Bonjour
Tiré de Éthique, partie I, appendice :
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N’oublions pas de faire remarquer ici que les sectateurs de cette doctrine [Spinoza parle du finalisme], qui ont voulu faire briller leur esprit dans l’explication des causes finales des choses, ont inventé, pour établir leur système, un nouveau genre d’argumentation, lequel consiste à réduire son contradicteur, non pas à l’absurde, mais à l’ignorance ; et cela fait bien voir qu’il ne leur restait plus aucun moyen de se défendre. Par exemple, supposez qu’une pierre tombe du toit d’une maison sur la tête d’un homme et lui donne la mort, ils diront que cette pierre est tombée tout exprès pour tuer cet homme. Comment, en effet, si Dieu ne l’avait fait tomber à cette fin, tant de circonstances y auraient-elles concouru (et il est vrai de dire que ces circonstances sont souvent en très-grand nombre) ? Vous répondrez peut-être que l’événement en question tient à ces deux causes ; que le vent a soufflé et qu’un homme a passé par là. Mais ils vous presseront aussitôt de questions : Pourquoi le vent a-t-il soufflé à ce moment ? pourquoi un homme a-t-il passé par là, précisément à ce même moment ? Répondrez-vous encore que le vent a soufflé parce que, la veille, la mer avait commencé de s’agiter, quoique le temps fût encore calme, et que l’homme a passé par là parce qu’il se rendait à l’invitation d’un ami, ils vous presseront encore d’autres questions : Mais pourquoi la mer était-elle agitée ? pourquoi cet homme a-t-il été invité à cette même époque ? Et ainsi ils ne cesseront de vous demander la cause de la cause, jusqu’à ce que vous recouriez à la volonté de Dieu, c’est-à-dire à l’asile de l’ignorance. De même aussi, quand nos adversaires considèrent l’économie du corps humain, il tombent dans un étonnement stupide, et comme ils ignorent les causes d’un art si merveilleux, ils concluent que ce ne sont point des lois mécaniques, mais une industrie divine et surnaturelle qui a formé cet ouvrage et en a disposé les parties de façon qu’elles ne se nuisent point réciproquement. C’est pourquoi quiconque cherche les véritables causes des miracles, et s’efforce de comprendre les choses naturelles en philosophe, au lieu de les admirer en homme stupide, est tenu aussitôt pour hérétique et pour impie, et proclamé tel par les hommes que le vulgaire adore comme les interprètes de la nature et de Dieu. Ils savent bien, en effet, que l’ignorance une fois disparue ferait disparaître l’étonnement, c’est-à-dire l’unique base de tous leurs arguments, l’unique appui de leur autorité. Mais je laisse ce sujet pour arriver au troisième point que je me suis Proposé d’établir. """
***
Eh oui, souvent on explique un phénomène par Dieu ou toute autre entité paranormale ou surnaturelle alors que l'honnêteté serait simplement de s'arrêter et dire : "je ne sais pas par quoi est causé ce phénomène", et d'appliquer les méthodes de la science pour découvrir les causes cachées... On reconnaît la façon de procéder des créationnistes.
Je ne sais pas comment la vie a émergé de la matière inorganique, mais c'est une explication vide que de dire que "Dieu l'a fait". Ou du moins il faudrait prouver que la matière est intrinsèquement incapable de produire la vie, et on n'en est pas là.
Les causes ultimes des choses nous sont inconnues. On peut faire des hypothèses plus ou moins étayées par des arguments, avec un plus ou moins grand degré de probabilité, mais finalement notre cerveau n'est pas à la hauteur pour percer le mystère de l'Être.
Comme disait Pascal, on est un milieu entre l'infiniment grand et l'infiniment petit. Les deux bouts nous échappent. On est comme sur une île, entourée par une vaste étendue d'eau, sans avoir de bateau pour la parcourir.
Remarquez que Spinoza lui-même exagère quelquefois avec son rationalisme optimiste. Il pense qu'on peut connaître avec certitude les fondements de l'être (la Substance, Dieu). Mais il multiplie les sophismes et les affirmations sans fondement assuré dans la première partie de l'Éthique.
Pourtant, je respecte Spinoza, entre autres parce qu'il a fait une découverte, ou en tout cas une suggestion, intéressante : l'Être suprême est indifférent. Le monde ne tourne pas autour de l'être humain, il n'a pas été préparé par une Providence pour satisfaire nos besoins...
