Sortie. Ce que Lola veut
Les acteurs principaux de Whatever Lola wants : Carmen Lebbos,
Laura Ramsey et Assâad Bouab.
Le nouveau film de Nabyl Ayouch, en salle cette semaine, est un bonbon recommandé pour les amateurs de danse orientale et dune certaine idée du cinéma de divertissement.
Elle a de la chance, Lola. Son avant-première, mardi à Casablanca, a été un très bel événement people. Un joli coup, avec une séance de projection impeccablement réglée et un after délirant. Du bon marketing comme on lenseigne à lécole, bien ciblé, emballé, exécuté. Retour garanti. Tous sont venus. Même Mohamed Sajid, le maire de la ville, souriant et discret comme à son habitude. Natacha Atlas, dabord en playback, ensuite en vrai, live avec son Transglobal Underground. Une flopée de publicitaires, dexperts ès finances ou communication. Et puis Fouad Ali El Himma, ami personnel du roi, débarqué à minuit après avoir assisté, quelques heures plus tôt, au plateau télé de Hiwar à Rabat.
Lafter a volé la vedette à la projection, pourtant réussie. Parce que Natacha Atlas, qui chante le générique du film (une reprise de Sarah Vaughan), à portée de la main. Parce que la Libanaise Carmen Lebbos, lune des actrices principales du film, dansant mieux encore quà lécran. Parce que Si Fouad, sollicité de partout, distribuant les quotas de deux bises à toutes les joues offertes, tournoyant entre les tables et les assiettes.
Et le cinéma dans tout cela ? On y arrive. On naffronte pas le nouveau Nabyl Ayouch comme un film de Daoud Aoulad Syad ou Mustapha Derkaoui. Il y a les paillettes dabord, la com, le cirque (mais joyeux, hein). Ensuite le film. Sil vous plaît.
Lola, une femme américaine
Cest lhistoire dune jeune New Yorkaise de 25 ans, Lola, qui rêve de devenir une étoile de la danse orientale. Son problème, cest quelle ny connaît rien, elle nest jamais allée plus loin que le Visconsin, et elle est postière dans la vie. Pas facile
Whatever Lola wants démarre sur les bases dune bonne comédie musicale dans le Hollywood des années 40-50, avec ce doux parfum de mélo et de conte de fées pour adultes. Lola rencontre, donc, lamour. Il sappelle Zak : il disparaît du jour au lendemain, elle décide daller le rejoindre à lautre bout de la planète, au Caire. Alors Lola engrange, apprend la danse, la vie, perd son amour, gagne un don, un statut, la gloire. Elle devient star mais au prix, évidemment, de son cur. Elle retourne à son New York, ramenant dans ses bagages son histoire, son art. Happy end final. Lola, on la bien compris, est un ambassadeur, un bridge entre lOrient et lOccident, lesquels peuvent parfaitement se joindre lun à lautre. Pourquoi pas par la danse ?
En dautres temps, dautres circonstances, le quatrième film de Nabyl Ayouch aurait pu sappeler A star is born. Une étoile est née, donc. Laura Ramsey, la Lola du titre, est un peu une Judy Garland version 2008, un peu plus blonde que son modèle, toujours aussi candide, romantique, heureuse et malheureuse en amour.
Voilà donc le film le plus cher de lhistoire du cinéma marocain. 10 millions deuros, un peu moins de 120 millions de dirhams. Pas grand-chose pour les standards de production française, énorme pour un gentil cheval marocain. Lola est ambitieux par ses moyens : la caméra de Nabyl Ayouch sest baladée à New York, au Caire et à Casablanca (pour reconstituer certains extérieurs du Caire). Un soin particulier a été apporté à limage, à la bande-son, sans oublier la très importante communication montée autour du film. Lola est surtout ambitieux par son propos. Filmer au Caire et à New York, même si cest seulement pour quelques jours, cela coûte cher. Mais cela a du sens. Les deux capitales symbolisent deux mondes en opposition : Orient, Occident. Musulmans contre chrétiens. Arabes contre Américains. Le film montre quil est possible de joindre les deux extrêmes, et par la danse sil le faut. En fait, la danse orientale est un souci personnel, intime. Cest quelque chose qui me passionne
et qui ma permis de rencontrer ma femme, il y a 18 ans, explique Nabyl Ayouch. Lola, au cas où on laurait oublié, est bien un film personnel.
