Les 10 plaies de casablanca #2 : patrimoine historique en ruine à vendre !

Drianke

اللهم إفتح لنا أبواب الخير وأرزقنا من حيت لا نحتسب
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Quel point commun entre les 10 plaies d'Egypte et les 10 plaies de Casablanca ? Si on écoute de nombreux Casablancais, la réponse est évidente : l'apocalypse. La ville ogresse n'a jamais laissé indifférente ses habitants, mais ces dernières années, beaucoup de voix appellent à un peu plus de douceur pour que Casa redevienne la Blanche. Cette série d'articles propose une plongée dans les méandres d’une cité partagée entre crimes et châtiments.

Où est donc passé le centre-ville de Casablanca ? Mouna Hachim et Rita Touzani se le demandent bien. La première est journaliste, romancière et chroniqueuse, coadministratrice de la page Facebook «Save Casablanca», qui réunit plus de 175 000 membres. La seconde est une professionnelle du tourisme au Maroc et a tout récemment rejoint ce groupe, non pas pour «sauver Casablanca», mais pour annoncer qu’elle quitte la ville, celle-là même qui a vu naître trois générations de sa famille – quatre en comptant sa naissance.

Car voilà, Rita Touzani n’en peut plus d’assister, impuissante, «depuis une quinzaine d’années», à la dégradation effrénée de Casablanca et de son centre – si centre il y a toujours. Autrefois resplendissant, le centre historique n’est plus que l’ombre de lui-même, faute d’une véritable politique de rénovation du patrimoine architectural. «Quand vous voyez la saleté qui y règne, ça vous donne envie d’aller vous y balader ?», s’agace-t-elle. «Le boulevard Mohammed V était autrefois le plus chic de Casablanca ; c’est celui qui hébergeait les meilleurs restaurants et les plus belles enseignes – qui n’achetait pas sa vaisselle à La Minaudière, le nec plus ultra de la bijouterie, de l’argenterie et de la vaisselle ? Qui n’allait pas dîner à La Corrida ? Ce boulevard, c’était un melting-pot des meilleurs coins de la ville ! Les marchés sentaient bon, ils étaient fleuris, les chaussées étaient propres…», se souvient Rita Touzani, non sans nostalgie.

Pour Rita Touzani, «l’âme» de Casablanca s’est évaporée avec l’abandon et la disparition progressive de ce patrimoine. «Aujourd’hui, c’est une ville en proie à des promoteurs immobiliers qui la défigurent et la spolient. Son développement et son expansion n’ont répondu à aucun schéma directeur, aucune stratégie, aucune vision», fustige-t-elle encore. C’est donc décidé : la quinquagénaire plie bagages, direction Marrakech mais, avoue-t-elle, la mort dans l’âme.

«Vache à lait»

Mouna Hachim est quant à elle bien décidée à rester. «Mais on se bat contre des moulins à vent», lâche-t-elle en référence à l’inaction des autorités locales, pour ne pas dire leur indifférence totale. «Dans le centre historique, on se retrouve désormais avec des devantures de magasins ou de superettes qui ne sont pas du tout en harmonie avec le patrimoine initial, c’est totalement aberrant !»

Le problème, selon elle, ce sont notamment ces loyers dont les sommes modiques ne permettent pas aux propriétaires d’entretenir leurs logements et les immeubles qui les abritent. «Les proprios laissent ces immeubles se dégrader, jusqu’à ce qu’ils pourrissent et que ses habitants soient contraints de les évacuer, avant, in fine, de les démolir», ajoute Mouna Hachim. Elle aussi se replonge volontiers dans les souvenirs d’une ville éclatante, dont le patrimoine art déco fut longtemps le miroir d’une véritable épopée architecturale. «Il faut le dire : Casablanca fut un Far West architectural où les architectes du monde entier venaient s’éclater !» Aujourd’hui, elle déplore que certains débats relatifs à ce patrimoine deviennent parfois «épidermiques», ses détracteurs y voyant un héritage colonial. «Au contraire, c’est un héritage national qui rappelle un pan de notre histoire», soutient-elle.

«A titre d’exemple, j’habite dans une maison qui date des années 50 mais qui ne correspond plus du tout au mode de vie des familles marocaines – la surface bâtie étant beaucoup plus petite – et, disons-le franchement, à une espèce de bourgeoisie qui raffole du béton et détruit à tout-va. C’est le fait de particuliers, l’Etat n’a pas véritablement de responsabilité directe dans ce dossier.»

Mouna Hachim plaide pour un changement des mentalités et, pourquoi pas, un remaniement des élus de Casablanca. «C’est une ville dirigée par des gens qui ne la connaissent pas et ne font pas l’effort de se renseigner sur son histoire, sur ce qu’elle a apporté au Maroc. Le grand drame de Casablanca, c’est qu’elle est devenue une vache à lait.» En somme, on y brasse de l’argent puis on s’en va. Au fil des années, les amoureux de Casablanca constatent, impuissants, un patrimoine historique en ruine qui n’attend qu’un promoteur vorace pour être bradé.


Yabiladi
 
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