FPP75
VIB
La burqa se multiplie dans l'espace public français et européen. Elle a le don d'irriter et affecte même les libéraux du multiculturalisme anglo-saxon. Cette disparition de la face affole. Le critère d'une identité franche disparaît. Comment respecter l'intégrité du corps ? La conquête séculaire de l'habeas corpus n'exige-t-elle pas un visage et un corps visibles, reconnaissables par l'accord du nom et de la face pour que sans équivoque fonctionnent l'état civil et le pacte démocratique ?
L'éclipse de la face occulte la lumière du visage, où se reconnaît l'épiphanie divine qui a inspiré l'esprit et le coeur en islam. Les soufis voyaient le signe de Dieu dans le miracle de la face humaine, surtout lorsqu'elle se pare de beauté féminine. On remonte ainsi, de visage en visage, du visible à l'invisible, de l'humain au divin, selon la parole prophétique (reprise de la Bible) disant que l'homme a été façonné à l'image de Dieu. "Tout est périssable, ne perdure que la face de Ton seigneur" (Coran LV, 26-27) : ainsi la pérennité de la face divine en tant qu'absolu reflète sa trace sur le support que lui tend tout visage humain.
Le voilement du visage par un tissu aussi noir que la robe qui enveloppe la Kaba (robe appelée aussi burqa) dessaisit l'humain de la franchise qu'exigent le politique et l'esthétique comme l'éthique ou la métaphysique. C'est un masque qui annule le visage, dérobant les intensités de l'altérité qu'Emmanuel Levinas a saisies et dont nous recueillons les rudiments dans la millénaire tradition islamique, qui a médité le franc face-à-face avec le divin où s'éprouve la singularité humaine.
Le visage couvert est retiré de la circulation urbaine comme de la relation intersubjective ou mystique. Aboli le visage qui est, encore selon Levinas, "le lieu d'une ouverture infinie de l'éthique". Le niqab ou la burqa, extension du hidjab, est un crime qui tue la face, barrant l'accès perpétuel à l'autre. C'est un tissu qui transforme les femmes en prison ou en cercueil mobile, exhibant au coeur de nos cités des fantômes obstruant l'entrée aux vérités invisibles du visible.
Le niqab vient d'être interdit dans les espaces scolaires et universitaires d'Al-Azhar au Caire, la plus haute institution sunnite. Son patron, M. Tantawi, a rappelé que le niqab n'est pas une obligation divine, une farîd'a, ni une disposition cultuelle, une ibâda, mais une âda, une coutume. Et le mufti d'Egypte, Ali Juma, confirme cette assertion : il s'agit d'une coutume arabique antéislamique que l'islam est en mesure de dissoudre.
Ces arguments islamiques peuvent être exploités si la commission parlementaire se décide pour une loi interdisant le port du voile intégral. Je n'évoquerai pas la difficulté de la mise en pratique d'une telle loi. Je voudrais seulement répondre aux objections de juristes quant à la liberté de l'individu et au respect de disposer de son corps comme il l'entend. C'est que les porteuses de burqa se réclament de ce principe tant en France qu'en Egypte. Il me paraît pertinent de ne pas céder sur ce point comme le font les juristes qui nous demandent d'abandonner ce principe et de se réfugier derrière la dignité et surtout l'égalité, également juridiquement opératoires.
Mais, pour la liberté, je voudrais reprendre la définition humoristique de la démocratie par l'Américain Marc Twain. La démocratie repose sur trois facteurs : "La liberté d'expression, la liberté de conscience et la prudence de ne jamais user de la première ni de la seconde." J'interprète cette prudence avec Eric Voegelin comme la sagesse de ne pas user de ces droits sans conditions. Et je m'appuie, avec le même politologue germano-américain, sur la courtoisie nécessaire au fonctionnement de nos sociétés. "Quiconque a une idée fixe et cherche à l'imposer, c'est-à-dire quiconque interprète la liberté d'expression et la liberté de conscience en ce sens que la société doit se comporter de la manière qu'il juge bonne, n'a pas les qualités requises pour être citoyen d'une démocratie." Un tel problème est déjà traité par Aristote autour de la statis (la crise qui provoque une discorde) : si je m'obstine à suivre mon opinion, une contre-statis peut être enclenchée, et le désordre s'instaure. Telle serait notre réponse sur la liberté individuelle réclamée par les porteuses de burqa.
