Ana Bidaoui - Les mémoires de Casablanca

Réalisée par Nour-Eddine Lakhmari, la série documentaire «Ana Bidaoui» sera diffusée sur 2M à partir du 4 juin, dans le cadre de la case documentaire «Des Histoires et des Hommes» (H&H), chaque dimanche soir à 22h. En quatre épisodes, cette œuvre fait redécouvrir Casablanca par ses propres habitants et amoureux. C’est aussi l’œuvre qui signe le retour du cinéaste au petit écran, après s’être consacré au cinéma de fiction pendant plus de dix ans. L’auteur se confie à Yabiladi sur son baptême du documentaire


Ana Bidaoui» signe votre grand retour sur le petit écran, depuis votre série de fiction Al Kadia en 2006. Comment vivez-vous ce come-back après tant d’années consacrées au cinéma ?

Je suis très content d’y revenir, parce que le plus large public de nos œuvres reste celui de la télévision. Je pense qu’il est temps que tous les cinéastes marocains fassent des films pour le cinéma, tout en ayant la possibilité de travailler aussi pour la télévision et raconter leurs histoires, sur le petit comme sur le grand écran. Je pense que le public marocain et que les téléspectateurs ont besoin de se voir chez eux, de s’écouter et surtout de pouvoir s’identifier aux personnages à travers nos travaux de réalisateurs. Il est temps, à mon sens, que nous reprenions ce contact avec le public marocain de toutes les couches sociales.
Lorsqu’on fait du cinéma pour le grand écran, nous montrons nos films, en effet. Nous les faisons diffuser ailleurs, nous les projetons dans des festivals internationaux et nous nous réjouissons des sorties en salles. Mais aussi passionné et cinéphile qu’il soit, le public qui y accède reste relativement restreint, par rapport à l’ensemble de celui qui peut aussi bien s’intéresser à nos œuvres mais sans avoir la possibilité de les voir dans les salles obscures ou de les trouver disponibles en streaming légal. Les amoureux de cinéma se rendent dans les salles, à la télévision, ce sont nos films qui viennent aux foyers des téléspectateurs.
 
C’est important pour moi, surtout pour un sujet comme celui que je traite dans «Ana Bidaoui» et qui parle de notre propre histoire commune. Nous nous réapproprions notre histoire après que Casablanca a souvent été racontée par le colon, par les autres, par un regard extérieur ou détaché.
Pour passer ainsi de la fiction au documentaire, avez-vous senti à un moment que vous deviez prendre le risque et sortir d’une certaine zone de confort dans le processus créatif ?
Grâce à l’initiative de 2M et de Ali n’Productions, ainsi que le scénario de ce documentaire écrit par Rita El Quessar, nous proposons une manière de nous réapproprier notre histoire et de la raconter nous-mêmes. C’était un challenge pour nous et c’était tellement un beau projet que j’avais peu, au début. J’avais le trac de franchir le pas. Je me posais beaucoup de questions et je demandais ce que nous allions dire dans cette série. Faire un film sur Casablanca de cette manière, c’est-à-dire autre que la fiction où nous avons l’habitude de créer nos propres personnages, est un processus à ne pas prendre à la légère. Là, nous faisons parler des casablancais, des personnes réelles, à propos de leur ville. Il a fallu les suivre, les écouter et les filmer comme ils sont.
Après, le processus créatif en lui-même s’est fait dans un certain état d’esprit léger. Il n’y a pas eu de complications, grâce aux personnes qui m’entourent et avec qui j’ai travaillé sur le documentaire. Les équipes de productions, la chaîne 2M et la scénariste m’ont mis à l’aise dans la réalisation. On m’a décrit ce que ce documentaire devait raconter, mais on m’a laissé raconter cette histoire à ma manière. Il n’y a pas eu de pression pour faire respecter strictement le genre. Etant cinéaste, je maîtrise les règles du documentaire comme de la fiction, mais j’ai eu autour de moi des équipes qui comprennent mon style et qui ont su s’y adapter. Finalement, nous avons réalisé que nous avions la même vision : raconter simplement Casablanca, par les Casablancais.
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Casablanca est une ville qui vous tient tellement à cœur que vous lui avez déjà consacré une trilogie (Casanegra, Zero et BurnOut) faite de films à succès mondial. Pour un documentaire, cette fois-ci, quel travail de documentation en amont vous a été nécessaire ?
Nous avons essayé de toucher à tout et le découpage du documentaire en une série de quatre épisodes nous a permis cette liberté, puisque nous avons pu nous attarder davantage sur chaque volet que nous avons considéré important dans la chronologie de la vie de Casablanca et de ses habitants. Nous avons sollicité des chercheurs, des anthropologues, des architectes, des artistes, des citoyens de quartiers… Nous avons parlé à tout le monde, à toutes et tous, car nous avions besoin de la parole de celles et de ceux qui en savent un peu plus sur l’Histoire du Maroc et de Casablanca.
Ce qui est fascinant est que plus je parlais à tous ces gens-là, plus je réalisais que beaucoup de choses m’échappaient encore à propos de cette ville que j’aime tant, en effet, et que j’ai aimé transformer en un plateau de tournage à ciel ouvert pour mes films précédents. J’apprenais moi-même beaucoup de choses en travaillant sur ce documentaire. Cette ville est immense, riche et chacun, à travers son parcours dedans, nous fait savoir quelque chose à propos d’elle. On découvre finalement que Casablanca a une histoire extraordinaire et extrêmement intéressante, mais que nous avons souvent entendue à travers les autres.
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Cette fois-ci, à l’initiative de 2M, d’Ali n’productions et de la scénariste, nous écrivons et nous racontons notre histoire. C’était fondamental pour nous tous, animés par cette volonté de ramener le récit casablancais aux casablancais, qui nous le racontent.
Etait-ce facile pour vous d’accéder aux archives historiques, entre manuscrits, photos et collections privées ?
Nous avons eu la grande chance d’accéder à tout cela : les photos, les collections privées, les chercheurs… En fait, dès que nous appelions quelqu’un en lui parlant d’un projet de film documentaire sur Casablanca, tout en lui disant aussi qu’il racontera la ville à sa guise, il y avait un grand intérêt. Il y a un réel engouement, une soif et une faim énorme de raconter Casablanca. J’ai eu l’impression que tout le monde voulait en parler, tellement cette possibilité n’a pas toujours été donnée à tous.

