture ou des médicaments, mais en très petite quantité et toujours illégalement." En plus des bombardements, les conditions de vie sont extrêmement pénibles. "Ça fait plus d'un an qu'on n'a plus de ramassage d'ordures, vous imaginez la propagation des insectes et des rats", témoigne Yazan Al-Homsi, un jeune activiste qui n'a jamais quitté la zone. Cette semaine, selon lui, deux bébés prématurés sont morts. "Il n'y a pas d'incubateurs pour les maintenir en vie", désespère-t?il, ajoutant que l'électricité est constamment coupée.
Manger des chats pour survivre
La faim a aussi fait son apparition. "Il n'y a plus que des légumes secs", décrit-il. Conséquence : les gens sont très fatigués et tombent facilement malades. "Cette semaine, une personne âgée est morte à cause de carences alimentaires ainsi qu'un homme de 40 ans qui avait la jaunisse", regrette Yazan Al-Homsi. Pour pallier le manque de nourriture, les habitants commencent à manger des chats. "Ça ne se généralise pas mais ça arrive", souligne le jeune homme. "Cette semaine, quatre chats ont été tués."
La famine semble être la dernière arme trouvée par le régime. "Il veut faire pression sur les rebelles en affamant la population civile des quartiers qu'ils contrôlent", pense Abou Saher. Cet activiste vit dans la Ghouta orientale, une plaine agricole à l'est de Damas. Cette ancienne oasis, vantée pendant des siècles par les poètes arabes, a été touchée par l'attaque à l'arme chimique qui a tué 1.429 personnes, dont 426 enfants, le 21 août dernier. Depuis, le blocus instauré par l'armée syrienne en mai 2013 n'a pas été assoupli. "La circulation des civils ne dépend que de l'humeur des soldats et ceux qui font passer de la nourriture se font arrêter", décrit-il. "Beaucoup de commerces sont vides", désespère Abou Saher, précisant qu'il n'a mangé "qu'un petit sandwich" samedi.
Le retour de la polio
À l'ouest de Damas, les habitants de Moadamyeh ont eu plus de chance en début de semaine : ce quartier contrôlé par les rebelles, aussi assiégé, a été évacué le 29 octobre. Un rare cessez-le-feu conclu avec le régime a permis le départ d'environ 1.800 civils. Dans l'est de la Syrie, la situation sanitaire n'est pas meilleure. Le 29 octobre, l'Organisation mondiale de la santé (OMS) a confirmé l'existence d'au moins dix cas de poliomyélite dans la région de Deir ez-Zor. Cette maladie, transmise par l'eau ou les aliments, peut entraîner la paralysie.
Plus au nord, à Alep, la répression des forces régulières est toujours aussi intense. La situation se dégrade également du côté de la ville contrôlé par le régime. Wael, un informaticien originaire du quartier rebelle d'Al-Zubdiah qui veut garder l'anonymat, effectue des allers-retours entre les deux zones.
"Les rebelles maintiennent la pression sur les entrées de la ville, le régime a donc du mal à approvisionner les quartiers qu'il contrôle", explique-t-il. Selon lui, "beaucoup d'habitants sont mécontents". Côté rebelles, la situation est dramatique. "La principale préoccupation des gens de mon quartier reste les bombardements", se désole-t-il. "Il ne reste que les très pauvres, qui n'ont pas les moyens de vivre dans la zone tenue par l'armée, dit-il. Les loyers y sont environ quatre fois plus chers." Selon l'OSDH, lors du bombardement jeudi du quartier rebelle de Firdous, deux fillettes ont été tuées.