L'éclipse de la face occulte la lumière du visage, où se reconnaît l'épiphanie divine qui a inspiré l'esprit et le coeur en islam. Les soufis voyaient le signe de Dieu dans le miracle de la face humaine, surtout lorsqu'elle se pare de beauté féminine. On remonte ainsi, de visage en visage, du visible à l'invisible, de l'humain au divin, selon la parole prophétique (reprise de la Bible) disant que l'homme a été façonné à l'image de Dieu. "Tout est périssable, ne perdure que la face de Ton seigneur" (Coran LV, 26-27) : ainsi la pérennité de la face divine en tant qu'absolu reflète sa trace sur le support que lui tend tout visage humain.
Le voilement du visage par un tissu aussi noir que la robe qui enveloppe la Kaba (robe appelée aussi burqa) dessaisit l'humain de la franchise qu'exigent le politique et l'esthétique comme l'éthique ou la métaphysique. C'est un masque qui annule le visage, dérobant les intensités de l'altérité qu'Emmanuel Levinas a saisies et dont nous recueillons les rudiments dans la millénaire tradition islamique, qui a médité le franc face-à-face avec le divin où s'éprouve la singularité humaine.
Le visage couvert est retiré de la circulation urbaine comme de la relation intersubjective ou mystique. Aboli le visage qui est, encore selon Levinas, "le lieu d'une ouverture infinie de l'éthique". Le niqab ou la burqa, extension du hidjab, est un crime qui tue la face, barrant l'accès perpétuel à l'autre. C'est un tissu qui transforme les femmes en prison ou en cercueil mobile, exhibant au coeur de nos cités des fantômes obstruant l'entrée aux vérités invisibles du visible.
Le niqab vient d'être interdit dans les espaces scolaires et universitaires d'Al-Azhar au Caire, la plus haute institution sunnite. Son patron, M. Tantawi, a rappelé que le niqab n'est pas une obligation divine, une farîd'a, ni une disposition cultuelle, une ibâda, mais une âda, une coutume. Et le mufti d'Egypte, Ali Juma, confirme cette assertion : il s'agit d'une coutume arabique antéislamique que l'islam est en mesure de dissoudre.
Ces arguments islamiques peuvent être exploités si la commission parlementaire se décide pour une loi interdisant le port du voile intégral. Je n'évoquerai pas la difficulté de la mise en pratique d'une telle loi. Je voudrais seulement répondre aux objections de juristes quant à la liberté de l'individu et au respect de disposer de son corps comme il l'entend. C'est que les porteuses de burqa se réclament de ce principe tant en France qu'en Egypte. Il me paraît pertinent de ne pas céder sur ce point comme le font les juristes qui nous demandent d'abandonner ce principe et de se réfugier derrière la dignité et surtout l'égalité, également juridiquement opératoires.
Mais, pour la liberté, je voudrais reprendre la définition humoristique de la démocratie par l'Américain Marc Twain. La démocratie repose sur trois facteurs : "La liberté d'expression, la liberté de conscience et la prudence de ne jamais user de la première ni de la seconde." J'interprète cette prudence avec Eric Voegelin comme la sagesse de ne pas user de ces droits sans conditions. Et je m'appuie, avec le même politologue germano-américain, sur la courtoisie nécessaire au fonctionnement de nos sociétés. "Quiconque a une idée fixe et cherche à l'imposer, c'est-à-dire quiconque interprète la liberté d'expression et la liberté de conscience en ce sens que la société doit se comporter de la manière qu'il juge bonne, n'a pas les qualités requises pour être citoyen d'une démocratie." Un tel problème est déjà traité par Aristote autour de la statis (la crise qui provoque une discorde) : si je m'obstine à suivre mon opinion, une contre-statis peut être enclenchée, et le désordre s'instaure. Telle serait notre réponse sur la liberté individuelle réclamée par les porteuses de burqa.