Tapie n’aurait jamais été lésé par le lyonnais

Selon un rapport de police, il aurait usé de faux témoignages pour obtenir gain de cause.

C’est un document accablant pour Bernard Tapie. Selon un rapport de police révélé jeudi par le Monde, l’homme d’affaires n’a jamais été lésé lors de la revente d’Adidas en 1993. Plus grave encore, il aurait élaboré de faux témoignages afin de démontrer, de manière mensongère, que le Crédit lyonnais l’a floué. Ces faux présumés l’ont aidé à obtenir gain de cause d’abord devant la justice (1), puis lors de l’arbitrage de 2008. Lequel lui a rapporté 405 millions d’euros d’argent public et lui a valu une mise en examen pour «escroquerie en bande organisée».

Pari. Les juges Tournaire, Daïeff et Thépaut étaient déjà convaincus que l’arbitrage était un «simulacre», vu les liens entre Tapie, son avocat Maurice Lantourne et l’arbitre Pierre Estoup. Les magistrats ont voulu aller plus loin et enquêter sur la revente d’Adidas. D’où la mission confiée à la brigade financière parisienne, qui leur a récemment rendu son rapport. Selon le Monde, les policiers confirment ce que les détracteurs de Tapie martelaient : l’homme d’affaires n’a pas été lésé. «Les faits ayant pu être établis par les investigations ne permettent pas de donner crédit à la thèse de M. Tapie», écrivent-ils.

Fin 1992, Tapie, au bord de la faillite, décide de vendre ses 78% d’Adidas, qu’il avait achetés à crédit grâce au Lyonnais. Il signe avec la banque un mandat de vente. Mais vu les pertes d’Adidas, le seul candidat, Robert Louis-Dreyfus (décédé en 2009), ne veut pas acheter tout de suite. Il accepte de prendre 15% sur la base d’une valorisation de 320 millions d’euros, et d’acquérir le solde uniquement s’il le souhaite, deux ans plus tard, sur la base de 670 millions d’euros. Le Lyonnais doit imaginer un montage pour fourguer les 63% restants : c’est la banque qui prête l’argent aux acheteurs des titres. Si Louis-Dreyfus exerce son option, elle touche les deux tiers de la plus-value. S’il n’achète pas, le Lyonnais perd sa mise.

Tapie est gagnant : il vend tout de suite, comme il le voulait, et c’est le Lyonnais qui prend les risques. De son côté, la banque a gagné son pari puisque Louis-Dreyfus a acheté le solde d’Adidas fin 1994. Un an plus tard, Bernard Tapie attaque en justice, assurant notamment que le Lyonnais lui a caché le montage qui valorisait Adidas à 670 millions.

Pour le démontrer, Tapie se serait appuyé sur deux faux témoignages. Il y a d’abord les courriers que lui a écrits Louis-Dreyfus. Il y affirme que «toute l’opération a été conclue sur la base d’une même valorisation de 670 millions d’euros», ce qui est faux (il a d’abord acheté 15% sur la base de 320 millions). Interrogé par la brigade financière, un collaborateur de l’avocat de Tapie, Maurice Lantourne, a avoué avoir préparé l’attestation «attribuée» à «RLD», dans laquelle «nous avons fait figurer les arguments favorables à notre thèse».

Conséquences. Il y a enfin le cas de la banquière Gilberte Beaux. Parfaitement au courant du montage, elle a assuré par écrit en 2005 n’en avoir jamais informé Tapie, dont elle est pourtant très proche. Mais les policiers ont trouvé un mail de son avocat lui envoyant un projet de rédaction du document, expliquant qu’il«correspondrait à ce sur quoi vous vous seriez directement mise d’accord avec M. Tapie».

Ce rapport de police risque d’être lourd de conséquences. Si la justice confirme que Tapie a orchestré de faux témoignages, cela suffirait à démontrer«l’escroquerie», puisqu’il a produit ces documents dans le cadre de l’arbitrage. Joint par Libération, son avocat, Hervé Témime, n’a pas souhaité commenter.

(1) Tapie a obtenu 135 millions d’euros en appel en 2005, arrêt partiellement cassé en 2006.
LIBERATION
 
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