Une remise en cause des postulats des politiques de développement"

LE MONDE ECONOMIE | 13.10.08 | 12h53 • Mis à jour le 13.10.08 | 12h53

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Alice Sindzingre est chargée de recherche au CNRS, enseigne dans le master international de Sciences Po et, depuis 2002, au département d'économie de la School of Oriental and African Studies (SOAS), université de Londres.



La crise financière et son extension à l'économie réelle des pays développés peuvent-elles modifier les politiques et les modèles économiques mis en pratique dans les pays en voie de développement (PVD) ?



Alice Sindzingre, chargée de recherche au CNRS (UMR EconomiX, université Paris-X), enseigne dans le master international de Sciences Po et, depuis 2002, au département d'économie de la School of Oriental and African Studies (SOAS), université de Londres.



1999
Affectée à la Banque mondiale, elle est membre de l'équipe du Rapport sur le développement dans le monde 2000.

La hausse des prix des matières premières, notamment du pétrole, a accru les revenus des PVD qui les exportent, et leur a permis d'obtenir de forts taux de croissance - 6 % à 7 % en Afrique subsaharienne - ces dernières années. Aujourd'hui, la récession dans les pays riches laisse craindre une diminution de la demande, ce qui est l'un des facteurs de la chute actuelle des prix de ces matières premières, et donc une contre-performance de ces pays.

On redécouvre à cette occasion que la volatilité des prix des matières premières est en soi un handicap pour la croissance des PVD, d'autant qu'elle s'inscrit dans une tendance à très long terme de baisse des prix. Deux chercheurs, Paul Cashin et John McDermott (2002), ont montré que, sur la période 1862-1999, le prix des matières premières a baissé en termes réels de 1 % par an en moyenne. La récente flambée des cours, de 2002 à 2008, est due essentiellement à la multiplication de produits dérivés qui, souvent gérés par des fonds spéculatifs, étaient censés couvrir les effets de la volatilité, alors qu'ils n'ont fait que la renforcer. Aujourd'hui, ces fonds, menacés par la crise financière, se retirent du marché, induisant une baisse des cours.

Les effets négatifs de cette volatilité, tant à la baisse qu'à la hausse, sur la croissance durable des PVD sont connus : il leur est impossible d'anticiper le montant de leurs revenus fiscaux et l'évolution de leur taux de change, ce qui les contraint à faire appel à l'aide publique au développement et à des capitaux extérieurs pour "lisser" les effets budgétaires de la volatilité.


Mais la demande mondiale, notamment asiatique, ne va-t-elle pas continuer à tirer vers le haut les revenus des PVD ?

Comme l'ont démontré, dès les années 1950, les économistes Raul Prebisch et Hans Singer, puis Alfred Maizels dans les années 1980, les termes de l'échange entre pays producteurs de matières premières et pays producteurs de biens manufacturés (industrialisés comme émergents) se dégradent inexorablement au profit de ces derniers, car les variations du cycle de leur demande dictent les prix des marchés, et parce qu'ils disposent de l'avance technologique et de la puissance politique qui permettent à leurs firmes transnationales de capter une grande partie des profits.


Les PVD peuvent-ils rompre, à l'instar de ce que semblent avoir fait les pays émergents, ce cercle vicieux ?

La crise devrait remettre en question les postulats néoclassiques qui ont présidé aux politiques d'effacement des Etats au profit de la libéralisation des marchés, qui n'ont d'ailleurs jamais permis le décollage économique des pays qui les ont appliquées. Là encore, nous allons peut-être redécouvrir les théoriciens qui ont fondé après la seconde guerre mondiale l'économie du développement, comme Paul Rosenstein-Rodan pour qui l'Etat était la seule entité capable d'effectuer la coordination nécessaire entre des marchés intrinsèquement imparfaits, d'optimiser la répartition des facteurs de production et de créer des effets d'entraînement. La traduction de ces théories dans les politiques économiques des Etats fraîchement décolonisés, pendant les années 1960, a été un échec, car elles ont créé des entreprises publiques déconnectées du reste de l'économie, et ont été appliquées par des régimes souvent prédateurs. Mais les politiques d'ajustement structurel des années 1980 ont elles aussi échoué. Certes, rien n'est joué, car la bataille conceptuelle est aussi une question de rapport de force tant au sein des grandes institutions internationales où s'élaborent les futures politiques de développement, que des institutions académiques. Et il se peut très bien que, une fois la crise passée, le rôle de l'Etat se trouve à nouveau minimisé. On peut au moins espérer que cet épisode marquera la fin de la prééminence des modèles mathématiques comme outils de représentation de la réalité, de prévision et de gestion : non seulement ils n'ont rien vu venir, mais encore ils ont contribué à précipiter l'économie mondiale dans une crise incontrôlable.

Propos recueillis par Antoine Reverchon
 
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