Dimanche, le magazine « Zone Interdite » (M6) a consacré une émission aux cités HLM. Un mini-tour de France intitulé « Quartiers sensibles : le vrai visage des nouveaux ghettos », qui parle, pêle-mêle, de communautarisme musulman, de deal et d’ados à la dérive (à revoir en replay sur le site de M6).
De nombreux internautes ont réagi sur les réseaux sociaux, prenant la chaîne à partie, coupable, selon eux, d’alimenter la parano collective, voire le racisme.
Quelques heures après la diffusion du sujet – qui juxtapose le travail de deux boîtes de production –, les Jeunes communistes de Bobigny-Drancy (Seine-Saint-Denis) ont annoncé, via un communiqué, leur intention de porter plainte contre M6 pour diffamation. En cause, notamment, les passages tournés à Bobigny, qu’ils assimilent à de « la propagande racoleuse, mensongère et réactionnaire ». Deniz Kiraz, l’un des militants à l’origine de l’initiative, explique :
« A un moment, le journaliste pose une question totalement scandaleuse à une maman (30 ans, cinq enfants, de quatre pères différents, au chômage) : “Tu n’as jamais pensé à prendre la pilule ?” Peut-on appeler ça du journalisme ? »
Mercredi soir, nous avons reçu l’appel de Matthias Quiviger, qui a joué lesfixeurs à Evreux (Eure) pour les besoins de l’émission. Il assure qu’il déposera plainte aussi. Et raconte :
« Une boîte de production [Giraf Prod, ndlr] qui voulait soi-disant réaliser un reportage positif sur la banlieue, loin des clichés sur les islamistes et les dealers, m’a approché. Je l’ai aidée mais à la fin du tournage, elle a trouvé qu’il fallait pimenter, parce que ça ne fonctionnait pas. Ça manquait de “religion” et de “deal”. Elle a alors décidé de tourner d’autres séquences... »
« Elle voulait des barbus, des djellabas... »
Le long format de « Zone Interdite » n’est pas le plus stigmatisant qui soit dans l’histoire médiatique de la banlieue, ni même le plus sombre. Néanmoins, il est bordélique. Trop de problématiques différentes et sensibles (identité, trafic, monoparentalité) s’y entrechoquent, sans subtilité, ni réelle mise en perspective.
La chaîne assume. L’angle était le ghetto, l’objectif, de rapporter une réalité, et le politiquement correct à bannir :
« C’était brut de décoffrage, avec une volonté d’éviter les partis pris. C’est ce que l’on a fait. »
Et justifie, en arguant qu’il y a toujours une minorité de déçus après un tournage, de surcroît sur une thématique aussi complexe :
« Nous n’avons pas trahi la parole des personnes qui ont participé à ce reportage et nous n’avons rien inventé. D’ailleurs, elles nous ont remerciés pour ça. »
Trois semaines avant la diffusion de l’émission, Matthias Quiviger affirme avoir présenté des témoins à Géraldine Levasseur, une cadre de Giraf Prod qui a bossé sur Evreux et son quartier sensible de La Madeleine. Sur le tournage, elle aurait pété un câble :
« J’essayais de lui ramener des personnes qui ont réussi ou qui galèrent, mais qui s’en sortent quand même. Ça ne lui allait pas. En réalité, elle voulait des barbus, des djellabas, des musulmans qui font la prière, des dealers... Ça s’est très mal passé avec elle.
Elle avait menti sur ses intentions. Je me souviens qu’elle est rentrée dans un immeuble et qu’elle a demandé aux habitants de tous se mettre par la fenêtre pour que ça fasse “cage à poules” et “ghetto”. »
Il poursuit :
« Après les témoignages qu’elle a recueillis quand j’étais avec elle, elle n’était pas satisfaite. Elle y est retournée, seule. Elle a donné environ 250 euros à des jeunes pour qu’ils la laissent filmer des points de deals et qu’ils répondent à ses questions très orientées. »
Faire un joli plan comme dans la pub Egoïste
Giraf Prod dément et pointe du doigt « un fixeur aigri », qui n’a pas assuré sur le terrain. Qui a touché « beaucoup d’argent » – 2 500 euros – pour « un boulot qu’il n’a pas fait » :
« Il devait nous présenter trois familles [qui correspondent à l’angle du reportage Ndlr], mais n’a jamais réussi à le faire. L’accord de départ, c’était de réaliser un reportage objectif sur les ghettos de la République. Lui voulait orienter ça vers quelque chose d’angélique. Mais il n’est pas réalisateur [...].