Marocain ou pas : that is the question
Dans la filmographie de Nabyl Ayouch, Lola sinstalle aisément dans le sillage des trois premiers opus du réalisateur : comme dans Mektoub, Ali Zaoua, ou Une minute de soleil en moins, Lola est une ode à la transgression. Le thème central de la danse était déjà évoqué, en filigrane, dans Une minute de soleil en moins. Sur la forme, cest du Ayouch cousu main : clean, agréable à lil et très pro pour les qualités ; léger, long et manquant un chouia dâme pour les défauts. Très objectivement.
Cest surtout par rapport au cinéma marocain que Lola détonne. Le film de Nabyl Ayouch, dont le titre résonne bien dans lair du temps (après les Wake up Morroco, What a wonderful world, Morrocan dream ou Casablanca daylight), creuse un sillon abandonné depuis Souheïl Benbarka, et lépoque Amok (1982). Celle de la superproduction internationale où le label Maroc est absent du scénario, des décors, des dialogues, etc. Lola est a priori un produit sans nationalité véritable, réalisé par un Marocain, financé essentiellement par des Européens, tourné en anglais, racontant lhistoire dune Américaine dabord perdue, ensuite consacrée, en Egypte. Pour reprendre la comparaison avec Benbarka, Ayouch réussit avec le seul Lola là où toute la filmographie internationale de Monsieur Amok (La Bataille des trois rois, Lombre du pharaon
) avait échoué : proposer, sur une préoccupation daujourdhui, un sujet fédérateur garantissant lindispensable mixture larmes - rires - évasion.
Romantique, divertissant, agréable de bout en bout, Whatever Lola wants nest pas exactement le chef-duvre de lannée. Question de vocation, sans doute. Parfois décriture et de codes de fabrication. Le film, qui oscille entre le mélo et la comédie musicale, emprunte les figures de style des deux genres, avec leurs poncifs, leurs longueurs et leurs limites. Il souffre aussi, dans les détails, de certaines carences que lon appellera techniques : les doublages, une certaine discordance de ton entre les comédiens (notamment le couple amoureux Assaâd Bouab - Laura Ramsey, pas toujours au diapason), sans oublier que le clou du film, un numéro de danse en public, est en-deçà du minima dicté par la loi du genre, qui impose de multiplier les angles, serrer les pieds du danseur, ses mouvements de corps, etc.
Pour Carmen Lebbos et Hicham Rostom
Il reste que, à linstar du public de lavant-première, il est inutile de faire la fine bouche. Bien sûr que le produit sent le calibrage marketing (trop) calculé au millimètre près. La langue anglaise, une actrice américaine, pour souvrir les voies du marché international. Le Caire, la danse orientale et la superbe Carmen Lebbos pour se garantir une place dans le circuit arabe. Lopposition Orient - Occident pour plaire à la bien-pensance sans frontières, etc.
Au total, ce nest pas assez pour bouder son plaisir. La partie américaine du film est pleine de fraîcheur. Les réflexions acerbes, les coups portés à une certaine mentalité arabe (le malaise du personnage du serveur gay, les contradictions du séducteur égyptien, la mise en quarantaine de la diva de la danse orientale) sont bien sentis. Ce nest pas rien. Et puis il y a la danse, toutes les scènes avec Carmen lebbos, la distribution des seconds rôles avec entre autres lexcellent Hicham Rostom (acteur fétiche de Nouri Bouzid et du meilleur cinéma tunisien), la chanson entraînante de Natacha Atlas
Mesdames, messieurs, éteignez vos portables, rangez vos DVD pirates, allongez le pas jusquau cinéma le plus proche. Parce que Lola le vaut bien.
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numéro 321