Episodes du documentaire

Episode 1. «Casablanca, cité millénaire convoitée» : A travers les millénaires, l’antique cité de Casablanca a porté plusieurs noms. Tout commence avec les premières traces préhistoriques, dans une région alors habitée par la civilisation acheuléenne. D’autres civilisations ont marqué la ville, comme les Berghouatas. En quelques siècles, Casablanca a subi de nombreux assauts, tout en se relevant et en résistant à chaque fois. Au début du XXe siècle, elle attise les convoitises européennes, jusqu’à subir le bombardement des forces françaises en 1907. Quasiment rasée, la cité tombe alors entre les mains de l’impérialisme français, qui voit rapidement son potentiel.


Episode 2. «Une ville prise d’assaut qui survit» : A partir de 1912, Casablanca est sous occupation française. Le Protectorat français en fait sa capitale économique, en mettant le paquet sur les infrastructures : digue, port, voie ferrée… L’arrière-pays fournit de la main-d’œuvre, tandis que les ressortissants européens affluent en quête d’affaires. Le résident général Hubert Lyautey s’entoure d’urbanistes et d’architectes, qui posent les jalons du plan Prost, pour un aménagement compartimentant les espaces et les communautés. La ville devient un espace d’expérimentation de l’architecture art déco et néo mauresque. Mais face à l’engorgement de cet espace urbain, les bidonvilles apparaissent et font le terreau du Mouvement national. La résistance s’organise et la tension est à son comble, à la suite de l’attaque par des tirailleurs sénégalais, supplétifs de l’armée française.


Episode 3. «De l’âge d’or aux années de plomb» : A la fin des années 1940, le Protectorat est dépassé par l’évolution de la ville de Casablanca. Le nouveau plan urbain Ecochard tente de structurer l’habitat viable pour le plus grand nombre. Les autorités du Protectorat répriment, affaiblies par la Seconde guerre mondiale et les revendications d’indépendance au Maroc. Avec cette décolonisation en marche, Casablanca retrouve sa liberté en 1956 : musique, cinéma et théâtre deviennent un moyen de réappropriation de la scène marocaine. Mais cet âge d’or a laissé place aux années de plomb et d’ajustement structurel uniformisent l’architecture s’uniformise et les espaces culturels disparaissent.


Episode 4. «Casa se réinvente et rayonne encore et toujours» : Le XXe siècle touche à sa fin. Les tensions s‘apaisent et une ère de réconciliation s’installe. La société civile prend conscience de l’importance du devoir de mémoire et de la préservation de son patrimoine. La nouvelle «movida» casablancaise remet la culture au centre de la vie locale et la jeunesse se réapproprie l’espace, à travers de nouveaux courants musicaux et festivals. Un nouveau plan d’aménagement se met en place, de nouveaux quartiers émergent. Mais les drames continuent d’éprouver la ville et ses habitants, entre attentats et pandémie… Fidèle à son histoire, Casablanca se relève encore.

...Suite : https://www.yabiladi.com/articles/details/140072/nour-eddine-lakhmari-bidaoui-grand-retour.html
 
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