Karim Ouaffi et Karim Maatem, les deux réalisateurs du reportage, connaissent très bien la problématique. Ils sont d’ailleurs tous les deux issus des cités. »
Géraldine Levasseur était là pour prêter main forte à l’équipe. Elle réfute les accusations à son encontre, ainsi que le vocabulaire que Matthias Quiviger lui prête. Donne d’autres versions des faits :
« Je n’ai jamais parlé de “cage à poules” [...]. Je suis réalisatrice, j’aime les belles images. Effectivement, je me suis présentée aux personnes de cet immeuble après avoir sympathisé avec des jeunes filles.
Je voulais faire un joli plan, comme dans “Egoïste” [la pub de Chanel, ndlr]. Vous savez pourquoi je n’ai pas gardé cette séquence ? Parce que justement, ça faisait trop “ghetto”. »
Elle ne se voyait pas se voiler la face en éludant l’économie souterraine qui, selon elle, fait partie intégrante de la vie du quartier. « Et encore, on n’a pas tout montré. » La journaliste, qui met en avant son expérience des terrains difficiles, ne comprend pas l’histoire de la prime versée aux dealers :
« Je ne les ai jamais payés pour qu’ils me parlent. Jamais. Je leur ai simplement donné un peu d’argent pour qu’ils achètent des gâteaux et des bonbons aux enfants du quartier qui étaient autour de nous.
D’ailleurs, j’ai même gardé contact avec l’un de ces jeunes qui tiennent le mur [...] Je lui ai proposé un travail d’enquêteur pour un sujet. Malheureusement, il n’est jamais venu. »
« Si elle avait été blanche, j’aurais fait pareil »
Dimanche, « Zone Interdite » a décidé de juxtaposer deux travaux, sans préciser qu’ils traitaient de problématiques distinctes. L’un sur le communautarisme musulman et le trafic de drogues (celui de Giraf Prod), l’autre sur les mères seules qui galèrent à élever leurs enfants dans les cités difficiles (Yemaya Productions).
Pour faire le lien entre les deux, il y a eu cette longue introduction de Wendy Bouchard, la présentatrice. Extrait (étrange et simpliste) :
« Si certains habitants jouent la carte de l’intégration, d’autres s’enferment au contraire dans leur communauté ethnique ou religieuse. Dans ces ghettos, une constante apparaît : l’absence des pères. Sans modèle, sans autorité, certains jeunes dérivent, et parfois jusqu’au pire. »
Les séquences coupées auraient pu permettre de contextualiser certaines situations, les voix off éviter quelques gros poncifs.
Olivier Ponthus, rédacteur en chef de Yemaya (une boîte de production), a réalisé le second sujet. Il est allé à la rencontre de mères en France, dont deux à Bobigny.
source : « Zone Interdite » : « La journaliste voulait des barbus, des djellabas » - Rue89 - L'Obs
De nombreux internautes ont réagi sur les réseaux sociaux, prenant la chaîne à partie, coupable, selon eux, d’alimenter la parano collective, voire le racisme.
Quelques heures après la diffusion du sujet – qui juxtapose le travail de deux boîtes de production –, les Jeunes communistes de Bobigny-Drancy (Seine-Saint-Denis) ont annoncé, via un communiqué, leur intention de porter plainte contre M6 pour diffamation. En cause, notamment, les passages tournés à Bobigny, qu’ils assimilent à de « la propagande racoleuse, mensongère et réactionnaire ». Deniz Kiraz, l’un des militants à l’origine de l’initiative, explique :
« A un moment, le journaliste pose une question totalement scandaleuse à une maman (30 ans, cinq enfants, de quatre pères différents, au chômage) : “Tu n’as jamais pensé à prendre la pilule ?” Peut-on appeler ça du journalisme ? »
Mercredi soir, nous avons reçu l’appel de Matthias Quiviger, qui a joué lesfixeurs à Evreux (Eure) pour les besoins de l’émission. Il assure qu’il déposera plainte aussi. Et raconte :
« Une boîte de production [Giraf Prod, ndlr] qui voulait soi-disant réaliser un reportage positif sur la banlieue, loin des clichés sur les islamistes et les dealers, m’a approché. Je l’ai aidée mais à la fin du tournage, elle a trouvé qu’il fallait pimenter, parce que ça ne fonctionnait pas. Ça manquait de “religion” et de “deal”. Elle a alors décidé de tourner d’autres séquences... »
« Elle voulait des barbus, des djellabas... »
Le long format de « Zone Interdite » n’est pas le plus stigmatisant qui soit dans l’histoire médiatique de la banlieue, ni même le plus sombre. Néanmoins, il est bordélique. Trop de problématiques différentes et sensibles (identité, trafic, monoparentalité) s’y entrechoquent, sans subtilité, ni réelle mise en perspective.
