Tariq Ramadan Sakineh , Roms , Pakistan

Sakineh...

Cela fait plus de quinze ans que je demande que l’on cesse l’application des peines dites "islamiques" dans les pays majoritairement musulmans ; que ce soit les châtiments corporels, la peine de mort ou la lapidation. J’ai appelé à ouvrir un débat interne sur les textes, les conditions de leur application et les réalités du contexte social qu’il fallait nécessairement prendre en compte. J’ai appelé à un moratoire général permettant un débat de fond dans le monde majoritairement musulman. Certains à travers le monde (et dans de nombreux pays musulmans, notamment des ulamâ, des intellectuels et des croyants ordinaires) l’ont compris et ont soutenu cette démarche ; d’autres s’en sont moqué et sont allés jusqu’à exprimer leur rejet, "horrifiés et scandalisés" par une telle proposition. Le Président Sarkozy, Bernard-Henri Levy et consorts étaient parmi les plus médiatiquement indignés.

Or voici que l’Etat français propose... "un moratoire" sur la peine capitale au moment où l’on parle de la lapidation de Sakineh Mohammadi Ashtiani en Iran (il est assez pittoresque de lire dans Politis que la France défend désormais ma position et mon combat "sans le dire"). Tiens donc ! ... les scandalisés auraient-ils perdu la raison (puisque l’on me traitât de fou) ou seraient-ils revenus à une position raisonnable, juste et cohérente. Car enfin c’est bien en amont qu’il faut poser le problème et lutter contre des lectures et des applications réductrices, tendancieuses, voire populistes du code pénal islamique (les hudûd) : seule une approche globale, avec la participation des musulmans (ulamâ, intellectuels et citoyens), est à même de déboucher sur des résultats concrets dans les sociétés majoritairement musulmanes. Si l’on veut vraiment, à terme, réformer les choses.

Je m’oppose et je condamne l’application de ces peines dans les sociétés contemporaines que ce soit dans les pétromonarchies, en Iran ou dans les pays plus pauvres du Moyen-Orient, d’Afrique ou d’Asie. Ces applications contreviennent, au nom même de l’islam, à la justice, à la dignité et aux droits des personnes dans des sociétés où, au demeurant, le système judiciaire n’est pas transparent, pour ne pas dire clairement corrompu, et où les peines sont souvent le fruit d’instrumentalisation de la religion soit à des fins internes, soit pour se démarquer de l’Occident. Je m’oppose donc, et je condamne naturellement, l’application de la lapidation contre Sakineh Mohammadi Ashtiani. Ce ne peut pas être, ce ne doit pas être.
 
Je ne signerai pourtant pas la pétition lancée à l’initiative de quelques intellectuels français. Je ne doute pas de la sincérité de la majorité des signataires mais il est question de ne pas être dupe des intentions et du jeu des principaux initiateurs, à l’instar de Bernard Henri Lévy, de Marek Halter, voire même l’inénarrable pantin Sihem Habchi de Ni ***** ni Soumises, et de quelques autres encore... Maîtresses et maîtres des dénonciations sélectives et autres mises en scène médiatiques afin de se mettre du bon côté des sentiments et de faire oublier leurs silences complices en d’autres circonstances : c’est l’Iran qu’il faut attaquer (le grand ennemi, et notamment d’Israël...) et non les richissimes pétromonarchies amies (où l’on tue et lapide dans un silence complice). Point non plus de pétition pour les innocents de Gaza, point de pétition pour les pacifistes de la flottille de la paix. Ces mises en scène et ces condamnations sélectives et instrumentalisées sont simplement écoeurantes !

...Les Roms...

Ecoeurante également cette décision "légale" de renvoyer les Roms... avec, apparemment, l’assentiment d’une majorité de Français. Autre manoeuvre politicienne d’un Président de la République qui perdant du crédit à droite, au centre et à gauche va clairement glaner des voix à l’extrême de la droite avec des discours et des politiques populistes et dangereuses.

Hier, le Président français nous apprenait qu’il fallait désormais différencier entre "citoyens" et "citoyens", entre les citoyens "de souche" et les autres à qui l’on pourra retirer la nationalité. Avec l’assentiment d’une majorité de Français encore ! Voici revenir le temps de la distinction de l’appartenance et de la citoyenneté "au faciès"... des Français plus français que d’autres, des Français à examiner, potentiellement "en examen"...des Français pas tout à fait français. Jean-Marie le Pen a beau jeu de rappeler une vérité implacable : le Président annonce une politique que l’extrême droite appelle de ses voeux depuis quarante ans.
 