Tiré de Éthique, partie I, appendice :
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N’oublions pas de faire remarquer ici que les sectateurs de cette doctrine [Spinoza parle du finalisme], qui ont voulu faire briller leur esprit dans l’explication des causes finales des choses, ont inventé, pour établir leur système, un nouveau genre d’argumentation, lequel consiste à réduire son contradicteur, non pas à l’absurde, mais à l’ignorance ; et cela fait bien voir qu’il ne leur restait plus aucun moyen de se défendre. Par exemple, supposez qu’une pierre tombe du toit d’une maison sur la tête d’un homme et lui donne la mort, ils diront que cette pierre est tombée tout exprès pour tuer cet homme. Comment, en effet, si Dieu ne l’avait fait tomber à cette fin, tant de circonstances y auraient-elles concouru (et il est vrai de dire que ces circonstances sont souvent en très-grand nombre) ? Vous répondrez peut-être que l’événement en question tient à ces deux causes ; que le vent a soufflé et qu’un homme a passé par là. Mais ils vous presseront aussitôt de questions : Pourquoi le vent a-t-il soufflé à ce moment ? pourquoi un homme a-t-il passé par là, précisément à ce même moment ? Répondrez-vous encore que le vent a soufflé parce que, la veille, la mer avait commencé de s’agiter, quoique le temps fût encore calme, et que l’homme a passé par là parce qu’il se rendait à l’invitation d’un ami, ils vous presseront encore d’autres questions : Mais pourquoi la mer était-elle agitée ? pourquoi cet homme a-t-il été invité à cette même époque ? Et ainsi ils ne cesseront de vous demander la cause de la cause, jusqu’à ce que vous recouriez à la volonté de Dieu, c’est-à-dire à l’asile de l’ignorance. De même aussi, quand nos adversaires considèrent l’économie du corps humain, il tombent dans un étonnement stupide, et comme ils ignorent les causes d’un art si merveilleux, ils concluent que ce ne sont point des lois mécaniques, mais une industrie divine et surnaturelle qui a formé cet ouvrage et en a disposé les parties de façon qu’elles ne se nuisent point réciproquement. C’est pourquoi quiconque cherche les véritables causes des miracles, et s’efforce de comprendre les choses naturelles en philosophe, au lieu de les admirer en homme stupide, est tenu aussitôt pour hérétique et pour impie, et proclamé tel par les hommes que le vulgaire adore comme les interprètes de la nature et de Dieu. Ils savent bien, en effet, que l’ignorance une fois disparue ferait disparaître l’étonnement, c’est-à-dire l’unique base de tous leurs arguments, l’unique appui de leur autorité. Mais je laisse ce sujet pour arriver au troisième point que je me suis Proposé d’établir. """
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Eh oui, souvent on explique un phénomène par Dieu ou toute autre entité paranormale ou surnaturelle alors que l'honnêteté serait simplement de s'arrêter et dire : "je ne sais pas par quoi est causé ce phénomène", et d'appliquer les méthodes de la science pour découvrir les causes cachées... On reconnaît la façon de procéder des créationnistes.
Je ne sais pas comment la vie a émergé de la matière inorganique, mais c'est une explication vide que de dire que "Dieu l'a fait". Ou du moins il faudrait prouver que la matière est intrinsèquement incapable de produire la vie, et on n'en est pas là.
Les causes ultimes des choses nous sont inconnues. On peut faire des hypothèses plus ou moins étayées par des arguments, avec un plus ou moins grand degré de probabilité, mais finalement notre cerveau n'est pas à la hauteur pour percer le mystère de l'Être.
Comme disait Pascal, on est un milieu entre l'infiniment grand et l'infiniment petit. Les deux bouts nous échappent. On est comme sur une île, entourée par une vaste étendue d'eau, sans avoir de bateau pour la parcourir.
Remarquez que Spinoza lui-même exagère quelquefois avec son rationalisme optimiste. Il pense qu'on peut connaître avec certitude les fondements de l'être (la Substance, Dieu). Mais il multiplie les sophismes et les affirmations sans fondement assuré dans la première partie de l'Éthique.
Pourtant, je respecte Spinoza, entre autres parce qu'il a fait une découverte, ou en tout cas une suggestion, intéressante : l'Être suprême est indifférent. Le monde ne tourne pas autour de l'être humain, il n'a pas été préparé par une Providence pour satisfaire nos besoins...