La chaîne assume. L’angle était le ghetto, l’objectif, de rapporter une réalité, et le politiquement correct à bannir :
« C’était brut de décoffrage, avec une volonté d’éviter les partis pris. C’est ce que l’on a fait. »
Et justifie, en arguant qu’il y a toujours une minorité de déçus après un tournage, de surcroît sur une thématique aussi complexe :
« Nous n’avons pas trahi la parole des personnes qui ont participé à ce reportage et nous n’avons rien inventé. D’ailleurs, elles nous ont remerciés pour ça. »
Trois semaines avant la diffusion de l’émission, Matthias Quiviger affirme avoir présenté des témoins à Géraldine Levasseur, une cadre de Giraf Prod qui a bossé sur Evreux et son quartier sensible de La Madeleine. Sur le tournage, elle aurait pété un câble :
« J’essayais de lui ramener des personnes qui ont réussi ou qui galèrent, mais qui s’en sortent quand même. Ça ne lui allait pas. En réalité, elle voulait des barbus, des djellabas, des musulmans qui font la prière, des dealers... Ça s’est très mal passé avec elle.
Elle avait menti sur ses intentions. Je me souviens qu’elle est rentrée dans un immeuble et qu’elle a demandé aux habitants de tous se mettre par la fenêtre pour que ça fasse “cage à poules” et “ghetto”. »
Il poursuit :
« Après les témoignages qu’elle a recueillis quand j’étais avec elle, elle n’était pas satisfaite. Elle y est retournée, seule. Elle a donné environ 250 euros à des jeunes pour qu’ils la laissent filmer des points de deals et qu’ils répondent à ses questions très orientées. »
Faire un joli plan comme dans la pub Egoïste
Giraf Prod dément et pointe du doigt « un fixeur aigri », qui n’a pas assuré sur le terrain. Qui a touché « beaucoup d’argent » – 2 500 euros – pour « un boulot qu’il n’a pas fait » :
« Il devait nous présenter trois familles [qui correspondent à l’angle du reportage Ndlr], mais n’a jamais réussi à le faire. L’accord de départ, c’était de réaliser un reportage objectif sur les ghettos de la République. Lui voulait orienter ça vers quelque chose d’angélique. Mais il n’est pas réalisateur [...].
Karim Ouaffi et Karim Maatem, les deux réalisateurs du reportage, connaissent très bien la problématique. Ils sont d’ailleurs tous les deux issus des cités. »
Géraldine Levasseur était là pour prêter main forte à l’équipe. Elle réfute les accusations à son encontre, ainsi que le vocabulaire que Matthias Quiviger lui prête. Donne d’autres versions des faits :
« Je n’ai jamais parlé de “cage à poules” [...]. Je suis réalisatrice, j’aime les belles images. Effectivement, je me suis présentée aux personnes de cet immeuble après avoir sympathisé avec des jeunes filles.
Je voulais faire un joli plan, comme dans “Egoïste” [la pub de Chanel, ndlr]. Vous savez pourquoi je n’ai pas gardé cette séquence ? Parce que justement, ça faisait trop “ghetto”. »
Elle ne se voyait pas se voiler la face en éludant l’économie souterraine qui, selon elle, fait partie intégrante de la vie du quartier. « Et encore, on n’a pas tout montré. » La journaliste, qui met en avant son expérience des terrains difficiles, ne comprend pas l’histoire de la prime versée aux dealers :
« Je ne les ai jamais payés pour qu’ils me parlent. Jamais. Je leur ai simplement donné un peu d’argent pour qu’ils achètent des gâteaux et des bonbons aux enfants du quartier qui étaient autour de nous.
D’ailleurs, j’ai même gardé contact avec l’un de ces jeunes qui tiennent le mur [...] Je lui ai proposé un travail d’enquêteur pour un sujet. Malheureusement, il n’est jamais venu. »
« Si elle avait été blanche, j’aurais fait pareil »
Dimanche, « Zone Interdite » a décidé de juxtaposer deux travaux, sans préciser qu’ils traitaient de problématiques distinctes. L’un sur le communautarisme musulman et le trafic de drogues (celui de Giraf Prod), l’autre sur les mères seules qui galèrent à élever leurs enfants dans les cités difficiles (Yemaya Productions).
Pour faire le lien entre les deux, il y a eu cette longue introduction de Wendy Bouchard, la présentatrice. Extrait (étrange et simpliste) :
« Si certains habitants jouent la carte de l’intégration, d’autres s’enferment au contraire dans leur communauté ethnique ou religieuse. Dans ces ghettos, une constante apparaît : l’absence des pères. Sans modèle, sans autorité, certains jeunes dérivent, et parfois jusqu’au pire. »
Les séquences coupées auraient pu permettre de contextualiser certaines situations, les voix off éviter quelques gros poncifs.
Olivier Ponthus, rédacteur en chef de Yemaya (une boîte de production), a réalisé le second sujet. Il est allé à la rencontre de mères en France, dont deux à Bobigny.
source : « Zone Interdite » : « La journaliste voulait des barbus, des djellabas » - Rue89 - L'Obs