La France va mal. La France fait peur. Il est heureux, et si encourageant, de voir des politiciens et des intellectuels crier à la honte et aux déshonneurs. Il est heureux, et encourageant encore, de voir la hiérarchie de l’Eglise catholique, et certains de l’Eglise réformée, protester contre ces politiques d’exclusion et de renvoi massif et très fermement condamner les dérives de l’action gouvernementale vis-à-vis des Roms. A ces évêques, à ces prêtres, à ces femmes et à ces hommes, connus ou anonymes, nous disons : Vous êtes la fierté et la dignité de votre pays et les gardiens de sa conscience, contemporaine et historique.

Mais où sont donc passées les leaders et les représentants des associations musulmanes, et ceux des associations promouvant la diversité culturelle ? Pourquoi n’entend-on pas leurs condamnations, leurs critiques et pourquoi ne les voit-on pas soutenir les roms dans le respect et la reconnaissance ? Comment se peut-il que des citoyens français, avec une conscience et une origine, et/ou avec une religion, et/ou avec une éthique, se taisent devant des politiques inhumaines et indignes ? Quelle peur les habite qu’ils n’osent ainsi dénoncer l’inacceptable ? Quelle réduction de l’intelligence les fait-elle réagir en tant que arabes, noirs ou musulmans uniquement lorsqu’il s’agit d’un problème concernant les Arabes, les Noirs ou l’islam ? Ce silence n’est pas honorable, ce silence est déshonorant !

... Le Pakistan

Des inondations, des glissements de terrain... la mort, l’exil, les refuges. Des images de désolation, d’horreurs, de tristesse... Des dizaines de milliers de morts, des millions de sans-abris, des dizaines de millions de déplacés. Et pourtant le soutien international a mis du temps à réagir comme s’il y a avait "un blocage". Les Nations Unies et les ONG internationales ont dû intervenir à plusieurs reprises pour rappeler l’ampleur de la catastrophe et mobiliser un soutien approprié. Nous sommes encore loin du compte.
 
L’image du Pakistan n’est point bonne sur la scène internationale. Associé aux Talibans, à l’extrémisme islamique et à la violence, le pays peine - au coeur de la catastrophe naturelle - à émouvoir les consciences occidentales et internationales. Six ans après le tsunami - qui avait touché l’Indonésie principalement mais également beaucoup de touristes occidentaux - et dont les conséquences à long terme semblent moins graves que ce qui va advenir au Pakistan, il faut bien constater que la solidarité et l’engagement humanitaire sont à géométrie variable, influencés par l’air du temps et la politique émotionnelle bien plus que par la conscience lucide et universaliste.

Tout se passe comme si certains êtres humains "stéréotypés" avaient perdu de leur humanité, étaient moins dignes que d’autres d’être secourus. C’est proprement effrayant et pourtant si palpable, si vrai, si réel. On pourra critiquer tous les pouvoirs du monde, tous les médias et la terre entière, mais au bout du compte la question comme la réponse résident dans la conscience de chacun. Qu’est-ce qui motive mes indignations comme mes solidarités ? Mon engagement comme mes soutiens ? Est-ce mon appartenance sociale, communautaire, politique ou religieuse ou est-ce la commune dignité des femmes et des hommes de la planète ? Suis-je capable de voir, au-delà des couleurs de peau, des origines, des vêtements et des barbes, l’essence, la valeur comme la détresse des êtres humains ou suis-je le jouet de ces solidarités émotionnelles qui catégorisent et valorisent les victimes à l’aune de leur ressemblance à mon égard ?
 
Comment peut-on être pakistanais ? ...trois siècles après Montesquieu. Bonne question.... triste vérité. - La solidarité n’a pas de couleur, pas de religion, pas de classe. Quand les catastrophes naturelles s’abattent sur des êtres humains, il n’y a pas à réfléchir sur le fond et le soutien s’impose en même temps qu’il importe d’en considérer la meilleure des formes. Le Pakistan, mais également l’Inde et la Chine, ont besoin de notre soutien. L’Histoire témoignera de notre dignité si, et seulement si, nous leur avons reconnu la même dignité que la nôtre.

Sans catégories ni sélection, avec humanité et détermination.
 
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