Umoja : le village interdit aux hommes

FEMMES D'AILLEURS • Umoja, le village où les hommes n'ont pas droit de cité



Umoja est un village kényan qui ressemble de loin à des milliers d'autres, mais qui a une particularité : il n'est habité que par des femmes. "Il y a dix ans en effet, un groupe de femmes est venu s'installer sur un terrain d'herbes sèches abandonné et a fondé le village d'Umoja qui veut dire ‘unité' en swahili. Ces femmes avaient toutes été violées et abandonnées par leurs maris qui prétendaient qu'elles avaient jeté la honte sur leur famille et leur communauté", raconte The Washington Post. Le grand journal américain s'est intéressé à l'histoire de ce village quand sa matriarche Rebecca Lolosoli s'est rendue à New York il y a peu, pour participer à une conférence de l'ONU sur les discriminations sexuelles.

Abasourdie par l'histoire de ces femmes violées et abandonnées, Rebecca Lolosoli décida à l'époque qu'aucun homme ne serait autorisé à vivre dans ce village construit de manière traditionnelle en cercle, fait de cases de boue et de bouse de vache séchée, et situé non loin de la réserve nationale de Samburu, très prisée des touristes. Et ce qui était un petit groupe de femmes sans toit, à la recherche d'un endroit pour vivre, est devenu un village florissant. Les quelque quarante femmes qui y vivent ont créé un centre culturel et un camping qui marche très bien. En outre, la réputation du village est telle que de nombreuses femmes de tout le pays viennent y rechercher de l'aide, si bien qu'il a fallu embaucher des hommes pour aller chercher le bois nécessaire à la cuisine, tâche habituellement dévolue aux femmes.

Dans un moment de dépit, les hommes de la tribu ont construit leur propre village juste en face, mais n'ont pas réussi, comble d'ironie, à attirer les touristes dans leur propre camping. Les femmes, de leur côté, ont si bien mené leur entreprise qu'avec le revenu du camping et des produits artisanaux qu'elles vendent aux touristes, elles ont pour la première fois envoyé leurs enfants à l'école, acheter des vêtements neufs, améliorer leur alimentation et surtout refuser les excisions et les mariages précoces pour leurs filles. Leur succès cependant a attisé la jalousie des hommes et Rebecca a reçu de nombreuses menaces de mort.

Sebastian Lesinik, le chef du village masculin, s'étrangle quand on lui parle d'Umoja. "L'homme est la tête et la femme le cou. Or une tête ne peut pas demander à un cou de donner son avis", avance-t-il pour expliquer sa vision de la place des femmes dans le couple. Porte-parole de son village, il n'accepte pas que des trouble-fête telles que Rebecca remettent en cause les fondements mêmes de la culture de sa communauté.

Il n'empêche, c'est grâce à l'attitude de ces femmes que le parlement kényan va bientôt débattre d'une série de projets de lois susceptibles d'améliorer la condition féminine. Si ces textes sont adoptés, "elles auront le droit de choisir leur mari, pourront exiger réparation en cas de harcèlement sexuel, refuser l'excision et poursuivre les violeurs en justice qui, en cas de récidive, risquent d'être condamnés à la castration chimique et à la prison à vie", précise le quotidien de Washington.

"Il arrive parfois que des maris viennent à Umoja demander à leurs ex-épouses de revenir avec eux, mais la majorité d'entre elles refuse", explique The New York Times qui s'est intéressé à la vie de ces femmes sans hommes. "Les femmes d'ici ne disent pas qu'elles n'ont pas besoin d'hommes, elles apprécient leur présence en tant qu'ami et cela suffit", ajoute Béatrice, l'institutrice du village.

"Aux dernières nouvelles, ajoute The Washington Post, les résidents du village des hommes ont admis leur défaite et ont cessé de vouloir attirer les touristes. Certains, incapables de trouver une femme qui ne suive pas l'exemple de Rebecca Lolosoli, ont même déménagé."

Anne Collet , Courrier International
 
Haut